Violation des droits syndicaux en Suisse:Rapport de la Confédération syndicale internationale (2007)

Violation des droits syndicaux en Suisse:
Rapport de la Confédération syndicale internationale (2007)

Dans son Rapport 2007 sur les violations des droits syndicaux1, publié à la mi-septembre, la Confédération Syndicale Internationale (CSI)2
revient longuement sur le cas de la Suisse. Ces informations
n’ayant pas fait la une des journaux, nous les reproduisons ici
in extenso.

Les limitations du droit de grève ont persisté, à
tel point que les grèves sont interdites dans certains cantons
et de nombreuses communes. Un jugement du Tribunal
fédéral paru en décembre 2005 a créé
un précédent inquiétant. Alors qu’il a
défendu le droit du syndicat d’organiser un piquet de
grève, le tribunal a également rendu responsable le
syndicat du paiement des frais encourus pendant le conflit, y compris
les coûts écrasants d’un service privé de
sécurité. Le gouvernement suisse a contesté une
décision de l’OIT concernant la protection insuffisante
des représentant-e-s syndicaux. Plusieurs cas de violations ont
été rapportés pendant l’année.

Libertés syndicales en droit

Reconnaissance de la liberté syndicale et du droit de grève:
Une clause de la Constitution fédérale (article 28),
entrée en vigueur en janvier 2000, reconnaît explicitement
le droit des travailleurs-euses à former des syndicats et
à s’y affilier. Cette clause reconnaît
également la légalité des grèves, pour
autant qu’elles se rapportent aux relations de travail et soient
conformes «aux obligations de préserver la paix du travail
ou de recourir à une conciliation». Il faut que la
grève soit menée par une organisation ayant la
capacité de conclure des conventions collectives de travail
(CCT).

Limitation de l’action de protestation:
L’article
357a du Code des obligations prévoit l’obligation de
préserver la paix sociale pour toutes les questions
régies par une CCT. Environ deux tiers des CCT en vigueur en
Suisse contiennent une obligation, dite absolue, de préserver la
paix du travail. Elles excluent de fait le recours à toute
mesure de lutte, même pour des mesures non réglées
par la CCT, pendant la validité de la CCT. Les syndicats suisses
ont signalé l’absence de mécanismes de compensation
pour les fonctionnaires de l’Etat qui ne peuvent toujours pas
mener une action de grève. Il n’y a par exemple pas de
procédures de conciliation et d’arbitrage pour
résoudre les différends.

La grève interdite dans des cantons et de nombreuses communes:
le
demi-canton de Nidwald et le canton de Fribourg ont introduit
l’interdiction du droit de grève dans la loi qui
s’applique à leur personnel. Certaines communes
fribourgeoises ont repris ces dispositions cantonales dans leur
réglementation. Dans quelques autres cantons, certains
changements sont en cours pour mettre la législation en
conformité avec la Constitution fédérale.

Pas de protection suffisante contre les licenciements antisyndicaux:
si
la législation suisse n’autorise pas le licenciement de
représentant-e-s syndicaux, à moins que l’employeur
ne puisse prouver qu’il soit justifié, la loi ne
prévoit pas la réintégration des personnes
injustement licenciées. Tout au plus, le juge peut condamner
l’employeur fautif à payer une indemnité
compensatoire équivalente à six mois de salaire aux
victimes de tels agissements. En novembre 2006, le Conseil
d’administration du BIT a approuvé à
l’unanimité une décision du Comité de la
liberté syndicale qui demande à la Suisse de mieux
protéger les représentant-e-s des travailleuses et des
travailleurs au sein des entreprises. Le Conseil fédéral
est prié de prendre des mesures visant à procurer, pour
le moins aux victimes de licenciements antisyndicaux, le même
type de protection que pour celles victimes de licenciements violant le
principe d’égalité de traitement entre hommes et
femmes, y compris la possibilité d’une
réintégration au sein de l’entreprise fautive.

Libertés syndicales dans la pratique

Syndicats représentatifs écartés: l’absence
de règles clairement établies relatives à la
représentativité des organisations syndicales en Suisse
conduit des employeurs à choisir sur le
«marché» des organisations de salarié-e-s les
partenaires les plus commodes, fussent-ils fantômes dans
l’entreprise, en rompant leurs relations professionnelles avec
des syndicats représentatifs.

Licenciements antisyndicaux:
bien que relativement peu nombreux,
les licenciements antisyndicaux ont tendance à
s’accroître en Suisse en l’absence de protection
efficace empêchant la résiliation abusive de leur contrat
de travail. Etant donné que les tribunaux ne peuvent ordonner la
réintégration dans l’entreprise des victimes de ces
abus, ces pratiques exercent un effet dissuasif certain quant à
l’exercice concret de la liberté syndicale.

