Au nom de l’ordre et de la sécurité

Au nom de l’ordre et de la sécurité
Ah, qu’il est doux d’épater le populo!

On les appelle Roms, Gitans,
Bohémiens, Manouches, Tsiganes ou Jenischs. Les nazis leur ont
fait porter le triangle noir des asociaux avant de les exterminer en
masse; après la Deuxième guerre mondiale, ils ont
été repoussés aux marges des
sociétés, en particulier dans l’Est
européen. Victimes toutes désignées, par leur
isolement, des politiques xénophobes et de guerre
prolongée aux pauvres, ils viennent d’être
expulsés de France et d’Italie ­– où
l’on a du reste largement amalgamé Roms et Roumains, le
gouvernement de centre gauche de Prodi fait dans la répression
en gros. Genève a suivi, minablement, comme il convient à
la Cité internationale de la Paix et des droits de
l’homme. Et déjà, Lausanne s’inquiète
d’un possible afflux… A Genève, cpmme à
Lausanne, nos camarades ont pris la défense des Roms. (ds)

[…] La droite du Grand conseil genevois se garde bien de
préciser qu’on leur interdit de travailler, quand elle
distingue une nouvelle fois entre les bons et les mauvais. Pour elle,
les Roms sont les mauvais, car responsables d’un sort
qu’ils auraient choisi librement, celui d’être
pauvres, contrairement aux bons SDF bien de chez nous, qui seuls
mériteraient de mendier et de recevoir nos oboles… Si les
Roms volaient, au moins, on pourrait les arrêter et les
soustraire à notre vue! En attendant, il faudrait
réactiver le système des amendes, dans un but dissuasif
et humiliant…

La droite entretient ainsi une image figée de tout un groupe
humain qu’elle désigne comme bouc émissaire,
à l’instar de la diabolisation des juifs que ces
mêmes milieux politiques prenaient pour cible à
l’époque. Si l’on ne peut «accueillir toute la
misère du monde», on peut bien, par contre, accueillir
tout l’argent du monde: on en gèrerait près du
quart, rien qu’à Genève!

[…] Les mesures prises par les exécutifs dits de gauche
du canton et de la Ville ne visent qu’à satisfaire une
partie de la population victime des manipulations de la droite qui ne
sait plus qu’inventer pour faire croire à une augmentation
de l’insécurité. Or:

  • il ne s’agit que de 3 ou 4 familles de deux villages
    roumains qui ont choisi la légalité en venant mendier
    à Genève. Ces Roms ne représentent pas toute la
    misère du monde et les respecter n’est pas ouvrir la porte
    à un flot massif de mendiants;
  • ils ont le droit de résider 3 mois par an où ils veulent en Europe, donc également à Genève;
  • mendier ne fait pas d’eux des délinquants. Leur seul
    délit consiste à déranger notre bonne conscience.
    Depuis plusieurs années, la police nous répète
    qu’ils ne volent pas, ne sont pas violents, ne forment pas une
    mafia, et qu’ils circulent sans histoire quand on le leur demande;
  • ils préféreraient travailler, mais on le leur interdit;
  • ils ont une culture que l’on sait par ailleurs
    apprécier: leur poésie (cf. la poétesse Papusza,
    morte en 1987), les films comme «Latcho Drom» de Gatlif,
    leur art de la danse et de la musique, que ce soit du flamenco ou de la
    musique tzigane, parente de la musique juive kletzmer.

Nous demandons donc aux autorités du canton et de la Ville:

  • de ne pas interdire la mendicité à des personnes
    sans ressources, tant qu’elles n’ont pas accès au
    minimum vital garanti par notre Constitution;
  • de respecter leur droit de résider ici durant les 3 mois;
  • de leur donner accès, durant tout ce temps, au moins à des abris PC;
  • d’ouvrir un lieu d’accueil, avec encadrement scolaire
    et repas gratuits, pour les quelques mineurs qui les accompagnent;
  • de définir avec ces familles les projets de
    développement les plus urgents à financer et à
    réaliser dans leurs villages d’origine (réseau
    d’adduction et d’évacuation d’eau,
    écoles et crèches, etc.).

Ces revendications feront certainement l’objet d’une
intervention du groupe municipal d’A Gauche toute! qui devrait
déposer deux motions allant dans ce sens.

Mais nous savons que la solution ne peut se trouver qu’au niveau
européen pour amener les pays dont les Roms sont ressortissants
à les respecter dans leur différence, tout en leur
donnant les moyens de travailler, de se former, et
d’accéder à une vie décente sans devoir
s’expatrier.

 Jacques Mino


Une discrimination ouverte à motivation raciale

La population rom constitue la minorité la plus importante et la
plus vulnérable d’Europe et compte, selon les estimations,
entre 7 et 9 millions de personnes. N’ayant pas de patrie
ancestrale, près de 70 pour cent des Roms vivent en Europe
centrale et orientale et dans les pays de l’ex-Union
soviétique. […] Depuis des siècles, les Roms sont
victimes d’une exclusion sociale, politique, économique ou
géographique qui a pris la forme d’une discrimination
ouverte à motivation raciale. Confrontés aux
préjugés et à la peur de ceux qui les jugent comme
un peuple inférieur et dangereux, les Roms vivent en
général dans des ghettos, en marge de la
société. L’accès à certains
restaurants et autres lieux publics peut même leur être
interdit. Les Roms sont aussi l’un des groupes culturels les plus
démunis d’Europe centrale et orientale. Des recherches ont
révélé que près de 84 pour cent des Roms de
Bulgarie et 88 pour cent des Roms de Roumanie vivent en des sous du
seuil de pauvreté national. La pauvreté des Roms est
encore plus prononcée en Hongrie, où 91 pour cent du
groupe vit en dessous du seuil de pauvreté national.

Extrait du rapport 2006 de l’Unicef sur la situation des enfants dans le monde

Ce n’est donc pas dans une inadaptation économique
viscérale, comme on le croit trop souvent, qu’il faut
chercher l’explication d’une exclusion des Tsiganes.
Celle-ci paraît bien être plutôt le fait des pouvoirs
publics qui, en Europe occidentale tout d’abord (et
singulièrement en Espagne) puis en Europe centrale et orientale,
se sont échinés pendant des siècles à
présenter les Roms comme une population allogène et
asociale, sans culture propre. Parmi divers moyens guerriers,
coercitifs et idéologiques, l’image manipulée des
Tsiganes, population fainéante, errante et dangereuse, allait
contribuer à fixer les représentations collectives des
peuples assignés à résidence sur des territoires
bordés de frontières. […]

Alain Reyniers, Le Courrier de l’Unesco, juin 2000