Genève: loi sur le chômage, les suites d’un marché de dupes

Genève: loi sur le chômage, les suites d’un marché de dupes

Le 1er février dernier, la nouvelle loi cantonale sur le
chômage est entrée en vigueur. Initiateurs du
référendum populaire contre celle-ci, nous avions
combattu avec ardeur cette loi qui, sous couvert de quelques
améliorations, rendait les chômeurs et chômeuses
responsables de leur situation et tendait à escamoter le
problème du non-emploi plutôt que de l’aborder de
front et tenter de le résoudre.

Nous avions dénoncé ses caractéristiques les plus
graves: la réduction de la durée de protection des
chômeurs et chômeuses par la suppression des emplois
temporaires cantonaux (ETC) et le risque de sous-enchère
salariale induit par la création d’emplois dits
«sociaux» et «solidaires» (ESS).

Confortée par une étonnante et… troublante
unité des partis et des syndicats, la loi a été
acceptée le 16 décembre en votation populaire. Les
revirements de dernières minutes de certains d’entre eux
n’ont, semble-t-il, pas convaincu ou ont été rendus
inopérants par leur manque de conviction.

Orchestration du dumping salarial

Quoi qu’il en soit, cette loi est entrée en vigueur et que
remarquons-nous d’emblée? Que François Longchamp,
conseiller d’Etat en charge du Département de la
solidarité et de l’emploi (DSE), a unilatéralement
– au grand dam des «partenaires sociaux» –
élaboré un règlement d’application et que ce
dernier confirme les craintes que nous avions exprimées. Il fixe
ainsi à 3000, 3500 et 4000 francs, en fonction du niveau de
qualification, les salaires mensuels bruts maximums des ESS. On
transforme ainsi, au passage, un certain nombre d’associations et
d’ONG, a priori respectables, en exécutantes d’une
entreprise sciemment conduite de dumping salarial
particulièrement pernicieuse. (Nous aurons l’occasion
d’y revenir.)

Dans son communiqué de presse du 4 février,
François Longchamp va même jusqu’à
«saluer l’esprit dans lequel le Conseil de surveillance de
l’emploi a travaillé» car selon lui «la grille
salariale a été approuvée à
l’unanimité, moins une voix patronale». Il est
parvenu ainsi à fâcher – enfin? – ceux des
partenaires syndicaux qui l’avaient soutenu et à les
obliger à se démarquer en précisant qu’ils
avaient été placés devant le fait accompli!

Emplois et rétribution au rabais

Mais, signe révélateur, et de mauvais augure s’il
en est, il apparaît au même moment que le DSE, conscient
que ces montants situeraient certaines personnes en dessous des
montants de l’aide sociale prévus pour les chômeurs
et chômeuses en fin de droits, a décidé que
celles-ci recevraient un «complément de salaire»
versé directement par l’Office cantonal de l’emploi,
sans passer par l’Hospice général.

L’attention serait louable, si l’on ne pouvait la suspecter
de viser simplement à endiguer et occulter le flot de personnes
que tous les remaniements des assurances sociales ou dispositifs
sociaux renvoient à l’aide sociale. La mesure serait
peut-être encore discutable s’il s’agissait
d’une forme d’allocation de régulation pour les
personnes rencontrant des difficultés personnelles à
l’égard de l’emploi.

Or, là, il s’agit moins de compenser une diminution
personnelle de la capacité de gain, que d’accepter
l’impossibilité pour le marché du travail
d’intégrer l’ensemble des demandeurs et demandeuses
d’emploi et de les rétribuer correctement. Ce mode de
faire revient à entériner également le fait que ce
travail, car c’en est un, ne doit pas être
rétribué à part entière. Il cautionne une
forme de statut inférieur de l’emploi. Qualifier ce
marché de l’emploi de «secondaire»,
n’enlève rien à la hiérarchisation qui
s’établit ainsi dans le statut du travail!

Vers une vraie CCT, un secteur à organiser

A noter encore que le fait que l’application de la loi sur le
revenu minimum d’aide sociale pour les sans-travail en fin de
droit (RMCAS) soit déléguée à l’OCE
n’en garantit pas une pleine application. Ainsi à
l’heure actuelle, il est impossible de savoir si les aides
ponctuelles qu’elle permet en cas de besoin seront
allouées par l’OCE. Ce qui dans le cas contraire ne
constituerait pas moins qu’un déni de droit. Un de plus!

Aussi, face à cette nouvelle offensive de
dérégulation de l’emploi, il incombe à tous
les acteurs politiques – partis et mouvements syndicaux –
engagés sur le front de l’emploi de veiller à ce
que tous les travailleurs et travailleuses en ESS soient reconnus et
respectés en tant que tels. Il importe dès lors
d’organiser syndicalement ce secteur d’activité et
de défendre le principe d’une Convention collective de
travail (CCT) pour ses employé-e-s. Ce qui ne devrait pas
– en principe – rencontrer d’obstacle dans ce secteur
secondaire de l’économie, qui s’affirme social et
solidaire!

Jocelyne Haller