Absence de véritables négociations collectives dans l’agriculture: le
secteur agricole n’est pas soumis à la loi sur le travail
et les relations de travail ne font pas l’objet d’une CCT
au niveau suisse. Toutes les tentatives syndicales ou politiques
d’améliorer les conditions de travail et la protection
légale des ouvriers agricoles ont échoué à
ce jour. Le Conseil fédéral n’a pas entrepris de
démarches pour inciter les organisations d’employeurs du
secteur à négocier une CCT digne de ce nom avec des
organisations syndicales représentatives au plan national.

Droit de grève – jurisprudence: un
jugement du Tribunal fédéral, paru en décembre
2005, traite de la licéité de mesures de combat prises
par le syndicat Comedia dans un conflit collectif. Le syndicat Comedia
est entré en lutte contre l’imprimerie des Presses
Centrales S.A. à Lausanne, au printemps 2001, en raison de la
démission de l’entreprise de l’association patronale
et de la dénonciation de la CCT. Vu le refus de la direction
d’entrer en matière pour en négocier une nouvelle,
un piquet de grève sera organisé devant
l’imprimerie, avec pour objectif le blocage de la parution du
journal «L’Agefi». La police a dégagé
de force l’entrée de l’entreprise pour y faire
pénétrer des salarié-e-s qui ont été
ensuite contraints de livrer le journal. Une petite
échauffourée s’est produite durant laquelle une
vitre a été brisée et une porte
d’entrée endommagée. Selon le Tribunal
fédéral, l’action du syndicat Comedia contre les
Presses centrales de Lausanne était une mesure de lutte
collective comparable à une grève. Donc un tel blocage
est protégé par la garantie constitutionnelle du droit de
grève.

Mais le Tribunal fédéral a aussi estimé que
l’échauffourée devant la porte
d’entrée représente un usage disproportionné
de la violence contre l’entreprise. Le syndicat Comedia est tenu
de réparer les dommages. Cela concerne non seulement le
remboursement des dégâts commis pour environ 1500 francs
(une vitre, une serrure de porte, un pneu), mais aussi les coûts
d’un service privé de sécurité
recruté par l’entreprise. Ces coûts pourraient
s’élever à plus de 50 000 francs suisses. Le
jugement du Tribunal fédéral est particulièrement
choquant lorsqu’il rend le syndicat aussi responsable du paiement
des frais entraînés par la surveillance mise en place
durant des mois après son action.

Faiblesses de la législation suisse: en
septembre 2005, la 1ère Cour civile du Tribunal
fédéral a rejeté le recours principal du syndicat
(Comedia) contre l’entreprise Presses Centrales S.A. Ce recours
portait notamment sur la protection contre les actes
d’ingérence et la négociation collective au motif
que si les dispositions relatives des Conventions n°98 et 154 ont
été introduites valablement dans l’ordre juridique
suisse lors de leur ratification, elles ne sont pas directement
applicables. Ce jugement montre bien les insuffisances de la
législation suisse à propos de la mise en œuvre de
ces instruments.

Violations en 2006

Offre d’emploi antisyndicale:
au mois d’avril, un artisan a fait publier dans un journal
gratuit du Jura bernois, La Région, une offre d’emploi
pour un peintre en bâtiment «non syndicalisé».
La discrimination à l’embauche n’est pas punissable
en Suisse lorsqu’elle se limite à l’offre
d’emploi.

Licenciements antisyndicaux: le
président de la commission d’entreprise de Swissmetal S.A.
de Reconvilier, Nicolas Wuillemin, a été licencié
avec effet immédiat, pendant une grève, au début
du mois de février 2006, après 17 années de
travail dans l’entreprise. Deux autres
délégués du personnel de la même entreprise
ont ensuite été licenciés, ainsi que
l’épouse de Nicolas Wuillemin, Maria, également
déléguée du personnel. A Genève, Caran
d’Ache a licencié deux délégués
syndicaux afin d’éjecter le syndicat UNIA de la convention
collective de travail du personnel administratif.

Refus de négocier avec le syndicat:
implanté
depuis peu en Suisse, Aldi, le géant allemand de la
distribution, interdit à ses employé-e-s de parler aux
médias et aux syndicats pour les informer de leurs conditions de
travail. Le syndicat UNIA, qui a demandé l’ouverture de
négociations collectives avec la direction, a essuyé un
refus. Le syndicat n’a pas pu vérifier si
l’entreprise a apporté, comme elle le prétend, les
corrections élémentaires des contrats individuels de
travail requises pour assurer le respect de la liberté syndicale.

