Trois tiers de fiel ne remplissent pas un verre de miel

Trois tiers de fiel ne remplissent pas un verre de miel
Un argumentaire en trois points articule l’initiative de l’UDC

Selon
l’UDC la naturalisation se réduirait à un acte
administratif. Elle prétend lui substituer une décision
démocratique. En réalité bien sûr, la
naturalisation est décidée, sur la base du dossier
personnel des candidat-e-s, par des autorités
démocratiques, élues pour cette tâche. Quel est ce
«peuple» auquel l’UDC rêve de «donner le
dernier mot»?

L’UDC répond bizarrement à sa question. Elle
demande que les électeurs-trices des communes décident
librement de la procédure la mieux adaptée. Mais ne le
font-ils pas aujourd’hui? Seul le vote de listes de candidat-e-s
est interdit. Mais une telle procédure n’introduirait-elle
pas justement cette naturalisation «en masse» que
l’UDC prétend combattre? Le «dernier mot du
peuple» serait-il celui des comités de sélection
désignés par ce parti? L’UDC veut des
décisions de naturalisation définitives, car «le
droit de recours ne s’appliquerait pas à des
décisions démocratiques». Elle veut abolir un droit
qui garantit des institutions démocratiques, puisqu’il
permet au-à la citoyen-ne de se protéger d’une
décision injuste.

Un sottisier manipule l’opinion publique

A l’instar des «brèves de comptoir»,
l’UDC a mijoté des rumeurs de bistrot. Qui connaît
celle du jeune criminel brésilien – naturalisé suisse?
Celle de l’ouvrier italien, abuseur de l’AI –
naturalisé suisse. Le séducteur nigérian –
naturalisé suisse. La famille macédonienne «qui ne
ferait pas les efforts nécessaires pour se mêler aux
autres habitants du village» – naturalisée sur recours. La
femme turque naturalisée sur décision du Tribunal
fédéral pour qui «le port du voile ne constitue pas
une raison différente pour refuser à quelqu’un sa
naturalisation.»

Une image matraque les esprits

Des mains sombres ou poilues touillent dans un cageot de passeports
offerts. Par qui? Par des autorités complaisantes?
Traîtresses? Un timbre cingle l’affiche: Naturalisations en
masse STOP! La magie de l’image invente la réalité
que l’UDC prétend combattre: les passeports seraient
bradés, il faudrait arrêter cet abus. Comment? Une
réponse positive accompagne la pénible évocation.
OUI. Il faut voter oui.

Les publicités – financées à quel prix? – imposent
deux mensonges à la presse du pays: les naturalisations en masse
existeraient, alors que seul le mécanisme de l’UDC les
ferait apparaître. Les juges naturaliseraient des criminels aucun
exemple bien sûr n’existe d’une telle
absurdité.

Pourquoi donc des pronostics inquiets? Pourquoi craindre le succès de cette manipulation?

Un vaste registre de commentaires expose le mal-être
qu’aurait provoqué la globalisation, la poussée
identitaire qu’elle susciterait. Beaucoup déclinent le
refrain de l’angélisme. La gauche en serait responsable,
accusée contre toute évidence de minimiser la
répression de «criminels étrangers».
Certain-e-s pointent le sentiment d’insécurité.

En 1994 déjà, le Département fédéral
de justice et police observait «une sensation diffuse de malaise,
causée par la perte d’autorité de la religion et
des convictions, par le relâchement des liens familiaux et par
l’enchevêtrement de cultures différentes» pour
relever que la peur est notamment «alimentée
par l’augmentation du nombre des infractions violentes et de la
criminalité imputables aux étrangers
».1

N’est-il pas temps de discuter la xénophobie raciste qui baigne les institutions?2

Au début du 20e siècle, les lecteurs-trices de
solidaritéS le savent bien, les autorités
fédérales ont créé l’Office
fédéral central des étrangers, l’Office des
migrations aujourd’hui, pour substituer au régime de la
libre circulation celui de l’autorisation de séjour.
L’administration fédérale devait défendre
les intérêts économiques et moraux du pays,
évaluer, pour la combattre, l’Überfremdung3 du pays.

Elle allait combattre l’«enjuivement du pays»
durant les années du nazisme. Aucune véritable remise en
question ne la frapperait à sa chute. La police des
étrangers fut bien utile pour imposer un marché du
travail jugulé aux saisonniers durant les «Trente
glorieuses».

Cet esprit conçut l’étrange euphémisme «des ressortissants des pays qui n’ont pas les idées européennes (au sens large)»,
qui vit naître en 1991 le débat que conclut
l’adoption de la LEtr en 2006. En Suisse, comme l’Office
fédéral de la justice le rappelle, c’est toujours
en son nom que se tint le débat sur la lutte contre le racisme:
«La controverse tournait
essentiellement sur le fait de savoir qui des différentes forces
politiques portait la co-responsabilité de l’apparition du
racisme en Suisse et si une législation contre le racisme
n’entamait pas de manière excessive le droit des suisses
à la préservation de leur propre identité,
respectivement à la délimitation par rapport aux
étrangers
4

NON! NON et NON! Pas de naturalisations à la tête du client!

Cette idéologie de lutte contre la supposée menace
d’Überfremdung charpente l’UDC. Portée par
Schwarzenbach, elle était battue au cours des années 1970
et 1980. Elle triomphe aujourd’hui. Expliquant son initiative,
l’UDC la justifie clairement: «De
plus en plus d’étrangers mal intégrés sont
naturalisés et deviennent ensuite des criminels. Dans les
statistiques, ces naturalisés récents sont
considérés comme des “Suisses”, ce qui
réduit la proportion de criminels étrangers et augmente
du même coup celle des criminels suisses. Mais ce type de
manipulations de statistiques ne fait en aucun cas baisser
l’importante criminalité étrangère, elle ne
fait que la “naturaliser”
».5

Pas une voix ne doit manquer au refus de l’initiative
raciste de l’UDC. Notre refus aujourd’hui doit
préparer notre résistance demain contre cette perversion
de la démocratie en un nationalisme raciste.

Karl Grünberg

ACOR SOS Racisme


1     Département fédéral de
justice et police. Plan d’action «Sûreté
intérieure 1994». Berne. On se rappelle que ce plan
d’action était adopté au début de
l’année où ont été votées les
mesures de contrainte.
2     Suisse sans racisme d’Etat, une
«Révolution culturelle», KarlGrünberg,
Joëlle Isler Glaus, Anne Weill, solidaritéS, N° 9, 16
mai 2002.
3     Improprement traduit en français par
«surpopulation étrangère» ce concept
désigne plutôt «l’altération excessive
de l’identité nationale»
4     L’interdiction pénale de discrimination raciale
selon l’article 261bis CP et l’article 171c CPM.
Document de travail de l’OFJ pour le hearing concernant la norme pénale sur le racisme.
Mai 2007
5     Halte aux naturalisations en masse. Oui à l’initiative sur les naturalisations de l’UDC.
Argumentaire.