ItalieDéfendre une constitution issue de la Résistance

Italie
Défendre une constitution issue de la Résistance



La constitution de la
République, notre constitution, a fêté le 1er
janvier 2008, ses soixante ans. C’est beaucoup soixante ans. Trop
peut-être? Celle des Etats-Unis en a pourtant deux cent-vingt et,
dans ce pays, il n’y a aucun mouvement d’opinion qui soit
convaincu que cette constitution est obsolète.  

On le pense en revanche de la nôtre, en Italie. C’est en
particulier le cas de celles et ceux qui exaltent la constitution
américaine et en voudraient une du même genre, oublieux du
fait qu’aux Etats-Unis, la moitié de celles et ceux qui
ont droit au vote ne l’exercent pas, parce qu’ils savent
que leur vote n’a aucune espèce d’influence sur
leurs conditions de vie (un tiers de la population n’a pas droit
aux assurances maladie, vieillesse ou chômage). Une partie de la
classe politique italienne voudrait une constitution de ce même
type, ignorant le fait que le plus éminent politologue
états-unien, R. A. Dahl, cherche
désespérément à rendre la constitution
états-unienne démocratique. La valeur d’une
constitution n’attend pas le nombre des années. Elle est
bien plutôt affaire de contenus.

Débattre de contenus

Si nous étions dans un pays sérieux, avant d’en
déclarer l’obsolescence et d’en
décréter la mise au rebut, certaines questions seraient
soulevées. On devrait dire que le catalogue des droits civiques,
politiques et sociaux sanctionnés par la constitution de 1948
est insuffisant ou dépassé. On devrait dire explicitement
que l’on ne veut pas la reconnaissance et la garantie des
libertés individuelles (établissement, circulation,
réunion, association, religion, opinion); que l’on veut
dénier ou réduire le droit de toutes et tous à la
citoyenneté, à l’action en justice pour la
défense de leurs droits et intérêts
légitimes. Je pourrais continuer en citant les droits qui ont
trait aux rapports éthiques et sociaux (famille, enfants), le
droit à l’instruction, les droits
économiques… Le vrai problème est celui de mettre
en œuvre la constitution et non de la mettre au rebut.

En définitive ne serait-ce pas les droits sociaux que l’on
veut réduire ou même supprimer? Le droit à la
santé? Le droit du travailleur-euse à une
rétribution proportionnelle à la quantité et
à la qualité de son travail, en tout cas suffisante pour
lui assurer une existence libre et digne, ainsi qu’à sa
famille? Le droit à la subsistance et à
l’assistance sociale pour les handicapé-e-s et pour toutes
celles et ceux qui sont dépourvus des moyens nécessaires?
Le droit des travailleurs-euses à la prévoyance sociale
en cas d’accident, de maladie, d’invalidité, de
vieillesse, de chômage involontaire? Un droit qui réponde
au devoir des entrepreneurs, dans la conduite de leur activité
économique privée, d’agir de façon à
ne pas s’opposer aux intérêts de la
société ou à ne pas causer du tort à la
sécurité, à la liberté et à la
dignité humaines?

Une révision qui dissimule ses objectifs

N’est-ce pas ces droits qu’il s’agit d’amputer?
Qu’on le dise explicitement. Qu’on ne cache pas cette
intention derrière des voies détournées, comme
celles qui visent à réduire les exigences sociales en
limitant la représentation populaire et en la bornant à
l’investiture de gouvernants plus ou moins absolus. Le
développement de la constitution est un problème
réel, mais il doit viser à la renforcer, et non à
en renverser l’esprit et le contenu. La loi électorale
doit être modifiée, mais pour rendre crédible et
authentique la représentation, pas pour transformer 25% des voix
en 53% des sièges parlementaires.

En réalité, une action destructrice du système
politique, qui vise à en instaurer un autre, est en marche.
À travers le référendum, on vise à changer
– rien que ça! – la forme du gouvernement.
L’initiative sur laquelle devra se prononcer le 16 janvier la
Cour constitutionnelle (…) a été taxée, en
janvier 2007 par le Président du Comité promoteur, de
«Constituante» ou de «presque Constituante».
Comme si le peuple italien, dans son écrasante majorité,
n’avait pas déjà, il y a quelques mois,
renouvelé son appui clair, explicite et solennel à la
constitution républicaine et à sa forme de gouvernement
parlementaire. Nous devons dire: bas les pattes devant la constitution
républicaine! Que nul ne se permette d’éluder, de
rendre vaine ou de nier la volonté populaire. (…)

Gianni Ferrara*
 


 *Gianni Ferrara, ancien député de
Refondation communiste (PRC) est l’un des constitutionnalistes
italiens les plus renommés. Cet article est tiré de Il
Manifesto du 2 janvier 2008. Titre, intertitres et traduction de notre
rédaction.