Manifeste écosocialiste international (mai 2002)

Manifeste écosocialiste international (mai 2002)

Les débuts du vingt et unième siècle sont
catastrophiques: risque écologique sans précédent,
ordre mondial chaotique cerné par la terreur et les guerres de
basse intensité qui se répandent telle la gangrène
sur la planète – en Afrique centrale, au Moyen Orient, le
long de la côte pacifique de l’Amérique du Sud
– et se répercutent à travers les nations.

Les crises écologiques et sociétales sont
intrinsèquement liées et devraient être
perçues comme les manifestations différentes des
mêmes forces structurelles. Les premières, de façon
générale, trouvent leur origine dans une
industrialisation rampante qui détruit ta capacité
terrestre à amortir la dégradation écologique. Les
secondes proviennent d’une forme d’impérialisme
connue sous le nom de globalisation, qui a des effets
dévastateurs sur les sociétés qui lui
résistent. Ces forces sous-jacentes représentent les
différents aspects d’une même dynamique centrale:
l’expansion du système capitaliste mondial. Nous rejetons
tous les euphémismes et la propagande consistant à
amoindrir la brutalité de ce régime: un ravalement de
façade de ses coûts écologiques, comme toute
relativisation de ses coûts humains au nom de la
démocratie et des droits de l’homme. Nous insistons au
contraire sur ta nécessité de considérer le
capital à partir de ce qu’il a réellement commis.

En agissant sur la nature et son équilibre écologique,
dans l’obligation constante d’étendre sa
profitabilité, ce régime expose les
écosystèmes à des pollutions
déstabilisantes, fragmente les habitats naturels qui ont
évolué pendant des millénaires pour permettre
l’épanouissement des organismes vivants, gaspille les
ressources, réduit la vitalité charnelle de la nature
à l’échange glacial qu’exige
l’accumulation du capital.

Du côté de l’humanité et de ses exigences
d’autodétermination, de biens communs et d’existence
pleine sens, le capital réduit la majorité de la
population planétaire à un pur et simple réservoir
de main-d’oeuvre et la plupart des autres au rang de choses. Il a
envahi et miné l’intégrité des
communautés par le biais de sa culture consumériste de
masse dépolitisée. Il a augmenté les
disparités de revenus et de pouvoir à des niveaux jamais
atteints dans l’histoire humaine. Il a travaillé avec un
réseau d’États clients, corrompus et serviles, dont
les élites locales accomplissent le travail de répression
et protègent le centre de tout opprobre. De plus, il a
commencé à créer un réseau
d’organisations transnationales placées sous la
supervision des pouvoirs occidentaux et de la superpuissance
américaine afin de miner l’autonomie de la
périphérie tout en maintenant un énorme appareil
militaire qui renforce la soumission au centre capitaliste.

Le système capitaliste actuel ne peut réguler, et encore
moins surmonter, les crises qu’il a engendrées. Il ne peut
résoudre la crise écologique parce qu’il devrait
poser des limites à l’accumulation – choix
inacceptable pour un système basé sur la règle du
«grossis ou meurs! « Il ne peut résoudre la crise
posée par la terreur et autres formes de rébellion
violente parce qu’il devrait abandonner la logique de
l’empire et imposer en conséquence d’inacceptables
limites à la croissance et au «mode de vie «
soutenus par cet empire. La seule solution à sa portée
est le recours à la force brutale qui accroît
l’aliénation et sème les graines du terrorisme
comme du contre-terrorisme, évoluant vers une variante nouvelle
et maligne de fascisme.

Le système capitaliste mondial a fait historiquement faillite.
Il est devenu un empire dont l’extraordinaire gigantisme cache de
moins en moins la faiblesse sous-jacente. Suivant le vocabulaire de
l’écologie, il est devenu profondément
«insoutenable » et doit être radicalement
changé. Il doit être remplacé si l’on veut un
avenir meilleur.

Ainsi le choix dramatique posé par Rosa Luxembourg fait-il son
retour: socialisme ou barbarie! Le visage de la barbarie
révèle maintenant les empreintes du nouveau siècle
et prend l’allure de la catastrophe écologique, du couple
terreur/contre-terreur et de leur dégénérescence
fasciste.

