Pratique théâtrale impérialiste

Pratique théâtrale impérialiste

Le lieu de l’emploi

«Le théâtre est ce lieu où l’on regarde
parler, où l’on écoute les images… et où
l’on s’emploie à entendre ce regard et à
imager cette parole.»

Quelqu’un est là: tout commence par cette présence… Quelqu’un attend: tout est dans cette attente…

Donc, on est là.

Assis, ou debout, parfois accroupi, rarement – très rarement – couché.

Fauteuil, chaise, banc. Ou tabouret, strapontin.

Dans une salle dite «de théâtre», ou
(horreur!) «polyvalente». Ou de fortune, voire
«d’infortune»… Ou alors, comme on dit, dans un
«lieu» (ah! les lieux): paysage, ruines, esplanade de
château, place publique, stade, etc. Dans la rue, plus ou moins
clandestinement, (étrange?), dans une usine (surtout vers 1968),
ou dans une école (aula, préau, salle de classe…). Et
d’autres variations, quasi à l’infini.

Mais, on a payé pour être là.

Par anticipation dans la plupart des cas. Anticipation
immédiate: billet à l’entrée. Ou
différée: abonnement, souscription. Ou alors par paiement
médiatisé: spectacle dit «gratuit», mais que
l’on s’est offert, en fait, par subvention (donc
impôt), ou par prélèvement sur des
bénéfices commerciaux – où nous sommes
indirectement «partie donnante» (sponsoring).

Parfois, c’est après que l’on paie: quête, ou participation financière aux frais.

Avec obligation, ou «liberté» (et dans ce dernier
cas, généralement on paie – par contentement,
lâcheté, apitoiement… ou simplement par
charité…).

Mais, pourquoi est-on, donc, là?

Le temps de l’usage

Le retour surdéterminé de l’imaginaire sur la
scène avoue la tentation cyclique de l’irruption de la
nature – a fortiori de la «nature humaine». Humanisme
honteux, larvé, il s’accompagne d’une tentative
spectaculaire: envahir la scène «naturelle» par une
pratique théâtrale impérialiste. Cette double face
d’un «nouveau naturalisme esthétisant» postule
en contrepartie un effacement quasi total du symbolique. Mais cela ne
va pas sans un certain retour de ce refoulé sous la forme
hautement dégradée de «symbolisme».

La scène ne veut plus «supporter» le texte, elle se
contente de «suer» les déchets organiques d’un
texte «censuré»: elle n’est plus qu’un
lieu où l’on sécrète les images d’une
poétique «absentée». Et cependant, elle
n’organise pas pour autant – à quelques rares
exceptions – la mise en discours de sa propre
matérialité: elle ne se risque pas à la fable des
images. Elle ne «monte» pas: elle «colle».
D’une gluance informe. Dans la profusion du figural sans figure
(ou défiguré), elle se cache – et cette
dissimulation démarque les partis non pris.

La nouvelle théâtralité ouvre un espace de jeu
où le texte n’est pas redoublé par la
«nature», ni la «nature» par le texte:
redondance; non plus érodé par l’image: fuite,
évasion – sols naturels (sable, terre, boue…), climats
(neige, brouillards, pluie…), arboriculture et bestiaire à
n’en plus finir (un seul hêtre vous manque est tout est
déboisé – ah! les étranges comédiens
à conduire que les animaux!), ou, contradictoirement, tentatives
spectaculaires et spéculaires d’envahir une
«scène naturelle» par une pratique
théâtrale impérialiste: usines
désaffectées, ruines féodales, cours plus ou moins
des miracles, manèges, bunkers, palais ou W.C….: on joue
PARTOUT, c’est-à-dire NULLE PART.

Et tout cela, nature sur scène ou scène naturelle, pour
assurer le primat de la «nature humaine» de l’homme
(tautologie).

André Steiger


Spectacle d’André Steiger:
«Le divan des tricheurs» ou «Les médecins imaginaires» – Montage Molière/Steiger
Théâtre Tumulte de Neuchâtel/Serrières: du 30 novembre au 16 décembre