Mouvement anti-guerre US 1968-2008, même combat ?

Mouvement anti-guerre US 1968-2008, même combat ?

Alors qu’il y a 40 ans, quatre
ans après le débarquement de l’armée
américaine au Vietnam, la contestation contre la présence
américaine atteignait son apogée, qu’en est-il du
mouvement actuel contre la guerre en Irak, qui marque son
cinquième anniversaire et qui compte ses 4000 GI tués?
Tandis que la contestation planétaire de masse qui a suivi
l’invasion en 2003 semble s’être essoufflée,
la mobilisation anti-guerre aux USA paraît aujourd’hui ne
pas avoir la même force qu’en 1968. Pourtant, le mouvement
fait actuellement preuve d’une vigueur militante intacte et
stimulante, en dépit de la répression dont il est victime
et de sa moindre médiatisation.

Pour preuve, la dernière grande manifestation du 15 septembre
2007 ayant rassemblé 100 000 personnes à Washington DC,
qui a pu rappeler les manifestations de masse de 1967-68. En mars
dernier, l’anniversaire de l’invasion a mobilisé des
dizaines de milliers de manifestant-e-s dans la plupart des grandes
villes états-uniennes lors de journées d’action
nationales. Il est intéressant d’analyser le mouvement
actuel à l’aune de son prédécesseur.

Les acteurs

On peut ainsi constater une certaine continuité entre les
acteurs de la mobilisation actuelle et ceux qui faisaient trembler les
gouvernements de Johnson et de Nixon. A l’instar du rôle
joué par les groupes étudiants radicaux en 68, le
mouvement actuel est en grande partie porté par des
organisations de gauche – dont certaines existaient déjà
il y a 40 ans – rassemblées sous de larges coalitions comme
United For Peace & Justice (UFJP), ANSWER (Act Now to Stop War
& End Racism) ou Peace Action, dont les jeunes et les
étudiant-e-s forment le gros des troupes et figurent en
première ligne lors des actions de rue. Les modes
d’action, souvent créatifs, n’ont pas non plus
beaucoup changé: désobéissance civile, sit-ins,
action directe non-violente, lobbying actif, tout est bon pour rompre
avec le business as usual et attirer l’attention de
l’opinion publique et des médias. Les
vétérans pacifistes aspirent encore une fois à un
rôle prépondérant, à travers
l’organisation Irak Veterans Against the War,
héritière directe de la Vietnam-VAW. Ces GI repentis ont
reconduit en mars dernier une action contestataire qui avait
été menée contre la guerre du Vietnam, celle du
Winter Soldier Investigation. Il s’agissait d’une
confession publique par les vétérans des crimes et des
horreurs commis sur le terrain. L’influence symbolique du premier
mouvement, qui fait figure de modèle, est ici évidente;
il s’agit de légitimer la contestation en
l’affiliant directement à cet ancêtre
«victorieux».

Entre-temps, des acteurs moins chevronnés ont fait leur
apparition dans le mouvement, tels que les associations de la
communauté musulmane immigrée ou les audacieuses et
efficaces CodePink, groupe de féministes pacifistes adeptes
d’un lobbyisme tapageur auprès des politiciens
américains. Ou encore les associations de familles de GI
tués, représentés par la célèbre
Cindy Sheehan. Cette grande diversité et la présence
d’une panoplie d’acteurs de différents milieux
sociaux démontrent l’aberration du cliché
véhiculé par les médias conservateurs d’un
mouvement pacifiste qui serait essentiellement hippie et
«commie» (communiste).

Des divisions lancinantes

Si l’efficacité de l’action militante a
été préservée, on remarquera que certaines
faiblesses du mouvement anti-guerre ont malheureusement elles aussi
tendance à se perpétuer. On pense notamment à la
division entre ANSWER, essentiellement structurée par des
groupes marxistes-léninistes comme le Workers World Party ou le
Party for Socialism & Liberation, et UFJP, d’inspiration plus
pluraliste mais qui prône un discours non moins radical.
L’objet de la discorde porte entre autres sur la collaboration
avec les élu-e-s du Parti démocrate.

Malgré cette division fragilisante, ces deux coalitions
mobilisent leurs «troupes» très efficacement, et le
rôle des militant-e-s de la gauche de la gauche y est
prépondérant.

Une autre pierre d’achoppement structure le mouvement actuel et
avait déjà posé problème dans le mouvement
anti-Vietnam. Il s’agit de la question de
l’élargissement – ou non – de la contestation à
l’ensemble du système. Ainsi les deux coalitions
s’attaquent-elles, comme en 1968, aux inégalités
sociales, au racisme ou au sexisme, aux grandes corporations
militaro-industrielles, ou encore à la dérive
sécuritaire « anti-terroriste »; tout en
prônant activement un modèle alternatif de
société solidaire, égalitaire et pacifique.Cette
stratégie multi-issue ne fait pas l’unanimité:
d’autres groupes dits single-issue se limitent strictement
à la présence des GI en Irak.

Quel avenir ?

A l’instar de la fermeté policière des
administrations de Johnson et de Nixon, le mouvement expérimente
aujourd’hui aussi la répression d’un gouvernement
tout autant autoritaire. 200 arrestations ont ainsi eu lieu lors de la
manifestation du 15 septembre 2007, et des importantes amendes ont
été infligées aux poseurs d’affiches. Cette
tentative permanente d’étouffement de la contestation
indique que pour l’establishment au pouvoir, la liberté
d’expression est un droit à géométrie
variable.

A court terme, gageons que si le candidat républicain John
McCain, fervent défenseur de l’empire, venait à
être élu et que le conflit continue en Irak, voire
s’étende en Iran, les rues se rempliront à nouveau,
comme ce fut le cas lors de l’invasion du Cambodge en 1972,
après un certain ralentissement de la contestation.

Mais sur le long terme, face à un Etat policier, au service des
puissants et du marché, alors qu’une grande partie du
peuple subit la précarité et les mythes de
l’idéologie individualiste, le mouvement anti-guerre et
progressiste a encore du pain sur la planche et en est bien
conscient… Certains se rappelleront les paroles du Che aux
militant-e-s étudiants américains des années 60-70:

«Je vous envie. Vous menez le combat le plus important. Vous vivez au coeur de la bête.»

Ludovic Jaccard