AfghanistanTerreur, corruption et misogynie

Afghanistan
Terreur, corruption et misogynie

A 28 ans, Malalai Joya est la plus
jeune parlementaire afghane. Sa liberté de pensée et de
parole lui a valu d’être la cible de quatre tentatives
d’assassinat. Les extraits que nous publions sont tirés
d’un discours tenu le 10 avril à l’Université
de Los Angeles dans le cadre d’une tournée
d’information aux Etats-Unis. Le documentaire qui lui est
consacré, Enemies of Happiness, a obtenu le prix spécial
du jury au célèbre festival de cinéma de Sundance
en 2007. A son retour à Kaboul, les seigneurs de guerre et les
barons de la drogue lui ont réservé un accueil
«personnalisé»: la majorité du Parlement
afghan l’a exclue de cette assemblée pour trois ans et a
demandé sa mise en accusation par la Cour suprême. Le
ministère de l’Intérieur a réduit sa
liberté de déplacement et elle ne peut plus quitter le
pays.

Après avoir rappelé comment le renversement du
gouvernement des talibans grâce à l’intervention
américaine avait débouché sur le retour au pouvoir
de ce qu’elle appelle les «pires et les plus grands
criminels» de l’Alliance du Nord, Malalai Joya poursuit:
«Les médias occidentaux parlent de démocratie et de
libération de l’Afghanistan. Mais les USA et leurs
alliés sont en train de faire de notre pays
dévasté le domaine des seigneurs de guerre, des criminels
et des barons de la drogue. Actuellement, les dirigeants de
l’Alliance du Nord sont les vrais maîtres et notre peuple
est un otage aux mains de cette bande de tueurs sans scrupules. Nombre
d’entre eux sont responsables de l’exécution de
dizaines de milliers d’innocents durant les deux décennies
passées. Ils n’en occupent pas moins d’importants
postes gouvernementaux».

Parmi les personnages mentionnés par Malalai Joya, relevons
Izzatullah Wasifi, responsable de la lutte anticorruption (!), ancien
trafiquant de drogue, condamné à quatre ans de prison aux
Etats-Unis; le général Daoud, ministre de
l’Intérieur suppléant, responsable de la lutte
contre la drogue, ancien seigneur de guerre et trafiquant de drogue
connu; Rashid Dostum, chef d’Etat-major, considéré
comme un criminel de guerre par Human Rights Watch; Qasim Fahim, ancien
ministre de la Défense, aujourd’hui conseiller du
président Karzaï, accusé de crimes de guerre.

La situation des femmes et des enfants

«Chaque jour, 700 enfants et 50 à 70 femmes meurent par
manque de soins. Les mortalités infantile et maternelle restent
très élevées — entre 1600 et 1900 femmes
décèdent chaque année au moment de
l’accouchement. L’espérance de vie est de moins de
45 ans. Le nombre des suicides parmi les femmes afghanes n’a
jamais été aussi élevé
qu’aujourd’hui. Il y a un mois, Samija, âgée
de 18 ans s’est pendue, car elle devait être vendue
à un homme de 60 ans. Une autre femme, nommée Bibi Gul,
s’est enfermée dans une étable et s’est
immolée. Sa famille n’a retrouvé que ses os.
L’étude de l’Independent Human Rights Commission
atteste une croissance très nette des cas documentés:
dans la province de Farah, on dénombrait 15 suicides par le feu
il y a deux ans; pour les seuls six premiers mois de 2006, ce nombre
est passé à 36; dans la province de Kandahar, qui
comptait 74 cas d’il y a deux ans, on dénombre
déjà 77 immolations pour le premier semestre de
l’an passé. Les chiffres réels sont bien plus
élevés.

Selon une enquête de l’UNIFEM (Fonds de
développement des Nations Unies pour la femme, réd.), 65%
des 50’000 veuves de Kaboul considèrent que le suicide est
la seule façon de fuir leur misère. Le même
organisme estime qu’une femme afghane sur trois au moins a
été battue, contrainte à des relations sexuelles
ou maltraitée d’une autre manière. Les viols
collectifs de jeunes filles et de femmes par les seigneurs de guerre
continuent de se dérouler dans les provinces du Nord. Il y a
régulièrement des manifestations de masse contre ces
pratiques, mais personne ne se préoccupe de la douleur et des
larmes des victimes.»

Corruption et «antiterrorisme»

«L’histoire de la reconstruction de l’Afghanistan est
une histoire pénible: en cinq ans, pas un seul projet de
reconstruction sérieux n’a vu le jour. Des milliards de
dollars d’aide ont été détournés par
les seigneurs de guerre, les ONG corrompues, l’ONU et les
fonctionnaires du gouvernement. L’Afghanistan continue de figurer
au 175e rang sur 177 de l’indice du développement humain
de l’ONU. […] Le gouvernement afghan est le plus corrompu
et le plus impopulaire du monde. Selon un sondage réalisé
par Integrity Watch Afghanistan de mars 2007, plus de 60% des Afghans
pensent que le gouvernement actuel est plus corrompu que tous les
autres gouvernements de ces deux dernières décennies.
Dans cette situation, le retour au pays reste une perspective bien peu
attractive pour les quatre millions de réfugiés afghans
en Iran et au Pakistan. Au contraire, nombre d’habitants
cherchent encore à fuir.»

Après avoir rappelé qu’en 2001, les Etats-Unis
avaient déclaré avoir tiré les leçons du
passé et qu’ils renonceraient à l’avenir
à collaborer avec les fondamentalistes, Malalai Joya
décrit les tractations menées pour intégrer
Gubulddin Heykmatyar (un seigneur de guerre pachtoune et
fondamentaliste, qui figure officiellement sur la liste des terroristes
les plus recherchés par les Etats-Unis) et des
représentants des talibans.

«J’ai maintes et maintes fois expliqué que le
gouvernement des Etats-Unis n’avait pas de difficultés
à collaborer avec les terroristes proaméricains et
qu’il ne s’opposait qu’aux terroristes
antiaméricains. C’est la raison pour laquelle notre peuple
se moque de cette «guerre au terrorisme».

Les USA sont intervenus en Afghanistan au nom des droits humains et de
la démocratie, mais nous sommes aujourd’hui toujours
autant éloignés de ces objectifs qu’il y a cinq
ans. Le nombre des civils innocents tués depuis 2001 dans cette
«guerre au terrorisme» est cinq fois plus
élevé que celui des morts de la tragédie du 11
septembre.»