Les électrons résistent au néolibéralisme

Les électrons résistent au néolibéralisme


Des USA à l’Allemagne en passant par la Suisse, la libéralisation électrique connaît des jours
difficiles… Si la LME ne fait plus recette, il faut renforcer le front de celles et ceux qui s’y
opposent dans la logique de service public.


Pierre Vanek


Aux USA, la multinationale ENRON,
en pointe dans le dynamitage
de la régulation électrique, et dont les
tentacules s’étendent jusqu’en Suisse,
est en crise aïgue.1 En Allemagne un
porte-parole de l’un des gros trusts
électriques demande que «la politique
donne des signaux clairs
» et exige de
Berlin «un concept d’ensemble qui relie
tous les éléments de la politique
énergétique
» à défaut de quoi il y aura
selon lui «des coupures de courant
comme en Californie ou des augmentations
massives du prix de l’électricité.
»2


En Suisse, le nouveau président de
l’organisation patronale Economie-
Suisse déclare qu’il faut «ralentir le
rythme de la dérégulation
»3 et que si
la LME serait «bonne» en principe,
l’ordonnance d’application (OME)
produite par le Conseil fédéral ne l’est
pas. «Une votation en juin serait prématurée» car «pour que la population
soit acquise au projet, tout le monde
doit être certain de bénéficier de baisses
de prix, y compris les petits consommateurs
et les entreprises de taille
moyenne
». Or «ce n’est pas le cas
dans le projet actuel
».


On le voit le projet de LME de Moritz
Leuenberger est à la peine. Des
entreprises de la branche électrique à
certains milieux de protection de l’environnement,
jusqu’ici favorables à
cette loi, on assiste et l’on assistera à
une multiplication des oppositions.


Du point de vue du front des
référendaires également, la donne devient
plus compliquée. Pour peu que
la LME soit effectivement mise en votation
en juin (18 mois après le vote
des Chambres!) un NON devient de
jour en jour plus probable.


La difficulté sera de donner à un
NON qui défend contre la marchandisation
une logique de service public et
qui s’oppose – sur le fond – aux recettes
néolibérales, qui on fait leurs
«preuves» des PTT à Swissair, une lisibilité
politique maximale dans le
concert des oppositions, par ailleurs
largement justifiées, sur tel ou tel aspect
de la mise en œuvre de celles-ci
proposée par les bureaucrates de
Leuenberger. Par contre, il serait faux,
au nom de notre opposition de fond à
la LME de déserter le terrain de la critique
des mesures d’application proposées
par le Conseil fédéral, qui illustre
la logique des auteurs de la loi.
Ceci, même si le débat sur cet ordonnance
est très théorique puisqu’une
fois la loi votée, le Conseil fédéral a le
pouvoir discrétionnaire de la modifier
comme il veut.


De ce point de vue le Comité
référendaire national a tenu une conférence
de presse le 22 novembre pour
présenter son analyse de l’OME.
Nous publions ci-dessous trois extraits
du document élaboré pour cette
occasion qui relève certains des aspects
antisociaux et antiécologiques
des projets fédéraux.4





  1. Les autorités zurichoise ont dû interrompre en catastrophe à la mi-novembre une joint-venture programmée entre Enron et l’entreprise municipale EWZ, v. à ce sujet le site de l’Alternative Liste de Zurich www.al-zh.ch l’interpellation de N. Scherr au Conseil municipal.

  2. Déclaration de Gert Maichel de la direction de RWE in Handelsblatt du 27.11.01

  3. Ueli Forster interview dans Le Temps du 27.11.01

  4. L’ensemble du texte est sur notre site




Les petits consommateurs lourdement pénalisés


Une particularité technique apparaît
dans l’Ordonnance sur le marché de
l’électricité: les coûts de réseau, qui
représenteront en moyenne douze à
quinze centimes par kWh pour les
consommateurs du niveau de tension
de 400 V, seront répartis dorénavant
d’une nouvelle manière. Près de 70%
de ces coûts devront être répartis sur
la pointe de consommation annuelle
contre 30% seulement d’après l’énergie.
Cela signifie que si le timbre de
distribution est de 15 cts par kWh
pour un petit consommateur, 10,5
centimes devront être facturés suivant
la puissance annuelle maximale et 4,5
centimes seulement suivant l’énergie.


Considérons un réseau comme celui
de la Ville de Lausanne qui comprend
cent mille consommateurs pour une
consommation annuelle d’environ
800 millions de kWh, soit une consommation
moyenne par consommateur
de 8000 kWh. Si l’on enlève les
consommateurs à un niveau de tension
supérieur, on tombe à 600 millions
de kWh. Cela veut dire que la
moyenne de consommation de tous
les consommateurs à bas niveau de
tension atteint 6000 kWh.


Un consommateur «moyen» à 6000
kWh / an, avec une prime de puissance
de 10,5 cts / kWh, devrait payer
630 frs par an au titre de la taxe de
puissance; c’est le cas moyen, celui
pour lequel cela ne changera rien.
Mais les consommateurs de plus de
6000 kWh ne représentent que 10%
de l’ensemble, tous les autres consommant
moins.


La fausse moyenne est tirée vers le
haut par les très gros consommateurs
au niveau de tension 400 V.


Considérons maintenant un logement
lausannois moyen qui consomme
2000 kWh par an (plus de la
moitié des consommateurs consomment
moins de 2000 kWh par an).
Aujourd’hui, la partie qui concerne le
timbre de distribution est noyée dans
le tarif général et représente environ
300 francs par an. Demain, il restera
au petit consommateur 90 frs / an pour
la part de réseau liée à l’énergie.


