A propos de l’initiative discriminatoire de l’UDC sur les naturalisations

A propos de l’initiative discriminatoire de l’UDC sur les naturalisations



L’initiative mal-nommée
«Pour des naturalisations démocratiques» –
lancée par le «Schweizerische Volkspartei» (SVP),
«Union démocratique du Centre» (UDC) en Suisse
romande – ne viole pas seulement des droits humains imprescriptibles.
1
Elle outrage la langue française et souffre d’un trop-plein de
définitions. Vu qu’elle trouve ses origines dans les traditions
suisses les moins recommandables, il faut la rejeter sans appel.

Confusions linguistiques

Notre propos n’est pas de susciter une guerre linguistique dans une
Suisse pluri-culturelle. Toutefois, en allemand (langue parlée
par 70 % de la population), le mot «Der Burger»
désigne à la fois le «bourgeois» (membre
d’une bourgeoisie) et le «citoyen». Cette confusion est
inquiétante. Du reste, en Suisse, les partis de droite se
définissent comme «bourgeois», ce qui n’est pas
l’usage dans les autres pays d’Europe.

Que signifie le mot «naturalisation»?

Voici la définition du Petit Robert (dictionnaire faisant autorité):

  1. Acquisition de la nationalité par décision de
    l’autorité publique, à la demande d’une personne
    ressortissante d’un autre Etat ou apatride;
  2. Acclimatation durable d’une espèce végétale
    ou animale importée dans un lieu où elle se maintient
    d’elle-même, comme une espèce indigène;
  3. Acclimatation définitive (d’un mot, d’une idée venant de l’étranger);
  4. Opération par laquelle on conserve un animal mort, une
    plante coupée, en lui donnant l’apparence de la nature vivante.

S’ils acceptent cette dernière définition, les
taxidermistes du SVP concurrencent, à leur corps
défendant, des humoristes tels que feu Groucho Marx (à
qui la sérieuse revue «Actuel Marx» n’a pas encore
consacré de colloque…)

La citoyenneté suisse

Il s’agit d’un thème controversé depuis la fin de
l’ancienne Confédération des 13 cantons (1798). La
République helvétique «une et indivisible»
(1798-1802) butta très vite sur les particularismes locaux:

«Comme partout ailleurs, la
construction de l’Etat national suisse s’est faite au prix d’une
politique d’intégration, mais aussi d’exclusion. L’étude
de Silvia Arlettaz met très bien en relief les
particularités de l’exemple helvétique. L’une des plus
importantes concerne les conflits qui ont opposé d’emblée
l’Etat central et les communes bourgeoises; conflit dont l’enjeu majeur
tenait à la définition même de la
citoyenneté. Dans un contexte politique, qui n’était pas
dominé par la guerre civile, comme en France, le pouvoir
républicain n’a pu imposer ses réformes qu’en passant des
compromis avec les autorités traditionnelles. […] Finalement,
le droit de cité helvétique est resté
subordonné à l’obtention d’un droit de bourgeoisie,
accordé par les autorités locales
»2.

Cette situation perdure. Car, malgré sa victoire sur le Sonderbund3
en 1847, le parti radical – au contraire des révolutionnaires
français de 1793 – ne liquida pas totalement ces survivances
d’Ancien Régime: «Si les privilèges politiques
disparaissent dans les cantons libéraux au cours des
années 1830-1840, les privilèges économiques
seront beaucoup plus tenaces et ont même laissé des traces
jusqu’à nos jours: les bourgeoisies communales, par exemple, que
nous sommes le seul pays d’Europe à avoir
conservées.»4

De plus, dans les années 1930, via la «défense
spirituelle du pays» concoctée par le comte fribourgeois
Gonzague de Reynold (adepte du royaliste français Charles
Maurras), les thèses rétrogrades du Sonderbund ont
été (ré)incorporées par la bande au corpus
politique suisse.5

Une réflexion indispensable pour l’après-1er juin

Dans le climat délétère actuel, une alternative
basée sur une conception positive de la citoyenneté est
indispensable. Il existe des pistes, comme le montre un ouvrage
récent: «Les trois
entités – la Confédération, les cantons et les
communes – se partagent le domaine, conduisant à des
réglementations disparates et souvent contradictoires qui sont
à même de produire des violations des droits fondamentaux
des personnes désirant obtenir la nationalité suisse, en
particulier au niveau de la commune. […] La conception
fédéraliste de l’octroi de la nationalité n’a plus
lieu d’être, une centralisation s’imposant. Cette centralisation
est la seule à même de garantir que les deux aspects de la
nationalité, personnel et collectif, puissent cohabiter dans le
respect des droits fondamentaux
6

A condition que l’administration centralisée ait
changé de mentalité…, ajouterons-nous. En conclusion,
rappelons qu’en 1798, une commission du Sénat helvétique
avait déjà rejeté un projet similaire à
celui du SVP: «Une telle
décision entraînerait des cabales et des
inconvénients sans nombre, que d’ailleurs les assemblées
primaires ne peuvent s’occuper d’un individu, qui serait parfaitement
inconnu de leur presque totalité
7

Hans-Peter Renk

1    Karl Grünberg, «Non. Pas de naturalisations à la tête du client»,
solidaritéS, No 125 (10.5.2008).
2    Gérard Noiriel. Préface à:
Silvia Arlettaz, Citoyens et étrangers sous la République
helvétique, 1798-1803. Genève, Georg, 2005.
3    Alliance de 7 cantons catholiques (Lucerne, Zoug, Uri, Schwyz,
Unterwald, Fribourg et Valais), conclue en 1844 pour maintenir le Pacte ultra-fédéraliste de 1815.
4    Marc Vuilleumier, «1848-1998», solidaritéS-Infos (Genève), N° 84 (30.11.1998).
5    Philippe Etter, Sens et mission de la Suisse.
Genève, Ed. du Milieu du Monde, 1942 (Philippe Etter, politicien
catholique-conservateur, partisan d’un régime économique
corporatiste, siégea au Conseil fédéral de 1933
à 1959).
6    Résumé de: Céline Gutzwiller,
Droit de la nationalité et fédéralisme en Suisse.
Genève, Schulthess, 2008.
7    «Le Sénat répond à l’UDC», solidaritéS, N° 75 (18.10.2005).