A Lire: diplomatie et économie suisse durant la guerre du Vietnam

A Lire:
Diplomatie et économie suisse durant la guerre du Vietnam


Pour
plusieurs générations militantes – dont celle née de l’opposition à la
sale guerre menée par les USA, de 1960 à 1975, en Indochine -,
l’ouvrage de David Gaffino (collaborateur du «Journal du Jura»,
Bienne), paru aux Editions Alphil1, représente une contribution utile à la préservation de la mémoire historique.

Bien
qu’influencée par l’esprit de la «guerre froide» entre l’Est et
l’Ouest, la Suisse reconnaît officiellement le Nord Vietnam en 1971. En
avance par rapport à la plupart des pays occidentaux (sauf la France et
la Suède), cette décision tranche par rapport à l’attitude suisse
envers d’autres «Etats divisés» (Allemagne et Corée).

Selon le résumé des Editions Alphil:

«Pour comprendre les enjeux de cette décision, il faut
remonter aux accords de Genève qui mettent fin à la
guerre d’Indochine 2
et dont la Suisse fut l’Etat hôte. En fait, la diplomatie suisse
nourrit l’espoir d’accueillir une conférence de paix pour mettre un
terme à la guerre du Viêt Nam. Il lui faut pour cela établir des
relations diplomatiques avec Hanoi, l’ennemi de Washington. Mais
l’embargo américain contre le Viêt Nam communiste contraint la Suisse à
manœuvrer avec prudence, entamant un rapprochement à petit pas avec le
régime du Nord, tout en préservant ses échanges commerciaux avec le Sud
et surtout avec les Etats-Unis. Pour la Suisse, l’enjeu est important,
puisque de nombreuses entreprises livrent à Washington des pièces
d’horlogerie destinées à l’effort de guerre au Viêt Nam».3

David
Gaffino révèle «certains épisodes peu glorieux de notre diplomatie,
comme les tentatives d’étouffer l’information concernant les
exportations de pignons et d’engrenages pour l’industrie d’armement
américaine».4 Il signale aussi que la reconversion militaire
des très civils avions Pilatus date de la guerre du Vietnam, bien que
cette reconversion ait été dénoncée à nouveau lors des guerres
d’Amérique centrale (dans les années 1980) par l’Organisation du Peuple
en Armes (ORPA), du Guatemala.

Est aussi démont(r)ée la dialectique des rapports inégaux entre économie suisse5
et diplomatie, gérée par les ministres PS Willy Spühler, puis Pierre
Graber. En dernière instance – «le politique suit en boitant
l’économique» (Friedrich Engels) -, les pas diplomatiques suisses vers
le Nord Vietnam s’effectuent seulement s’ils ne contredisent pas les
intérêts économiques.6

Quelques années avant la fin
de la guerre, il y eut rééquilibrage des investissements suisses entre
le Sud et le Nord Vietnam. Toutefois, au Sud Vietnam, la Suisse était
un «partenaire junior»: les appels d’offre – comme pour la
reconstruction du Koweit (1991) et de l’Iraq (début du 21e siècle) –
bénéficiaient en priorité (selon la logique d’une concurrence «pas du
tout libre et tout à fait faussée») aux alliés des USA (Taïwan et Corée
du Sud), présents militairement au Vietnam…

En conclusion,
un texte – opportunément mis en exergue par David Gaffino -, dont
l’auteur, François-René de Chateaubriand (écrivain catholique,
pamphlétaire monarchiste du 19e siècle) avait pourtant «de la noblesse
et puis du style»7:

«Il y a deux sortes de
neutralité: l’une qui défend tout, l’autre qui permet tout. […] La
neutralité qui permet tout est une neutralité marchande, vénale,
intéressée: quand les parties belligérantes sont inégales en puissance,
cette neutralité, véritable dérision, est une hostilité pour la partie
faible, comme elle est une connivence avec la partie forte. Mieux
vaudrait se joindre franchement à l’oppresseur contre l’oppressé, car
du moins on n’ajouterait pas l’hypocrisie à l’injustice».

A bon entendeur (suisse), salut!


Hans-Peter Renk


1
    David Gaffino, Autorités et entreprises suisses face à la guerre du
Viêt Nam, 1960-1975. Neuchâtel, Ed. Alphil, 2006 (www.alphil.ch)

2
    En 1954, après la bataille de Dien Bien Phu, dont la garnison
française dut se rendre à l’armée vietnamienne, dirigée par le général
Vo Nguyen Giap.

3     Cf. chapitre: «L’horlogerie suisse et l’effort de guerre américain», p. 153-159.

4     Préface de David Bourgeois (ancien directeur des

Archives fédérales).

5
    «Si vous voyez un banquier suisse sauter par la fenêtre, sautez
derrière lui ! Il y a certainement une bonne affaire à faire…»
(Voltaire).

6     Pour une critique (toute diplomatique) de
l’apartheid sud-africain, Willy Spühler (chef du DFAE) fut rappelé
sèchement à l’ordre par les milieux économiques. Après l’affaire des
fonds en déshérence, le Conseil fédéral a mis sous embargo les archives
relatives aux relations économiques Suisse-Afrique du Sud depuis les
années 1960 (les rapports entre barbouzes suisses et sud-africains
ayant par ailleurs émergé grâce à «l’affaire des fiches»).

7     Léo Ferré, «Ni Dieu, ni maître».