Mais pourquoi le socialisme? Pourquoi faire revivre un mot qui serait
condamné à la poubelle de l’histoire à cause
des interprétations erronées du XXe siècle? Pour
la simple raison que, même inaccomplie, la notion de socialisme
représente encore le dépassement du capitalisme. Si le
capital est vaincu, tâche qui revêt aujourd’hui
l’urgence de la survie même de la civilisation, le
résultat ne pourra être que le «socialisme»,
puisque ce terme est celui qui désigne la rupture et le passage
vers une société postcapitaliste. Si nous disons que le
capital est radicalement insoutenable et qu’il verse dans la
barbarie, nous disons également que nous avons besoin de
bâtir un socialisme capable de résoudre les crises que le
capital a créées. Si les «socialismes»
passés ont échoué dans cette tâche, il est
de notre devoir, à moins de nous soumettre à une fin
barbare, de lutter pour que le socialisme l’emporte. De
même que la barbarie a changé d’une manière
qui reflète le siècle, depuis que Rosa Luxembourg a
énoncé son alternative prophétique, le socialisme
doit aussi évoluer pour correspondre à
l’époque dans laquelle nous vivons.

Pour toutes ces raisons, nous avons choisi de nommer
écosocialisme notre interprétation du socialisme et de
nous employer à le réaliser.

Pourquoi l’écosocialisme?

Dans le contexte de la crise écologique, nous comprenons
l’écosocialisme non comme le refus des socialismes
«première version» du vingtième siècle
mais comme leur prolongement. Comme eux, il se fonde sur le fait que le
capital est du travail mort objectivé qui profite de la
séparation des producteurs et des moyens de production. Le
socialisme dans sa première version n’a pas
été capable de réaliser son but pour des raisons
trop complexes à expliquer ici, sauf à les résumer
comme les effets divers du sous-développement dans un contexte
d’hostilité des pouvoirs capitalistes existants. Cette
conjoncture a eu de nombreuses conséquences
délétères sur les socialismes existant,
principalement le refus de la démocratie interne, de pair avec
une émulation productiviste avec le capitalisme, conduisant
finalement à l’effondrement de ces sociétés
et la ruine de leur environnement.

L’écosocialisme conserve les objectifs
émancipateurs du socialisme première version et rejette
les buts atténués, réformistes, de la
social-démocratie et les structures productivistes du socialisme
bureaucratique. Il insiste sur une redéfinition des voies et du
but de la production socialiste dans un cadre écologique.

Il le fait non pour imposer la rareté, la rigueur, et la
répression, mais pour respecter les limites de croissance
essentielles pour une société durable. Son but est
plutôt de transformer les besoins et de substituer une dimension
qualitative à ce qui était quantitatif. Du point de vue
de la production des biens, cela se traduit par la priorité des
valeurs d’usage par rapport aux valeurs d’échange,
projet lourd de conséquences pour l’activité
économique immédiate.

La généralisation d’une production
écologique dans des conditions socialistes peut permettre de
remporter une victoire sur les crises présentes. Une
société de producteurs librement associés ne
s’arrête pas à sa propre démocratisation.
Elle doit insister sur la libération de tous les êtres
comme son fondement et son but. Elle l’emporte ainsi sur le
mouvement impérialiste à la fois subjectivement et
objectivement. En réalisant un tel but, elle se bat contre toute
forme de domination, y compris celles de genre et de race, et elle
dépasse les conditions qui nourrissent les dérives
fondamentalistes et à leurs manifestations terroristes. En
résumé, le principe d’une société
mondiale s’inscrit dans une perspective d’harmonie
écologique inconcevable dans les conditions présentes.
L’un de ses résultats pratiques serait par exemple
l’extinction de la dépendance pétrolière
comme du capital industriel. En retour, cela peut créer la
condition matérielle de libération des terres
aujourd’hui aux mains de l’impérialisme
pétrolier, tout en contenant le réchauffement de la
planète et autres maux nés de la crise écologique.

