Plastiques alimentaires: ces enfants qui biberonnent du bisphénol A

Plastiques alimentaires: ces enfants qui biberonnent du bisphénol A

A la mi-avril, le gouvernement
canadien a annoncé son intention d’interdire la
commercialisation de biberons constitués de plastique contenant
du bisphénol A (BPA), substance désormais
considérée comme toxique dans ce pays. Les
autorités sanitaires des Etats-Unis s’inquiètent
à leur tour, tandis que l’Autorité
européenne pour la sécurité alimentaire
déclarait vouloir procéder à une nouvelle
réévaluation des risques. A Berne, le silence radio est
de mise.

Présent aussi dans les couches protectrices (utilisant des
résines époxy) des cannettes de bière ou des
boîtes de conserve, ou encore dans les bouteilles d’eau et
des boissons en plastique, le bisphénol A est un composé
organique que l’on retrouve dans les fluides corporels de presque
toutes les personnes vivant dans les pays industriels. Il entre dans la
catégorie des perturbateurs endocriniens (ou leurres hormonaux)
et fit l’objet de nombreuses recherches dans les années
30, lorsqu’on voyait en lui un possible œstrogène de
synthèse.

Les perturbateurs endocriniens, combien de divisions?

L’Union européenne définit les perturbateurs
endocriniens comme «une substance ou un mélange
exogène altérant les fonctions du système
endocrinien et induisant donc des effets nocifs sur la santé
d’un organisme intact, de ses descendants ou (sous)
populations». Stéphane Horel, dans son ouvrage vivement
recommandé, La Grande Invasion, enquête sur les produits
qui intoxiquent notre vie quotidienne (Ed. du Moment, 2008), se demande
combien de perturbateurs endocriniens font partie des 100 000 produits
chimiques présents sur le marché. Laborieusement,
l’Union européenne en aurait repéré 565,
mais la liste n’est pas officiellement validée. Un expert,
le Japonais Taisen Igushi, évoque lui le nombre de 2000
substances soupçonnées. Parmi elles, une pléthore
de pesticides, des métaux lourds, les PCB (biphényles
polychlorés), les dioxines, les phtalates et donc le
bisphénol A. Parmi leurs «qualités», ces
substances se dégradent lentement et migrent très bien.
On les appelle donc des POPs (produits organiques persistants).

Ce qui explique que les ombles chevaliers d’un lac autrichien
situé à plus de 2700 m. contiennent des doses
élevées de POPs (des paraffines chlorées à
chaîne courte dans le cas présent, qui aiment
particulièrement le froid). Les mêmes ombles, dans le Lac
Léman comme dans celui d’Annecy ou du Bourget, recueillent
des PCB. Aux confins du cercle polaire, sur l’île de
Broughton, les femmes inuits ont le taux de concentration de PCB dans
le lait maternel le plus élevé du monde. Et à
l’autre bout de la planète, un marsupial carnivore, le
diable de Tasmanie, une île située à 240 km au
sud-est de l’Australie, cumule des niveaux élevés
de biphényles dans ses graisses. A mille lieues de toute
industrie chimique produisant ces retardateurs de flamme
présents dans les meubles et les vêtements.

Faible dose et exposition de longue durée

De fait, le BPA, les POPs et les perturbateurs endocriniens entrent
dans une problématique beaucoup plus vaste, celle des millions
de tonnes de substances chimiques lâchées «dans la
nature» aux effets sur la santé humaine peu ou mal
testés. En 1930, le monde industrialisé produisait un
million de tonnes de produits chimiques; en 2005, ce chiffre
s’élevait à 500 millions. Un certain nombre de ces
substances pourraient mettre en danger notre santé.

Le problème est que, d’une part les recherches concernant
leur nocivité, lorsqu’elles existent, ont souvent
été financées par l’industrie qui les
produisait; d’autre part, ces recherches n’ont jamais
porté sur les expositions de longue durée à faible
dose (on retrouve ici une question de fond, soulevée aussi par
l’exposition aux micro-ondes des téléphones
portables). De plus, l’«effet cocktail» de ces
substances, c’est-à-dire leur interaction possible ou
leurs effets cumulatifs, est généralement ignoré
par la recherche, qui se focalise sur un seul produit. Par ailleurs,
certains chercheurs pensent que le principe de Paracelse,
médecin du XVIe siècle, selon lequel «la dose fait
le poison» et qui se trouve à la base de la toxicologie,
ne s’appliquerait pas aussi systématiquement aux faibles
doses.

Les effets des perturbateurs endocriniens semblent ne pas
évoluer selon un modèle linéaire dans lequel les
effets augmentent en proportion de la dose. Fred von Saal, professeur
de biologie à l’Université du Missouri a ainsi
recensé 176 études portant sur les effets des faibles
doses de bisphénol-A. 149 d’entre elles montrent des
effets «significatifs», voire «clairement
nocifs».

Pour faire sauter le barrage, dressé par l’industrie
chimique sur toutes ces questions, à coups de millions de francs
et grâce à un lobbyisme massif, un certain nombre de
scientifiques (dont des pointures comme les prix Nobel François
Jacob et Jean Dausset, ou encore Albert Jacquard et Luc Montagnier) et
des organisations écologiques ont lancé en 2004,
l’Appel de Paris. Il déclare:

«Article 1:
Le développement de nombreuses maladies actuelles est
consécutif à la dégradation de
l’environnement.


Article 2: La pollution chimique constitue une menace grave pour l’enfant et pour la survie

de l’Homme.

Article 3: Notre
santé, celle de nos enfants et celle des
générations futures étant en péril,
c’est l’espèce humaine qui est elle-même en
danger.»

Pour arriver à ces conclusions, l’Appel formule une
quinzaine de considérants scientifiques, qui peuvent être
consultés sur le site www.artac.info.
Le quatorzième affirme «que la pollution chimique sous
toutes ses formes est devenue l’une des causes des fléaux
humains actuels, tels que cancers, stérilités, maladies
congénitales, etc; que la médecine contemporaine ne
parvient pas à les enrayer; [et] que, malgré le
progrès des recherches médicales, elle risque de ne pas
pouvoir les éradiquer.»

Daniel Süri