Mais la prime de puissance devra
être égale pour chacun (possibilité de
faire appel à une pointe de puissance)
et elle atteindra une somme proche de
600 francs par an. […] Dans les faits,
cela conduirait à ce que 90% des consommateurs
soient lourdement pénalisés.
[…] Il s’agit d’une véritable arnaque.
Bien sûr, à l’inverse, les gros
consommateurs réaliseront une bonne
affaire.


En Norvège, que le Conseil fédéral
cite en exemple et dont l’Office
fédéral de l’énergie s’inspire lourdement
pour toute l’application de la
LME, le prix du kWh pour les très petits
consommateurs dépasse 50 centimes
par kWh contre un prix moyen à
peine supérieur à 20 centimes en Suisse.
Cela est dû aux nombreuses taxes
de base, en particulier pour la puissance
que l’on affecte à ces petits consommateurs.




Le gaspillage d’énergie organisé


Avec une taxe de puissance correspondant
à 10,5 centimes par kWh et
quelle que soit la consommation, la
part par kWh liée à cette dernière diminuera
d’environ 40%. Une telle démarche
pousse au gaspillage de
l’énergie tant que les prix de celle-ci
resteront raisonnables car le prix du
kWh supplémentaire diminuera fortement
même si le prix global augmentera
fortement. La Confédération veut
appliquer le modèle norvégien qui
conduit à une augmentation de la consommation
de 8% par an. C’est la
mort programmée d’Énergie 2000!


Supposons un logement moyen dont
le coût de l’énergie sans taxe de base
est aujourd’hui de 25 cts par kWh
pour une consommation de 2000 kWh
/ an. Ce logement reçoit une facture de
500 frs par an. La partie consacrée au
réseau de distribution étant, par hypothèse,
de 15 cts par kWh, ce logement
paie dans les faits 300 francs pour le
réseau et 200 frs pour l’énergie électrique.
Avec l’OME, sa facture change
considérablement. Vu ce qui
précède, on peut s’attendre à une taxe
de puissance d’environ 600 frs / an. Sa
consommation de 2000 kWh le conduit
à un prix de 90 francs par an pour
la part liée à l’énergie des frais de réseau.
Supposons, hypothèse extrêmement
optimiste vu tout ce qui a été décrit
précédemment, que par miracle le
prix de l’énergie pour ce petit consommateur
baisse de 10 à 8 cts par
kWh, on rajoutera alors 160 frs pour
les frais d’énergie. Sa facture finale
sera alors de 850 frs, en hausse de
70% malgré toutes les belles promesses
du Conseil fédéral et son prix
moyen par kWh de 42,5 cts par kWh.
Ce consommateur subit une augmentation
de 70% de sa facture. Il faut
rappeler que 50% des consommateurs
consomment 2000 kWh par an ou
moins. De plus, la situation d’un consommateur
de 4000 kWh par an (avec
80% des consommateurs qui consomment
moins de 4000 kWh), n’est pas
bien meilleure. Même avec une baisse
hypothétique du prix de l’énergie de
20%, il se retrouve en moyenne avec
une facture en augmentation de 10%,
ceci bien sûr en cas de miracle, c’està-
dire sans déraillement du système
d’approvisionnement.


[…] Le consommateur est encouragé
au gaspillage. En effet, chaque
kWh supplémentaire consommé dans
le système qui vient d’être décrit, ne
lui coûte que 12,5 cts dans l’hypothèse
où le prix de l’énergie baisserait
de 20%, c’est-à-dire moitié moins
qu’aujourd’hui pour les kWh supplémentaires.
Cette diminution du prix
de la boulimie et de gaspillage de 50%
devrait faire réfléchir les quelques
théoriciens lunatiques qui, dans les
milieux environnementaux, ont soutenu
la LME jusqu’à ce jour. L’application
de la LME signifie pourtant
clairement l’explosion de la consommation
comme en Norvège où celle-ci
croît de 8% par an ces dernières années
et la mise définitive à la poubelle
du programme Énergie 2000 et des illusions
de quelques écologistes naïfs
et peu compétents…




Les aventuriers subventionnés


Autre originalité de l’Ordonnance: celui qui crée des coûts de relevé en changeant
souvent de fournisseur est subventionné par ceux qui sont fidèles envers leur fournisseur
traditionnel. Or, le coût d’un relevé atteint facilement 15 à 20 francs.
Supposons que M. X, adepte de la libéralisation et féru d’Internet, décide tous les
quinze jours de changer de fournisseur, il créera ainsi des coûts à son distributeur de
360 francs par an pour relever à chaque fois son compteur.


Grâce à l’idéologie de l’OFEN, ce consommateur ne déboursera pas un franc pour
ces constants changements de fournisseurs. Il peut même espérer économiser quelques
centimes grâce à des choix raisonnables. Les coûts importants qu’il génèrera
par ces actions seront entièrement subventionnés par l’ensemble des consommateurs
du réseau, y compris par ceux qui n’ont jamais changé de fournisseur.
L’idéologie malsaine des adeptes de la libéralisation atteint gravement Berne. En réunissant
toutes les conditions de bord possibles pour favoriser un maximum de changements
dans le marché électrique, le Conseil fédéral et l’OFEN pénalisent lourdement
ceux qui ont un comportement stable au profit des aventuriers de l’énergie.




Textes extrais de la documentation pour la conférence
de presse: «L’ordonnance sur le marché de
l’électricité: plus néfaste que tout ce qui était imaginable
»
du 22 novembre 2001 au Käfigturm à Berne
organisée par le comité référendaire contre la loi sur
le marché de l’électricité