Vie et mort de la « Nouvelle gauche socialiste » dans le canton de Neuchâtel

Vie et mort de la « Nouvelle gauche socialiste » dans le canton de Neuchâtel

Le numéro 97 (printemps 2008)
de la «Nouvelle revue neuchâteloise» est
consacré à l’histoire de la


Nouvelle gauche socialiste (NGS),
parti politique neuchâtelois ayant existé d’octobre
1958 à juillet 1963.
1Son
auteur, Raymond Spira, fut membre de la NGS jusqu’en 1962, date
de son adhésion au Parti socialiste (PSN). Cette étude
repose sur une documentation fouillée (déposée
à la Bibliothèque


de la Ville de La Chaux-de-Fonds).

Plusieurs causes expliquent la naissance de la NGS, faisant suite
à la revue «Points de vue», publiée en
1957-1958 à la Chaux-de-Fonds (elle était liée aux
revues «Arguments» en France, dirigée par Edgar
Morin, et «Ragionamenti», à Milan):

  • la crise du mouvement communiste international.
    L’année 1956 fut marquée par le rapport de Nikita
    Khrouchtchev au XXe congrès du PCUS sur les crimes de Staline,
    ainsi que par l’intervention russe de novembre 1956 en Hongrie.
    D’où des interrogations et des critiques sur le
    «socialisme réellement existant» parmi la gauche (y
    compris les partis communistes);
  • une crise dans certains partis socialistes (y compris en Suisse),
    en raison de leur politique gouvernementale (dont la plus scandaleuse
    était incarnée en France par le gouvernement de Guy
    Mollet, couvrant la répression de l’armée
    française en Algérie);
  • le mouvement de décolonisation, avec la guerre
    d’indépendance en Algérie. Plusieurs
    réfractaires français se réfugièrent
    à La Chaux-de-Fonds. A Lausanne, les Editions La Cité
    rééditèrent en 1958 l’ouvrage d’Henri
    Alleg, «La Question», sur la torture en Algérie.

Comme le Parti socialiste unifié (PSU) en France2, la NGS rassembla donc d’anciens communistes – du POP en Suisse3, des socialistes et syndicalistes et des jeunes sans affiliation.

Son programme stipulait: «Nous luttons pour la démocratie
socialiste. Par là, nous entendons la propriété
collective des moyens de production ; la planification de
l’économie ; l’accession des classes populaires au gouvernement
; le respect et l’approfondissement des libertés
démocratiques déjà conquises par le peuple suisse
au cours d’une longue et honorable histoire.»

Durant ses cinq années d’existence, la NGS s’est
engagée notamment contre le colonialisme et l’armement
atomique, en faveur d’améliorations sociales (initiative
pour les 3 semaines de vacances). Lors des élections communales
de 1960, elle fit élire 10 conseillers généraux
(législatif) à Neuchâtel, La Chaux-de-Fonds et
à Fleurier. En 1961, elle obtint 3 députés au
Grand Conseil.

Mais cette action se déroulait dans un contexte difficile: poids
de la «paix de travail» dans le mouvement ouvrier, manque
de relais dans le reste de la Suisse4, évolution de certains «partis frères» à l’étranger.5
A quoi s’ajoutaient une stagnation des effectifs de la NGS et les
approches «amicales» du PSN – avec la participation de
l’ex-secrétaire du Komintern, Jules Humbert-Droz6,
rentré au PSS en 1943 – en faveur d’une
réunification de la gauche (le POP étant voué,
selon ces analyses, tôt ou tard à la disparition…)

Le 2 juillet 1963, une majorité décida de dissoudre la
NGS et d’entrer au PSN. Cette décision s’accompagna
d’une capitulation idéologique en rase campagne: dans
«Le Peuple/La Sentinelle» du 21 août 1963,
René Meylan approuva notamment la réunification des
partis de Nenni et Saragat en Italie, et l’entrée de la
nouvelle formation au gouvernement. Une annonce du dérapage
à très grande vitesse (TGV) de plusieurs anciens de la
NGS vers la droite du PSS, comme le montre l’action de
René Meylan durant son mandat au Conseil d’Etat
neuchâtelois. Par exemple, l’arbitrage, sans que les
revendications ouvrières soient satisfaites, pour
rétablir la «paix sociale», lors de
l’occupation de l’usine Bulova et de la grève
à Dubied en 1976.

Dans son bilan, Raymond Spira estime qu’«une telle
expérience portait en elle dès le début les
stigmates de l’échec. En effet les intellectuels sont par
définition des individualistes réfractaires à
l’embrigadement et à la discipline que nécessite une
action politique efficace.» Même si cet avis relève
plutôt de la théorie calviniste de la
prédestination, nous remercions Raymond Spira de cet hommage aux
thèses organisationnelles du regretté camarade
Lénine («Que faire?», 1902).

Le vrai bilan de la NGS est double (à notre avis): positif pour
le PSN, qui y a gagné des forces militantes; négatif pour
la construction en Suisse d’une alternative à la
social-démocratie, à la «paix du travail» et
au stalinisme.

Hans-Peter Renk


1    Raymond Spira, «C’était
la Nouvelle Gauche: contribution à l’histoire politique du
canton de Neuchâtel», NRN N° 97 (printemps 2008)
2    Marc Heurgon, Histoire du PSU. T. 1: La fondation
et la guerre d’Algérie. Paris, La Découverte, 1994
3    René Meylan et Clovis Leuba
(Neuchâtel), Gilbert Vuillème et Francis Berthoud
(Fleurier), Yves Velan (La Chaux-de-Fonds).
4    Parmi les participants au congrès de
fondation de la NGS, Heinrich Buchbinder (1919-1999), alors membre de
la section suisse de la IVe Internationale, qui publiait la revue
«Arbeiterwort», active
dans le mouvement contre l’armement atomique.
5    En Italie, le Parti socialiste dirigé par
Pietro Nenni rompt avec le PCI, s’unifie en 1962 avec le Parti
social-démocrate de Giuseppe Saragat, pour rentrer dans une
coalition de centre-gauche avec la démocratie chrétienne.
6    Jules Humbert-Droz, Mémoires. T. 4 [1941-1971]. Neuchâtel, La Baconnière, 1973