Personne ne peut lire ces prescriptions sans penser aux nombreuses
questions théoriques et pratiques qu’elles
soulèvent et sans un certain découragement, tant elles
semblent éloignées de l’état actuel du monde
réellement existant, qu’il s’agisse des institutions
ou des niveaux de conscience. Nous n’avons pas besoin de
développer ces points facilement reconnaissables par tous. Mais
nous voudrions insister pour qu’ils soient pris en
considération. Notre propos n’est ni de définir
chaque pas à franchir, ni de hurler contre le pouvoir exorbitant
l’adversaire. Il s’agit plutôt d’une logique de
transformation nécessaire et suffisante de l’ordre actuel
pour franchir les étapes intermédiaires vers ce but. Nous
agissons ainsi de manière à penser plus
profondément ces possibilités et en même temps
à commencer à travailler avec ceux qui partagent nos
préoccupations. Si ces arguments ont quelque valeur, des
idées et des pratiques similaires germeront de façon
coordonnée dans d’innombrables endroits du globe.

L’Écosocialisme sera international, universel, ou ne sera
pas. Les crises de notre époque peuvent et doivent être
comprises comme des opportunités révolutionnaires que
nous devons faire éclore.

(tiré de Contretemps, numéro quatre, mai 2002)

Ecosocialisme
Du Manifeste au réseau militant…

Le 7 et 8 octobre 2007, un groupe de militants écologistes de
treize pays s’est réuni à Paris afin
d’inaugurer le Réseau Ecosocialiste International. Le
Manifeste Ecosocialiste International, écrit il y a quelques
années par Joel Kovel et Michael Löwy, a été
le point de départ de cette initiative.
«‘Ecosocialisme’ est un mot qui
n’apparaît encore dans aucun dictionnaire, a
déclaré l’un des organisateurs de
l’événement, mais nous croyons qu’il
représente l’unique et meilleur espoir pour la
guérison de la planète et pour le sauvetage de la
société de la dévastation écologique».

Plus de 60 militant-e-s en provenance de l’Argentine, de
l’Australie, de la Belgique, du Brésil, du Canada, de
Chypre, de la France, de la Grèce, de l’Italie, de la
Suisse, du Royaume-Uni et des Etats-Unis, appartenant à des
partis politiques et des mouvements écologiques divers, ont
participé à la réunion. Ils
ontdécidé d’organiser une grande conférence
écosocialiste internationale en janvier 2009, en lien avec le
prochain Forum Social Mondial au Brésil. Les participant-e-s ont
élu un comité de coordination qui sera chargé de
développer le réseau dans sa phase initiale. Ses membres
sont Ian Angus (Canada), Pedro Ivo Batista (Brésil), Jane Ennis
(Royaume-Uni), Sarah Farrow (Royaume-Uni), Danielle Follett
(Etats-Unis/France) Vincent Gay (France), Joel Kovel (Etats-Unis),
Beatriz Leandro (Brésil), Michael Löwy
(France/Brésil), Laura Maffei (Argentine), George Mitralias
(Grèce), Jonathan Neale (Royaume-Uni), Tracy Nguyen
(Royaume-Uni) Ariel Salleh (Australie), Eros Sana (France) et Derek
Wall (Royaume-Uni). Le comité a aussi l’intention
d’incorporer d’autres membres de Chine, de l’Inde, de
l’Afrique, de l’Océanie et de l’Europe de
l’Est.

Les écosocialistes croient que la force motrice derrière
la crise écologique est la pression impitoyable du
système capitaliste vers l’expansion, un processus qui
détruit non seulement l’intégrité de la
nature mais aussi la base écologique de la survie humaine.
Ainsi, ils/elles rejètent les solutions partielles qui ne font
qu’ajuster le système, et recherchentdes changements
fondamentaux dans la société et sa relation avec la
nature. L’écosocialisme est une synthèse dynamique
des approches «rouges» et «vertes». Il
n’a pas de plan fixe pour la transformation de la
société et il adopte un point de vue critique envers les
expériences réalisées au nom du socialisme au
cours du dernier siècle. Les écosocialistes ont en commun
la conviction que la création d’un avenir vivable exige
que le monde entier travaille ensemble pour éliminer le
capitalisme et construire une société alternative,
fondée sur les principes de la justice sociale et
environnementale, ainsi que sur la participation populaire. Par
conséquent, le réseau se propose de faciliter la
communication et la solidarité entre les personnes et les
organisations toujours plus nombreuses qui partagent cette perspective.

Pour plus d’informations, voir www.ecosocialism.org