Service des autos

Service des autos : Privatisation ou contrôle démocratique?

Mettre un service public sous la pression d’une austérité budgétaire de tous les instants jusqu’à ce que celui-ci soit déficitaire et ne parvienne plus à répondre totalement aux besoins des usagers-ères, puis tirer argument des déficits et de la lenteur du service – tout ce qu’on a par ailleurs sciemment provoqué – pour plaider sa libéralisation, voilà un procédé qui avait déjà fait ses preuves. Ainsi, la droite patronale, emmenée pour cette occasion par le Conseiller d’Etat libéral Charles-Louis Rochat, n’en était pas à son coup d’essai lorsqu’elle décida d’entamer le processus de privatisation du Service des automobiles et de la navigation (SAN), dont le premier acte devait consister en une «autonomisation» décidée par la majorité de droite du Grand Conseil vaudois (à une voix près!), et combattue par un référendum, initié par A Gauche toute! et les syndicats. Notons-le au passage, cette privatisation était d’autant plus urgente que Charles-Louis Rochat, sur le point de partir à la retraite, devait assurer ses arrières: en se réservant par exemple la place de président du conseil d’administration de la future «entreprise», un bon moyen d’arrondir les fins de mois au cas où la rente à vie à laquelle a droit un conseiller d’Etat vaudois, après deux mandats, se serait avérée insuffisante.

Reste que le passage d’une gestion publique à une gestion «managériale», pour reprendre les termes de M. Rochat, ne s’improvise pas du jour au lendemain.

Aussi fut-il décidé, en 2004, de nommer à la tête du SAN, pour mener à bien la transition, M. X*, un jeune gestionnaire d’une «vivacité d’esprit hors du commun», un homme «enthousiaste et innovateur», «loyal et de confiance», pour reprendre encore une fois les termes «sans complaisance» de M. Rochat1. De fait, cette gestion «loyale» et «enthousiaste» du «manager» X* n’allait pas tarder à porter ses fruits – aux dépens des employé-e-s du SAN qui, appuyés par les syndicats, dénoncèrent les nouvelles méthodes utilisées: abus de pouvoir, harcèlements, surmenage, polyvalence forcée, utilisation irréfléchie des compétences, salaire au mérite non indexé sur le coup de la vie et, plus globalement, baisse généralisée des salaires. Bref, il devenait évident que la «transition managériale» avait bel et bien commencé et que «l’esprit d’innovation» de M. X*, salué par Charles-Louis Rochat, n’avait pas fait défaut. Notons encore que depuis l’arrivée de M. X*, 50 postes de travail ont été supprimés au SAN, alors que le service peinait déjà à faire face à la demande croissante des usagers-ères. Cela explique peut-être les résultats d’un sondage mené par le syndicat SUD, suivant lesquels 95% des employé-ées du SAN se sentent «plus fatigués qu’il y a deux ans» après une journée de travail-

Les dénonciations du personnel, la pression des syndicats et des député-e-s d’A Gauche toute! ont contraint Charles-Louis Rochat à demander un audit; inutile de dire que cela s’est fait à son corps défendant. C’est que non seulement l’audit a confirmé la scandaleuse dégradation des conditions de travail des employé-e-s du SAN (ce qui a contraint le protégé de M. Rochat à présenter sa démission), mais elle a fini en outre par révéler un autre aspect de la nouvelle «gestion managériale» voulue par le Conseiller d’Etat: les caisses noires (quelque 200000 francs détournés en cadeaux pour les cadres «performants» de la nouvelle «entreprise»).
Cette affaire, navrante à tout point de vue, présente toutefois un mérite, aussi minime soit-il: celui de donner à réfléchir aux citoyen-nes vaudois. Tout d’abord elle en dit long sur la brutalité qui préside aux rapports entre les employé-e-s et les «managers» dans le secteur privé. Comme l’a bien dit M. X* devant les journalistes, pour sa défense: «J’étais là pour gérer comme dans une entreprise»2. Surtout, elle met les citoyen-nes appelés à se prononcer pour ou contre «l’autonomisation» du SAN, le 21 octobre prochain, devant un choix fondamental: faut-il que le contrôle démocratique et l’exigence de transparence puissent encore s’exercer sur la gestion du service des autos, comme cela a pu être le cas, entre autres grâce à une motion déposée par A Gauche toute! au Grand conseil demandant à ce que la lumière soit faite sur les responsabilités en jeu (y compris celle de l’élu Charles-Louis Rochat), ou bien faut-il que cette gestion à la mode «caisses noires», introduite par M. X* puisse se poursuivre en toute impunité, comme cela serait de rigueur dans le privé, où l’opacité la plus absolue règne dans les comptes des entreprises?

Hadrien Buclin

1 Dans un certificat de travail décerné en 2002 par M. Rochat à son fidèle collaborateur M. X*, cité par le 24 Heures du 12 septembre 2007.
2 Cité par le 24 Heures du 12 septembre 2007.

*Suite à un courrier d’avocat, nous avons retiré le nom de la personne concernée