Enquête sur la condition prostituée

Enquête sur la condition prostituée

«Le phénomène complexe qu’est la prostitution
ne gagne rien à être appréhendé en termes
univoques. Pas plus sa conception populiste comme métier
à reconnaître, que sa qualification misérabiliste
comme esclavage, ne permettent de comprendre pourquoi des personnes
s’engagent dans cette activité et s’y
maintiennent». Voilà ce qu’affirme Lilian Mathieu
dans une enquête sociologique novatrice, publiée sous le
titre de La Condition prostituée, aux éditions Textuel,
Paris, 2007. Mieux que de tenter d’en résumer
l’argument très riche, nous en reproduisons ici de brefs
passages (pp. 41-44) qui donneront sans doute envie à nos
lecteurs-trices d’en lire plus…
(réd.)

En quoi une enquête sociologique davantage attentive à
l’expérience et à la pratique concrètes des
individus qui exercent la prostitution qu’à son
«sens» peut-elle permettre de définit une politique
mieux adaptée que celles qui sont déjà
expérimentées et en cours d’élaboration?
(…) Entre la reconnaissance de la prostitution
(s’accompagnant ou non d’une réglementation plus ou
moins stricte ou protectice) et sa disqualification comme fléau
(social ou moral) à faire disparaître, y a-t-il une place
pour des politiques alternatives? (…)

Envisager, pour une fois, la prostitution, non pas sous l’angle
principal, voire exclusif, de la sexualité ou des rapports
hommes-femmes, mais comme ce qui permet aux individus qui
l’exercent de s’assurer leur subsistance, offre les moyens
de la rapprocher d’autres activités qui, elles aussi,
permettent, malgré leur illégitimité, à
celles et ceux qui les pratiquent, de vivre ou de survivre. La
prostitution nous semble gagner à être rapprochée
de ces autres sources de revenus, que sont le vol, le deal ou la
mendicité – rapprochement d’autant plus
légitime que les personnes prostituées sont relativement
nombreuses à les exercer en complément ou en substitution
à la sexualité vénale.

Le parallèle avec la mendicité nous semble de ce point de
vue particulièrement éclairant, et pas seulement parce
que celle-ci est réprimée au même titre que le
racollage. La mendicité est elle aussi une activité de
dernier recours, mais qui exige savoir-faire et compétences
spécifiques (notamment en matière de présentation
de soi et d’engagement dans l’interaction avec le donateur
potentiel), qui est prise dans une dynamique concurrentielle (comme
pour la prostitution, les «bons coins» plus
rémunérateurs sont disputés) et qui expose
à des formes d’exploitation par autrui. La prostitution
est certes une activité plus rémunératrice que la
mendicité, et qui exige davantage de la personne qui
l’exerce – en premier lieu de son corps –, il
n’en reste pas moins qu’elle est elle aussi une
activité dans laquelle on s’engage faute
d’alternative et selon une logique de survie, mais qui
exercée dans certaines conditions d’autonomie et de
clairvoyance, peut s’avérer rémunératrice au
point de la faire préférer à d’autres
activités plus légitimes ou à d’autres
revenus assistanciels.

La mendicité, un métier comme un autre exigeant sa
reconnaissance? La provocation n’est là que pour faire
entrevoir l’impasse des revendications de reconnaissance de la
prostitution comme métier, tout en soulignant la
légitimité des revendications d’accès aux
droits sociaux qu’expriment les prostitué-e-s. Le
rapprochement entre prostitution et mendicité autorise ainsi
à considérer la prostitution comme une forme de
«désaffiliation» (…),
c’est-à-dire comme une expression de cet individualisme
négatif qui frappe «tous ceux qui se retrouvent sans
attaches et sans supports, privés de toute protection et de
toute vreconnaissance»1 et qui s’exprime dans le
chacun-pour-soi désespéré qui mine l’espace
de la prostitution. De ce point de vue, toute politique de la
prostitution (…) doit viser à faire des
prostitué-e-s de complets individus, maîtres de leur
existence et à même de faire, véritablement, des
choix conscients et informés – et spécialement le
choix de refuser tout rapport sexuel contre rémunération,
mais aussi, on ne saurait en exclure a priori la possibilité
même si on la suppose improbable, d’user de sa
sexualité de manière à en faire une source de
revenus.

Contrairement à ce que suggère la pensée
libérale, produire un tel type d’individu
propriétaire de lui-même est une opération
éminemment collective, puisque sociale: la maîtrise de son
existence, ainsi que la capacité à faire des choix ne
sont possibles qu’à condition que soient présentes
et efficaces les protections de l’Etat social. Ce sont elles,
mais certainement pas la répression ni la compassion
condescendante, qui sont à même de faire un jour
disparaître la prostitution en proposant des alternatives
crédibles à la sexualité vénale.

1 R. Castel, Les Métamorphoses de la question sociale, Paris, Fayard, 1995.


Campagne Euro O8 contre la traite des femmes

Une large coalition composée
pour l’instant principalement d’organisations suisse
alémaniques prépare pour l’année prochaine
une campagne contre la traite des femmes en Suisse. Cette campagne
comprendra d’une part une partie «sensibilisation du grand
public», qui se déroulera lors du championnat de foot Euro
2008, et d’autre part une campagne politique avec une
pétition adressée aussi bien à la
Confédération qu’aux cantons.

Or, le lancement de cette partie politique est planifié pour le
8 mars prochain, avec une action de rue dans les villes-hôtes de
l’Euro 2008. L’idée est de tenir une action
similaire, en même temps, avec un même visuel symbolique,
et le même matériel, afin de vraiment donner une image
forte et unitaire de la campagne et un soutien à ses
revendications politiques. Le visuel symbolique consistera en un
cortège de femmes portant des masques gris, liées entre
elles par un filet (ou des chaînes) représentant les
facteurs qui favorisent la traite: pauvreté, manque de
perspectives, demande masculine, législation discriminatoire,
profit, etc…, mentionnés sur des panneaux. L’action aura
lieu dans les grandes rues commerciales de toutes les villes, autour de
midi.

La préparation de ces actions est déjà en cours
à Berne, Bâle et Zurich, où presque toutes les
organisations de femmes et les autres organisations
intéressées sont impliquées. A Genève, 4e
grande ville de l’Euro 2008, il semble malheureusement un peu
plus difficile, pour différentes raisons, de rassembler
largement autour d’une telle action concertée. Deux
rencontres d’information et d’échanges ont
déjà eu lieu, mais avec peu de participation et ne
débouchant pas sur des résultats concrets. Seul le groupe
des femmes d’Amnesty International est prêt à
s’engager de manière active…

Le comité 14 juin de Genève prévoit par ailleurs
une grande rétrospective de films de Carole Roussopoulos, le 8
mars à Genève, qui ne devrait évidemment pas
être concurrencée par cette action. Cependant, les
organisatrices de cet événement ne considèrent pas
que le lancement de la campagne anti-traite, prenant la forme
d’une action de rue, soit incompatible avec leur initiative,
d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’une
manifestation du 8 mars proprement dit, mais d’une action
symbolique concertée.

Le comité de la campagne aimerait donc faire encore un effort
pour rendre possible un lancement en parallèle de la campagne
dans les quatre grandes villes de l’Euro 2008. Les
dernières réponses étaient attendues pour le 18
décembre.

Pour contacts et renseignements:

Yvonne Zimmermann
Coordinatrice de la campagne
Euro 08 contre la traite des femmes
c/o FIZ, Badenerstrasse 134, 8004 Zürich

mailto:kampagne-em08@fiz-info.ch

http://www.traitedesfemmes2008.ch