L’UBS malade du capitalisme: son action a perdu deux-tiers de sa valeur...

L’UBS malade du capitalisme: son action a perdu deux-tiers de sa valeur…

L’été dernier la crise des subprimes
dégénérait comme une traînée de
poudre en une crise financière généralisée.
En effet, lorsque retentissait l’appel des taux de profits
à deux chiffres, le risque importait peu. C’était
la ruée vers l’or, ou plutôt, cette fois-ci, vers la
pierre. Avec, en tête de peloton des grands établissements
financiers, l’UBS. Qu’importait alors que ces
crédits immobiliers subprime, octroyés à hauteur
de 1000 milliards de dollars, aient été consentis
à trois millions de ménages dont la solvabilité
était plus qu’improbable.

Durant tout l’été et une bonne partie de
l’automne, Marcel Ospel, patron de l’UBS, s’est voulu
rassurant. La crise est sous contrôle, il s’agit seulement
d’un «réajustement», et puis… ça
se passe loin de chez nous! Et puis, quand les résultats annuels
ont été publiés, le ton a brusquement
changé: 4,4 milliards de perte nette et 21 milliards de francs
de dépréciations d’actifs. Et cela semble loin
d’être fini… L’UBS a ainsi le triste
privilège d’être la banque européenne la plus
touchée par la crise. On évoque le crash de 1929 et M.
Ospel se dit «traumatisé».

Qu’est-il donc arrivé à l’UBS pour que le
cours de son action tombe à 29 francs (le 10 mars), contre 90
francs cet été, et qu’elle doive accepter une
recapitalisation d’urgence de Singapour et des
pétromonarchies moyen-orientales; cette banque, dont chaque
Suisse apprend pourtant, dès sa tendre enfance, qu’elle
est un modèle de rigueur, de prudence, de fiabilité, bref
une institution «made in Switzerland», comme naguère
une certaine compagnie d’aviation…? En
réalité, la crise actuelle du capitalisme
s’enracine dans… la crise précédente. En
2001, après l’éclatement de la bulle internet, la
banque centrale américaine a orienté les investissements
vers le secteur immobilier en maintenant des taux
d’intérêt très faibles. Voilà
l’origine des subprimes, dans lesquels les dirigeants de
l’UBS, déjà leaders mondiaux de la gestion de
fortune, et aiguillonnés par la volonté d’occuper la
même place dans le secteur de la banque d’affaires, donneront
à plein, via la transformation de ces crédits en titres
de créances négociables qui inonderont les marchés
financiers.

Reste que les déboires de l’UBS et les simagrées de
son conseil d’administration pourraient prêter à
sourire si, au final, les perdant-e-s n’étaient pas
toujours les mêmes. Lorsque la finance se porte bien, c’est une
poignée d’actionnaires, de spéculateurs et de traders qui
s’enrichissent. Mais lorsqu’elle va mal, ce sont les
salarié-e-s, les consommateurs-trices et les
propriétaires les plus modestes qui casquent. Aujourd’hui,
aux Etats-Unis, des centaines de milliers d’habitant-e-s, en
particulier afroaméricains et latinos, ont été
jetés à la rue! On peut donc dénoncer
l’irresponsabilité et la mégalomanie des conseils
d’administration, voire appeler à la démission de
Marcel Ospel. Mais cela ne doit pas faire oublier que la crise des
subprimes est d’abord une crise du capitalisme dans son ensemble.

Entre la sphère financière et l’économie
réelle il n’y a en effet qu’un pas, que la
dérégulation néolibérale de ces
dernières décennies a allègrement franchi.
L’argent avec lequel jouent impudemment les grandes banques,
n’est-ce pas pour une part l’argent épargné
par les salarié-e-s, en particulier par le biais des caisses de
pension? Depuis l’été, les déboires des
banques helvétiques ont ainsi provoqué le départ
en fumée de quelque 30 milliards de francs de fonds de pension
en Suisse. La crise bancaire fait en outre planer la menace d’une
récession généralisée qui
entraînerait une hausse brutale du chômage. Comme semble du
reste l’indiquer une convergence de facteurs économiques,
le pire est encore devant nous.

Les cyniques avancent déjà  que les contribuables
suisses ont au moins évité le plus difficile: un
renflouement de l’UBS aux frais de l’Etat, comme cela s’est
fait récemment avec la Northern Rock en Angleterre et IKB en
Allemagne! L’idéologie néolibérale n’en est pas
effet à une contradiction près… Un courtier
anonyme expliquait récemment à la Wochenzeitung, que
l’intervention des pouvoirs publics ne serait pas
nécessaire en raison des commissions sur la gestion de fortune
qui rapportent des milliards à l’UBS et d’une loi
sur les banques «qui est de l’or (…) [et]
représente un extrême avantage concurrentiel» (7
février).

Pourtant, en l’absence d’un véritable contrôle
démocratique et social des salarié-e-s sur le monde
bancaire mondialisé, qui coïnciderait avec
l’avènement d’une économie tournée
vers les besoins réels des peuples, les propositions de
régulation, même timides, ne manquent pas: taxation des
transactions financières, plafonnement des gains boursiers,
politique monétaire finançant l’économie
productive et l’économie spéculative à des
taux d’intérêt différents, transparence des
comptes, abolition du secret des affaires, etc. Mais la volonté
d’aller dans ce sens fait totalement défaut. Rien
d’étonnant à cela, puisque les
«décideurs» politiques, qu’ils soient de
droite comme «de gauche», s’ajustent de plus en plus
étroitement aux exigences des maîtres de la finance.

Le capitalisme actuel porte le krach comme la nuée porte
l’orage: dix-neuf crises financières centrées sur les
banques ont éclaté depuis 1974. Combien faudra-t-il
encore de retraites parties en fumée, de petites épargnes
dilapidées, de salarié-e-s perdant brutalement leur
emploi ou leur logement avant que les mobilisations populaires imposent
enfin aux dominants un changement radical des règles du jeu?

Hadrien Buclin