Convention collective avec un syndicat fantôme:
la
direction de l’entreprise de charcuterie Del Maître a
adressé une nouvelle CCT à ses employé-e-s au
début du mois de septembre 2006. L’entreprise avait conclu
la CCT avec une association fantôme, inconnue dans le canton de
Genève: l’Association suisse du personnel de la boucherie
(ASFPB), qui ne compte alors aucun affilié parmi les
salarié-e-s de Del Maître. La nouvelle convention a
introduit une série de changements négatifs pour les
employé-e-s, y compris l’augmentation de la durée
du travail à 43 heures hebdomadaires, la suppression de la pause
payée et de la compensation des jours fériés qui
tombent sur un samedi ou un dimanche. Pour le personnel
d’exploitation, Del Maître envisage l’introduction
d’horaires de travail flexibles, entre 5 heures et 21 heures.

Conditions draconiennes à la négociation: quatre
associations patronales vaudoises du secteur parapublic de la
santé écrivaient en septembre 2006 à la
Fédération syndicale SUD qu’elles
n’accepteraient de reprendre les négociations en vue de la
conclusion d’une CCT qu’à condition que les
syndicats SSP, SUD, APEMS et SYNA s’engagent à
n’entreprendre aucune action en lien avec la négociation
de la CCT – compris la distribution de circulaires
d’information – jusqu’à la conclusion de
celle-ci ou jusqu’à l’éventuel échec
définitif des négociations. Ces quatre associations
patronales exigeaient des syndicats qu’ils s’engagent
à respecter la paix du travail, rejetant même toute
proposition tendant à la création de
délégations syndicales sur les lieux de travail.

Arrestation d’un syndicaliste:
suite à des
distributions de tracts, qui ont irrité certains des employeurs
concernés par l’affaire susmentionnée, plainte a
été déposée par ceux-ci pour violation de
domicile. Un secrétaire syndical a été
arrêté à son domicile, le 9 novembre 2006. Les
gendarmes de Rolle l’ont conduit au poste pour
l’interroger. La police lui a demandé de fournir des
documents pouvant identifier des militant-e-s engagés dans
l’action syndicale. Il a refusé.

Empêchement systématique des activités syndicales chez Migros:

depuis 2001, Migros interdit formellement au syndicat UNIA
d’entrer dans ses locaux, en se livrant à de la
désinformation par communication interne diffusée au
personnel. Cette société coopérative de
consommation engage systématiquement des procédures
contre les secrétaires syndicaux d’UNIA, au motif
qu’ils distribuent des tracts d’information à ses
employé- e-s. Six tribunaux ont eu l’occasion de se
prononcer à propos des accusations de violation de domicile
portées par Migros. Finalement, toutes les plaintes ont
été rejetées et tous les syndicalistes
d’UNIA acquittés. Pour autant, Migros n’abandonne
pas sa politique d’intimidation visant à réprimer
toute velléité syndicaliste. En novembre 2006, un
commerce Migros du centreville de Neuchâtel a
empêché la distribution de tracts à
l’intérieur du magasin. Pourtant, Migros exige
contractuellement de ses fournisseurs la garantie que les syndicats
puissent accéder à leurs entreprises.


Le gouvernement conteste la légitimité du Comité de la liberté syndicale de l’OIT: le
gouvernement de la Suisse a contesté la saisine du Comité
de la liberté syndicale (CLS) du BIT dans la procédure
ayant traité à une plainte de l’USS concernant la
Convention n°98, notamment en ce qui concerne la protection des
représentant-e-s syndicaux. Dans un document soumis au
Comité en juin 2006, le gouvernement a remis en question la
légitimité du CLS et a estimé que la Convention
n°98 ne s’appliquait pas dans l’ordre constitutionnel
et juridique suisse, malgré la ratification par la Suisse de
cette Convention. Pourtant, sept mois plus tard, la Commission
fédérale tripartite de la Suisse pour les affaires de
l’OIT a accepté d’entrer en matière sur les
recommandations du CLS de novembre 2006 de mieux protéger les
représentant-e-s syndicaux.


1 Ce rapport est disponible intégralement sur le site http://www.survey07.ituc-csi.org/

2 Constituée le 1er novembre 2006, la CSI représente 168
millions de travailleurs-euses au sein de 305 organisations nationales
affiliées dans 153 pays.