90e anniversaire de la Révolution d’octobreIls ont osé !

90e anniversaire de la Révolution d’octobre
Ils ont osé !

La Révolution russe
d’octobre 1917 a sans doute été
l’événement le plus marquant du 20e siècle.
Mais comme les gagnants écrivent l’histoire, il est peu
connu que cette révolution n’était que
l’ouverture d’une immense vague de contestation du
capitalisme balayant tout le monde industriel et suscitant de puissants
échos dans le monde colonial. Partout, entre 1918 et 1921,
effectifs syndicaux et journées perdues en grèves ont
atteint des records, tandis que se gonflaient les rangs de l’aile
révolutionnaire des partis socialistes.

L’Allemagne, l’Autriche, la Hongrie et la Finlande ont
connu des révolutions, dont la force motrice était la
classe ouvrière. Des situations à potentiel
révolutionnaire réel et immédiat ont surgi en
Italie et dans des régions de la Pologne et de la France. […]

Mais partout, sauf en Russie, la vague révolutionnaire a
été refoulée. Cet échec est à
l’origine de la montée subséquente du fascisme (qui
jouissait partout de la sympathie, et souvent de l’appui
financier, du patronat) et aussi du totalitarisme stalinien. Rosa
Luxembourg, assassinée en janvier 1919 par des forces
proto-fascistes allemandes, a correctement formulé
l’alternative qui confrontait l’humanité entre
«socialisme ou barbarie». […]

Deux révolutions…

La Russie a connu deux révolutions en 1917, une en
février, l’autre en octobre. En renversant la monarchie et
son régime totalitaire en février, les classes populaires
(avant tout la classe ouvrière) ne pensaient pas d’abord
remettre en cause le capitalisme. Cela explique qu’elles ont
permis aux libéraux, représentants de la bourgeoisie, de
former le gouvernement provisoire. Le programme populaire consistait en
une république démocratique, la réforme agraire,
le renoncement aux buts impérialistes de la guerre mondiale en
faveur de la recherche active d’une paix juste et, enfin, la
journée de travail de huit heures.

Les partis socialistes, à l’exception des Bolcheviks,
partageaient cette vision. Pour les Bolcheviks,
l’expérience historique de la Russie avait
démontré le caractère anti-démocratique et
impérialiste des classes possédantes. Pour cette raison
la survie de la révolution en Russie exigeait la prise du
pouvoir directe par les travailleurs-euses en alliance avec la
paysannerie contre la bourgeoisie et ses alliés aristocratiques.
L’instrument de ce pouvoir populaire serait les soviets, conseils
élus par les travailleurseuses, les soldats, et les paysan-ne-s,
sans représentation des classes possédantes.

Après huit mois d’inaction et de sabotage de la part du
gouvernement provisoire libéral, et face au danger d’un
soulèvement contre-révolutionnaire militaire,
appuyé par un lockout déguisé des patrons, les
masses populaires ont pu se convaincre de la justesse de la position
bolchévique. Partout on exigeait le transfert immédiat du
pouvoir au soviets, ce qui a été fait, presque sans
effusion de sang. De ce point de vue, la Révolution
d’octobre était un acte en défense de la
Révolution de février contre le danger imminent de
contre-révolution. Mais comme elle était dirigée
contre les classes possédantes, elle portait en elle une
dynamique anti-capitaliste claire.

L’espoir de révolutions à l’Ouest

En même temps, la Révolution d’octobre était
plus qu’un acte de défense. Elle s’est faite aussi
dans l’espoir d’inspirer les classes populaires en Occident
à suivre l’exemple russe. Ce n’était pas la
simple expression d’un idéal. C’était la
condition de la survie de la révolution socialiste en Russie.
[…] Les bolcheviks considéraient que la Russie, pays pauvre et
peu industrialisé, ne réunissait pas les conditions
matérielles du socialisme: elle avait besoin de l’aide de
pays socialistes plus industrialisés pour réaliser la
transformation socialiste.

Mais il y avait d’autres problèmes plus urgents qui ne
pouvaient trouver leur solution sans l’aide de révolutions
à l’Ouest. Pour commencer, le monde capitaliste
n’accepterait jamais une révolution socialiste en Russie.
Et, en fait, tous les pays industriels ont envahi la Russie
révolutionnaire et/ou financé les forces
contre-révolutionnaires. Quant à la paysannerie,
très majoritaire, puisqu’elle n’était pas
spontanément collectiviste, elle risquait de se retourner contre
les travailleurs-euses une fois la terre partagée et dès
que ceux-ci seraient forcés d’introduire des mesures
collectivistes pour sauver la révolution. […]

Le prix de la victoire…

Contre toute attente, la Révolution en Russie a survécu
en isolement à l’assaut du monde capitaliste. Cela a
été rendu possible en grande part grâce à la
montée révolutionnaire en Occident qui a fortement
miné la capacité d’intervention directe des Etats
capitalistes. Elle a également survécu à la
désaffection des paysan-ne-s, qui malgré la
réquisition forcée du grain par le gouvernement,
comprenaient que les Bolcheviks étaient la seule force capable
d’empêcher la victoire de la contre-révolution, qui
aurait noyé la réforme agraire dans un bain de sang
paysan.

Mais la victoire, après trois ans de guerre civile et
d’intervention étrangère, s’est payée
cher: plusieurs millions de morts (la plupart de faim et
d’épidémie), une économie
dévastée, une classe ouvrière, force motrice de la
révolution, dispersée et exsangue. Avec l’isolement
international de la révolution, cela constituait le terrain
sociopolitique qui allait nourrir la dictature bureaucratique dans les
années subséquentes. […]

Des leçons et un exemple

Appuyant la demande des comités d’usine au printemps de
1918 de nationaliser les entreprises industrielles – mesure qui
n’avait pas été prévue en octobre par les
Bolcheviks – un militant ouvrier a expliqué:
«Même si cela peut
paraître terrible à bien des gens, il s’agit
d’écarter les capitalistes des affaires. […] On
n’a simplement pas de choix. Et puisque cela se fait par la
classe ouvrière et puisque les capitalistes sont
écartés dans le cours de la lutte révolutionnaire,
il s’agit d’établir une régulation socialiste
de l’économie. Cela sera-t-il une nouvelle Commune de
Paris ou amènera-t-il au socialisme mondial – tout
dépend des circonstances internationales. Mais nous
n’avons absolument pas d’autre choix.
»

Maintenant, alors que rien ne semble rester de la Révolution
d’octobre (l’avenir montrera si c’est une illusion),
on peut au moins dire: « Acculés au mur, ils ont
osé.» Ils-Elles se sont lancés dans une
contre-offensive audacieuse qui avait au moins une chance
d’être victorieuse, au lieu de se replier dans une tactique
défensive impuissante. Aujourd’hui, lorsque la survie
même de l’humanité est en jeu, il y a
peut-être quelque chose à apprendre de cette
Révolution.

David Mandel*

* Prof. à
l’Uni. du Québec et codirecteur de l’Ecole de la
démocratie ouvrière en Russie et Ukraine (ONG de
formation syndicale)
Titre et intertitres de notre rédaction.
Article original sur: www.pressegauche.org