Rapport sur la sécurité intérieureDérive autoritaire en marche
Rapport sur la sécurité intérieure
Dérive autoritaire en marche
Le 30 mai dernier, le Département fédéral de
justice et police publiait son «Rapport sur la
sécurité intérieure». Ce document
très indigeste est le reflet inquiétant de
létat desprit qui domine les conceptions
maniaco-bourgeoises de la sécurité, fondées sur la
recherche incessante dennemis potentiels. Mais il conditionne
aussi lattitude des bureaucrates et des élu-e-s, qui vont
ainsi pouvoir donner libre cours à leur
«imagination» pour statuer et légiférer
contre des dangers quils ont largement contribué à
susciter par leurs visions paranoïaques de la
société.
Il est longuement question de menaces fictives, mais rien nest
dit des véritables risques qui mettent en péril notre
sécurité, liés à la globalisation de
léconomie, transformée en une formidable machine
à faire du fric et à exploiter les masses
ouvrières en se débarrassant des quelques garde-fous qui
garantissaient certaines formes de solidarité et
dentraide. Pourtant, le principal danger réel qui nous
menace aujourdhui, cest la toute-puissance des
détenteurs de capitaux et le système impérialiste
mercantile de compétition acharnée quelle
sous-tend. Ils sont régis par la loi absolue du plus fort et du
plus performant, dont la valeur suprême est la création de
richesses dans le seul intérêt des plus riches!
Un écran de fumée
Ce rapport nest quun amalgame pour faire passer ceux et
celles qui refusent ce désordre du monde pour des assassins et
des poseurs de bombes, et donc de se donner une raison
«objective» de nous surveiller. Nos paranoïaques
patentés persistent à voir dans le gauchisme et
lislamisme «Les Dangers absolus» car, comme cela,
les autres périls réchauffement climatique,
pollution, raréfaction des matières premières,
étouffement des villes par la voiture, OGM, augmentation des
inégalités, spéculation immobilière,
privilèges de classe, etc. apparaissent comme mineurs,
sans conséquences, voire techniquement maîtrisables. En
fixant lattention sur des dangers présentés comme
prioritaires, on occulte les vrais problèmes. Cest
peut-être là aussi le but de ce rapport…
Lextrême droite est perçue comme moins dangereuse
que lextrême gauche, car la seconde met directement en
cause la nature même du pouvoir, ce que la première ne
fait pas, qui saccommode bien du système, surtout de son
armée, de ses armes, de son culte de la nation, de ses drapeaux
et de sa fascination pour une société en rangs
serrés et uniformisés. Même lorsquil traite
de lextrémisme de droite, ce rapport parle surtout des
«violences» de la gauche, doù
limpression renforcée que
linsécurité actuelle est surtout causée par
lextrême gauche. Il fait planer le doute sur la
probité des militant-e-s politiques de gauche et met en question
la validité de leurs combats et sa signification politique. Les
gauchistes sont toujours associés aux attentats, à
lanarchie et à la contestation de tout ordre social.
Comme nous avons pu le constater lors du G8 à Evian, en 2003,
tout est fait pour criminaliser les mouvements de lutte contre
limpérialisme, contre la mainmise des industriels sur nos
vies quotidiennes, contre la transformation de la société
en un vaste supermarché, contre la marchandisation du monde…
Lire entre les lignes
Ce nest pas la pertinence des faits relevés qui fait
lintérêt de ce rapport, mais les intentions qui se
cachent entre ses lignes. Son but principal est certes de plaider pour
le renforcement de la police fédérale et de faire passer
des lois qui permettent la surveillance à distance, les
perquisitions sans mandat, les écoutes
téléphoniques préventives, les arrestations sans
charges ni jugement et la détention sans condamnation. Il
sagit aussi de durcir le contrôle des frontières,
de légitimer la mise en fiches des individus (maintenant
électroniques!) et de justifier les nouvelles tâches
policières (prévention, préemption, etc.), qui
supposent un équipement sophistiqué. La montée en
puissance de lEtat pénitence se décline ainsi sur
tous les tons: intensification de la «guerre contre le
terrorisme», légitimation de moyens dexception,
répression accrue de la délinquance juvénile, de
lincivilité, mais aussi de tout ce qui peut rappeler
lesprit soixante-huitard!
Les vraies menaces sont ainsi passées sous silence, ou du moins
banalisées, par rapport aux dangers supposés que
lon dénonce. Pas un mot sur le creusement des
inégalités, sur la montée de la
précarité, sur la défiscalisation des nantis, sur
les pouvoirs discrétionnaires des entreprises transnationales,
sur la spéculation immobilière, sur la mobilité
forcée et la flexibilisation de la force de travail, sur les
délocalisations, les transports qui rapportent, la
crétinisation des gens, la consommation boulimique, le droit du
plus fort, le pouvoir financier, la publicité normative, la
morale qui formate, la formation qui moralise, lécole qui
sélectionne et brime… Cest un détournement
caractérisé de lopinion publique à des fins
politiques pour renforcer larbitraire du pouvoir et les
prérogatives de celles et ceux qui en profitent.
Lennemi intérieur
Avec ce rapport, tout semble fait pour désigner lennemi,
en loccurrence les gens du peuple, les ouvriers, les
réfugiés, les pauvres qui râlent contre le
système, et surtout la gauche de la gauche qui le conteste. Mais
le plus inquiétant est de constater la répétition,
année après année, des mêmes âneries,
comme nous pouvons le voir en reprenant le rapport de 2004 sur
lextrémisme en Suisse. Brique après brique, nous
assistons à la construction dune politique
sécuritaire par ces mêmes personnages qui ont tout fait
pour que le monde soit comme il est, et qui trouvent dans ces rapports
à répétition des justifications pour imposer leur
programme répressif.
La lutte pour la défense des libertés et contre
lérosion continue de nos droits est une priorité
trop négligée par la gauche officielle, lorsquelle
nentonne pas les mêmes refrains sécuritaires que la
droite. Si la lecture du «Rapport sur la sécurité
intérieure» peut servir à quelque chose,
cest surtout à nous en rappeler limportance!