Crise pakistanaise et apprentis sorciers

Crise pakistanaise et apprentis sorciers

L’assassinat, le 27 décembre, de Benazir Bhutto, ancienne
Première Ministre et présidente du Parti du peuple du
Pakistan (PPP), a suscité un mouvement de révolte
populaire peut-être sans précédent dans le pays par
son ampleur: des centaines de milliers de personnes ont
participé aux funérailles dans la province
méridionale du Sind, mais se sont aussi attaqué aux
symboles du pouvoir […]. Emeutes et répression ont fait des
dizaines de morts. Les manifestant-e-s ont mis clairement en cause la
responsabilité du régime Musharraf dans le meurtre (ne
serait-ce que pour n’avoir pas assuré la protection de la
défunte) et dans la crise sans fin qui taraude le pays.
Même s’il s’avérait que les islamistes
étaient les auteurs de l’assassinat, ce qui est possible,
ils auraient pu (et dû) bénéficier de
complicités actives dans les services spéciaux ou
l’armée.

Les coupables…

On ne saura peut-être jamais qui a commandité le meurtre
de Benazir Bhutto. Mais on connaît bien en revanche les
responsables de la crise pakistanaise dont cet assassinat n’est
que le dernier avatar. Les puissances impérialistes tout
d’abord, qui n’ont cessé de jouer les apprentis
sorciers. Les Britanniques, qui à force de diviser pour
régner ont présidé en 1947 à la partition
de leur Empire des Indes, sanglante vivisection. Les USA, qui ont
soufflé sur les braises du fondamentalisme religieux pour mieux
combattre les Soviétiques en Afghanistan et installé les
talibans des deux côtés de la frontière, avant
d’exiger d’Islamabad un brutal retournement au nom de la
«guerre anti-terroriste», nouvelle croisade occidentale.
L’UE et la France enfin, qui, à l’instar de Londres
et Washington, se sont bien accommodés d’une suite de
régimes militaires à la Musharraf.

Premières coupables, les classes dominantes occidentales. Mais
les classes possédantes pakistanaises n’ont pas
été en reste. Elles ont accueilli en leur sein la caste
militaire, entrée en affaires, tout en maintenant dans des
conditions de dépendance et d’exploitation extrêmes
des secteurs entiers de la paysannerie et du salariat […]. Elles ont
usé et abusé du communautarisme […]. Elles ont nourri
le radicalisme islamiste pour nouer des alliances et affaiblir des
mouvements nationalistes, au Baloutchistan notamment. Elles ont
privatisé la politique et le pouvoir, le Parti du peuple (PPP)
devenant pour sa part propriété du clan Bhutto. Elles ont
étouffé les traditions laïques, puissantes dans
l’islam asiatique, au profit d’une définition
toujours plus religieuse et divisive de l’Etat. A force de
corruption, de népotisme et de prévarication, elles ont
déconsidéré le régime parlementaire,
identifié à l’affairisme. Comment dans ces
conditions fonder une démocratie?

Une faillite sans appel!

Le prix à payer pour l’incurie des bourgeoisies
impériales et locales a été et reste terrible. Les
millions de morts de la partition de 1947, la guerre de 1971 et la
sécession du Bangladesh, les meurtriers affrontements entre
sectes musulmanes, la montée en puissance d’un ordre moral
féodal dont les femmes sont les premières (mais pas
seules) victimes, la surexploitation du travail, une
géopolitique guerrière dont les pays de la région
sont otages, un face-à-face nucléaire
indo-pakistanais… Le bilan de faillite est sans appel.

Pourtant, après l’assassinat de Bhutto lesdites
bourgeoisies persistent et signent. Washington passe par pertes et
profits le meurtre de sa protégée, confortant une fois
encore la dictature Musharraf. Le PPP nomme à sa tête
Bilawal, étudiant de 19 ans vivant en Angleterre mais fils de
Benazir, cornaqué par son père: on reste en famille!
Plutôt que d’amplifier la campagne de boycott des
élections générales et d’imposer un
changement de régime, l’opposition
«respectable» (PPP et PLM-N réunis) négocie
un compromis sur leur report. Tous font comme si les immenses
mobilisations de 2007, en défense d’une magistrature
devenue indépendante, n’avaient pas eu lieu.
L’aspiration démocratique s’est néanmoins
manifestée avec particulièrement de force l’an
passé, au point qu’il a fallu pour la juguler
l’état d’urgence imposée par un
général-président aux abois.

Une alternative a commencé à se dessiner dans la rue –
mais sans que le lien entre cet élan démocratique et les
revendications sociales des plus démuni­­­­-e-s
ne soit noué. La gauche et les mouvements ouvriers ou populaires
sont en effet historiquement marginaux au Pakistan, ce qui constitue le
véritable talon d’Achille des combats progressistes en
cours. C’est auprès du mouvement démocratique en
général, mais tout particulièrement auprès
des forces qui, comme le LPP (v. encart), tentent de consolider ce
maillon faible, que notre solidarité doit se manifester.

Pierre Rousset *


*    Article du 1.1.2008 en ligne sur www.europe-solidaire.org

8-9 décembre 2007 : Congrès du LPP

Le congrès du Labour Party of Pakistan (LPP) s’est
réuni quelques jours avant la levée de
l’état d’urgence, imposé par Musharraf. Pour
saisir l’opportunité d’une réduction relative
de la répression, et pour discuter en urgence des tâches
politiques, il a dû être convoqué en une semaine.
Pourtant, 126 délégué-e-s de toutes les
régions et 35 observateurs-trices s’y sont
retrouvés…

La discussion internationale a porté sur le Venezuela, la
«guerre contre la terreur» de Washington et ses effets dans
les pays musulmans, la mondialisation impérialiste et les
résistances qu’elle suscite, la crise climatique… Sur la
situation au Pakistan, les débats se sont concentrés sur
les récentes mobilisations des avocat-e-s, étudiant-e-s,
militant-e-s sociaux et médias, ainsi que sur l’analyse du
régime Musharraf, qualifié de «dictature
faible» n’ayant pas réussi à gagner un
soutien de masse par le biais de sa prétendue croissance
économique.

L’état d’urgence avait pour but premier de se
débarrasser d’une magistrature devenue trop
indépendante et de préparer des élections
frauduleuses. Dans ces conditions, le congrès a repris
l’appel au boycott des législatives, lancé par le
mouvement des avocat-e-s.

Sur les questions d’organisation: Les statuts du LPP ont
été amendés pour les rendre plus
démocratiques, avec la création de cinq
secrétariats (éducation et culture, mouvement ouvrier,
paysans, femmes, étudiants). Décision a été
prise de créer une nouvelle organisation étudiante. Le
débat a été vif sur l’amendement
(accepté à sept voix de majorité) limitant
à deux mandats (quatre ans) l’élection des
responsables nationaux. Toutes les régions sont
représentées dans le comité national de 21 membres
– dont six femmes (elles n’étaient que deux
auparavant) –, élu à bulletin secret.  

(pv)