Salaires et profitsCette année, le boss a gagné 65 ans de mon salaire

Salaires et profits
Cette année, le boss a gagné 65 ans de mon salaire

C’est la constatation
amère, et d’une certaine façon inimaginable, que
peuvent se faire les travailleurs à bas salaire – donc
surtout des travailleuses – des 43 plus grandes entreprises
suisses. L’écart entre les profits, les gains des
dirigeants et les rémunérations inférieures des
salarié-e-s s’est encore accru en 2006, comme le
relève une enquête menée par le syndicat Unia.

Si les chiffres officiels attestaient un lent affaissement de la part
des salaires dans le Produit intérieur brut (PIB) à
partir des années1990, ce n’est plus le cas depuis
quelques années. A partir de 2002, mais surtout de 2004, les
branches du ciseau représentant d’une part la croissance
économique (celle du PIB) et d’autre part
l’évolution des salaires réels –
malgré une définition enjolivant la situation effective
– ne cessent de s’écarter.

En 2006, les bénéfices des 43 plus grandes entreprises de
Suisse ont crû de 28,9% (atteignant les 73,7 milliards de
francs), les salaires de leurs dirigeants de 14,5% et les salaires les
plus bas de leur personnel de 1,7%. L’écart moyen des
salaires est ainsi passé à 1.65. En d’autres
termes, le directeur général a gagné 65 fois le
salaire de l’ouvrière de base. Il s’agit là
d’une moyenne, car il existe évidemment des premiers de
classe.

Chimie, industrie pharmaceutique, banques et assurances

Si l’on compare simplement les salaires des dirigeants et ceux
des salarié-e-s des catégories les plus basses (le quart
inférieur), l’écart est le plus marqué dans
les grandes banques. Un ponte de l’UBS gagne 421 fois le salaire
de l’employée lambda, alors que ce multiple n’est
«que» de 416 au Credit Suisse. Dans cette échelle de
l’inégalité salariale, on trouve à la
troisième place Novartis (263); l’assurance Swiss Re
(160), la banque Julius Bär (141), l’assurance Zurich
Financial Service (129) et la pharma Roche (119 fois) font partie
d’un peloton déjà distancé.

En considérant non pas les dirigeants, mais le principal
d’entre eux, l’administrateur délégué
ou le directeur général – ou CEO en anglais: chief
executive officer, que les Canadiens traduisent avec moins
d’emphase par chef de la direction – les cartes sont un peu
redistribuées, mais, rassurezvous, les gagnants sont toujours
dans le même camp. En première position, on trouve
Novartis, ou plus exactement Daniel Vasella, dont la
rémunération est 806 fois supérieure à
celle de l’aide-laborantine de son entreprise, qui elle n’a
pas eu la chance d’épouser la nièce de
l’artisan de la fusion Sandoz/Ciba-Geigy, Marc Moret.
Après Vasella, on trouve à quelques encablures, le
président du conseil d’administration de l’UBS (les
banques n’indiquent pas les salaires de leur CEO, voir
ci-dessous), l’hilarant Marcel Ospel, qui se contente de gagner
589 fois plus que les moins bien payés de ses employés.
Après avoir hardiment contribué à la faillite de
Swissair, Marcel Ospel a déménagé dans le canton
de Schwytz. Pour de bêtes raisons fiscales. On a beau être
banquier, un sou, c’est un sou…

Derrière ces deux gagne-petit, le président du conseil
d’administration du Credit Suisse entame sa remontée. En
2005, le peu médiatique Walter Kienholz, qui vient de
l’assurance (Swiss Re) a gagné 12 millions environ et 16
millions en 2006, soit 355 fois le salaire d’un de ses
salariés les moins bien rétribués. S’il ne
fait pas la une des gazettes, l’influent Kienholz préside
aux destinées d’Avenir suisse, ce laboratoire
d’idées du patronat suisse. Il est aussi membre d’un
think tank américain, le Center of Strategic and International
Studies, où il côtoie la fine fleur de la finance et de la
diplomatie étatsunienne (comme l’ancien secrétaire
d’Etat Kissinger ou le conseiller politique du président
Carter, Brzezinski). On espère que ses frais de
déplacement lui sont au moins remboursés.

Transparence mon cul, dirait Zazie

Lors de leur recherchei, H. Baumann et R. Zimmermann ont pu
vérifier que si l’on parlait beaucoup de la transparence
des rémunérations des dirigeants et des membres du
conseil d’administration dans le cadre de la «corporate
governance», la pratique était nettement plus glauque. Si
quelques entreprises détaillent effectivement les salaires de
leurs cadres supérieurs, d’autres se contentent de
mentionner une somme globale. Et lorsque les
rémunérations se font sous la forme d’actions ou
d’options, on ne mentionne que leur nombre et non pas le montant
concerné. Quelquefois, on ne sait même pas si ces titres
sont déjà comptés dans le montant total ou
s’il faut les ajouter à part. Comme la
réglementation boursière ne prévoit que la
publication de la plus haute rétribution du conseil
d’administration (CA), il n’existe souvent aucune
donnée publique sur le salaire du chef de la direction, qui
n’apparaît que si ce dernier est aussi membre du CA.
L’observateur extérieur ne peut donc se débarrasser
de la curieuse impression que tant d’imprécision cache
quelque chose. Le trésor de Rackham le Rouge, peut-être?
Alors que le patronat suisse peaufine sa stratégie de division
des salarié-e-s, en utilisant tous les instruments à
disposition (libre circulation de la main-d’œuvre,
précarisation, travail au noir, augmentations attribuées
individuellement, etc.), il est temps de réagir. Les entreprises
suisses, on le voit bien, nagent dans l’opulence. La
modération salariale qu’elles prêchent au nom de
Sainte-Compétitivité n’est qu’un leurre pour
permettre aux détenteurs de capitaux et au management de
s’en mettre plein les poches. Contre les bas salaires, salaires
minimums ainsi qu’augmentations collectives et unifiées
s’imposent!

Daniel Süri

1 On peut consulter la version allemande sur le site d’Unia: http://unia.ch/Lohn-und-Verteilung