Des retraites mitées par le capital


Des retraites mitées par le capital


Avec l’effondrement durable des cours et l’effacement de 5000 milliards de dollars de valeurs boursières en une vingtaine de mois, les fonds de pension ont piqué du nez. Ils ne sont plus en mesure d’assurer les rendements à deux chiffres qu’ils promettaient aux salarié-e-s.
Dorénavant, la retraite coûtera beaucoup plus cher et rapportera moins. D’où une baisse prévisible du niveau de vie des futurs pensionné-e-s et une contraction du pouvoir d’achat des cotisant-e-s actuels, avec des effets aggravants sur la récession en cours.
Il est temps de demander des comptes aux «modernistes» de tous poils, émules des golden boys en quête de plus-values boursières ou apôtres de la démocratie actionnariale.
Contre de tels mirages, il faut relancer le développement d’une véritable AVS, qui couvre les besoins essentiels des retraité-e-s.

Jean Batou

Retraités américains condamnés à manger des boîtes pour chats?


Les salarié-e-s des Etats-Unis, comme bien d’autres, ont été amenés à miser leur épargne retraite sur des fonds de pension, devenus de gigantesques opérateurs boursiers. Depuis le début de l’année 2000, ils ont ainsi perdu plusieurs centaines de milliards de dollars.


En effet, le magazine d’affaires américain Forbes du 12 octobre estime que 5000 milliards de dollars se sont évanouis sur les marchés financiers, au cours de ces 20 derniers mois. L’équivalent de plus de deux fois la dette totale du tiers-monde!


Le commentaire est cynique: «Cette vie de luxe tant attendue, qui était à votre portée, disparaît à l’horizon. Peut-être ne serez-vous pas réduits à manger de la nourriture pour chat durant vos vieux jours… mais le marché ne cessant de s’effondrer, il paraît peu probable que vous puissiez reconstituer votre petit pactole mis à mal.»


Fonds de pension peu attractifs et dangereux


Les conseils des spécialistes suivent. Vous avez eu tort de croire à des rendements durables à deux chiffres. Ainsi, avec un taux d’intérêt de 16,6% sur son capital retraite, un-e salarié-e âgé de 45 ans, qui comptait épargner sur 20 ans pour maintenir un revenu annuel brut de 40’000$ (revenu familial médian aux Etats-Unis), pouvait espérer ne mettre de côté que 5500$ par an, soit 14% de son salaire. En revanche, avec un rendement de 7%, un bon résultat par les temps qui courent, il faudrait qu’il épargne 28’500$ par an, soit 71% de son salaire. Mission impossible!


Les salariés épargnants sont donc au pied du mur. Le taux d’effort nécessaire pour constituer un capital retraite suffisant devra augmenter fortement, et ceci pour des prestations revues à la baisse. Dans l’immédiat, ce phénomène contribue à aggraver la contraction de la demande intérieure aux Etats-Unis. C’est l’un des facteurs qui expliquent la gravité de la récession en cours.


Développer le système AVS de la répartition


Une récente enquête d’opinion a révélé, qu’en Suisse alémanique, une majorité de jeunes de moins de 30 ans est favorable à la privatisation pure et simple de l’AVS. Une indication des succès idéologiques remportés par le néolibéralisme, préparés par les reniements précoces de la social-démocratie et de l’USS. Rappelons que celles-ci avaient opté pour l’introduction du IIe pilier, et contre le renforcement de l’AVS, ceci dès le début des années 70.


Depuis lors, le système AVS de solidarité entre classes d’âge et de revenus, déjà notoirement insuffisant, mis à mal par les dernières révisions, n’a cessé de perdre du terrain dans l’opinion publique. Soutenu du bout des lèvres par les forces politiques identifiées à son introduction, on avait beau jeu de lui opposer les succès vertigineux des golden boys de Wall Street et de Zurich. Il est vrai que les responsables «modernistes» de la gauche se prenaient à rêver des nouvelles sphères de pouvoir qui s’ouvraient à eux dans le cadre de la «démocratie actionnariale».


L’UDC de Christoph Blocher s’était d’ailleurs clairement prononcée en faveur de la privatisation de l’AVS, avant de mettre une sourdine à cette thématique, mal comprise par son électorat traditionnel. Aux yeux de la droite patronale, il valait sans doute mieux enterrer l’AVS à petit feu, sans faire de vagues, en la reléguant au rôle d’«argent de poche» du pauvre. Aujourd’hui, la débâcle des fonds de pension nous donne une bonne occasion de défendre un changement de cap, avec plus de chances d’être entendu.


A lire:



  • F. Lordon, Fonds de pension, pièges à cons? Mirage de la démocratie actionnariale, Raison d’Agir, Paris, 2000.
  • Association Recherches et Régulation, «Fonds de pension et nouveau capitalisme», L’année de la régulation, n°4, La Décou-verte, Paris, 2000.
  • L. Roberts, Les retraites aux Etats-Unis: sécurité sociale et fonds de pension, La Dispute, Paris, 2000.