Revendications abstraites ou perspectives ?

Revendications abstraites ou perspectives??

Pour se mettre d’accord sur des perspectives, il faut commencer
par une «analyse concrète de la situation
concrète» commune. Le cahier émancipation de
solidaritéS paru en été a fait apparaître
des divergences, c’est pourquoi la partie perspectives a dû
être reportée.

Le-la lecteur-trice averti pourra constater que «deux
écoles» se confrontent. La première voit
l’immigration comme un phénomène subjectif, les
facteurs structurels seraient secondaires. Il s’agirait
dès lors de faire triompher la tolérance et la
liberté de circuler. La deuxième voit l’immigration
comme un phénomène structurel, ne ressortant plus de
choix individuels mais de contraintes liées à diverses
causes, chacune de ces causes donnant un type d’immigré-e:
demandeurs-euses d’asile, sans papier ou travailleurs
migrants.  

Apparemment ces «deux écoles» devraient pouvoir se
mettre de suite d’accord sur des objectifs minima, appelés
perspectives. Ce n’est malheureusement pas si simple. Pour cela
il faut aussi avoir un point de vue commun sur les évolutions du
phénomène, parce qu’elles dicteront les politiques.
A mon avis, les flux migratoires s’intensifieront sous plusieurs
impulsions:

  • Tout indique que les contradictions politiques se
    développeront, cela sera une source intarissable de demandes
    d’asile.
  • Les demandes d’asile croîtront également,
    paradoxalement comme conséquence du durcissement des conditions
    d’accueil dans les pays dits développés
  • Les décalages entre les régions
    «riches» et les pauvres se creuseront encore, cela
    suscitera des migrations «économiques»
    interrégionales et internationales parfois massives.

Les pays d’accueil d’une partie de l’immigration,
soit les pays européens et l’Amérique du Nord ont
tous une politique restrictive et discriminative pour tenter
d’enrayer, ou de contrôler les flux migratoires. Ils se
basent tous sur la peur dite du «raz-de-marée»
relayée par l’extrême droite. Les immigré-e-s
seraient des paresseux qui viendraient profiter de nos bonnes
conditions de travail et de nos prestations sociales Une facette plus
évoluée, ou plutôt plus inconsciente de cette peur
est le refus de considérer que le «marché du
travail» s’est mondialisé, qu’il n’y a
donc plus de frontière pour les travailleurs-euses, et que la
politique d’immigration doit partir de ce fait.

La question du raz-de-marée se pose-t-elle? Ceux-celles qui en
ont peur invoquent deux raisons: la perte des identités pour
l’extrême droite, les arguments péjorant les lois
sur l’immigration pour les «humanistes». Tout
à fait involontairement certain-e-s de ces derniers-ères
vont jusqu’à utiliser l’argument de la misère
qui nous protègerait pour répondre à
l’extrême droite… comme si le maintien de cette
misère était souhaitable!

La réalité est que la misère est un frein pour
l’immigration des pays très pauvres aux pays très
riches généralement très éloignés,
mais elle n’est aucunement un frein pour les immigrations des
pays très très pauvres aux pays un peu moins pauvres. Les
émigrant-e-s des pays très très pauvres
n’ont en effet pas les moyens de se payer les passeurs jusque
vers les pays dits riches.

La théorie du raz-de-marée doit être laissée
à l’extrême droite, et nous devrions nous occuper de
nos problèmes: il y aura poursuite des flux migratoires, les
lois tendant à les restreindre ne font que durcir les conditions
pour les immigré-e-s, et, surtout, tendanciellement divisent les
autochtones et les immigrés, de ce fait divisent le camp des
travailleurs-euses. Or nous n’obtiendrons jamais des meilleures
conditions pour les immigré-e-s si le camp des
travailleurs-euses est divisé. Cela doit être notre but.

La confusion entre buts à atteindre et perspectives est souvent
entretenue. Dès lors les perspectives deviennent une longue
liste de revendications toutes plus belles les unes que les autres,
mais aussi sans vie. Il faut éviter cette confusion.

En général les perspectives, souvent formulées
sous forme de «revendications», ne posent pas de
problème. Par exemple tout le monde à gauche ou dans les
milieux humanitaires est d’accord sur les principes de la libre
circulation des personnes et de l’unité des
travailleurs-euses. Tout le monde est d’accord pour
intégrer ces principes sous forme de lois ou de fondements
constitutionnels.

Les difficultés ne commencent qu’avec le constat que
revendiquer ne suffit pas, il faut des stratégies pour imposer
les revendications, et ces stratégies portent sur
l’appréciation du politique, des rapports sociaux, des
forces sociales sur lesquelles s’appuyer. Dans les milieux
s’occupant d’immigration rien n’est clair sur ces
questions, c’est la raison de nos échecs.

Le premier but de notre stratégie doit être
l’unité des travailleurs-euses. Sans elle rien n’est
possible, pour les immigré-e-s et pour les travailleurs du monde
entier.

Christian Tirefort

Débat sur les perspectives suite à la journée du 24 février sur l’immigration

Comme nous l’indiquions dans l’introduction1 du cahier
«émancipationS» paru début juillet dans le
numéro 111 du journal et disponible sur notre site www.solidarites.ch,
la notre «journée de débats sur
l’immigration» sur le thème «Quels autres
choix politiques sur les flux migratoires que des murs?» a fait
apparaître des contradictions sur les orientations à
mettre en œuvre pour affronter cette problématique.

 Les deux textes qui suivent sont deux contributions exprimant des
points de vue divergents sur les phénomènes migratoires.
Un des buts de ces journées de débats organisées
dans le cadre de solidaritéS est précisément de
faire émerger ce type de discussions. Le débat doit
continuer…