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N° 109 (30/05/2007). A la une: 17 juin: NON à la révision de l'AI!
p. 14
Lien direct: https://www.solidarites.ch/journal/d/article/2973
Vaud
Chassez ces gueux, mais maintenez-les en vie!
Le 8 juillet prochain, les Lausannois-es prononceront, par référendum, sur la pertinence d’ouvrir en ville un «espace de consommation de stupéfiants», jumelé à un «bistrot social». La lutte sera âpre et les jeux ne sont pas faits, tant la juste croisade contre la drogue et l’idéologie sécuritaire ont fait des ravages dans l’opinion. Malgré le caractère forcément limité de ces mesures, il est important que les citoyen-ne-s les approuvent.
Le vaste projet de refonte du dispositif global en matière de toxicomanie et de marginalité, approuvé le 15 mai dernier par le Conseil communal à une majorité des deux tiers, est l’issue d’un long processus entamé par les Autorités en 1996, avec la remise de matériel d’injection en ville puis, en 1999, l’ouverture de lieux d’accueil à bas seuil pour toxicomanes et marginaux. L’espace de consommation sera jumelé avec un bistrot social, géré par une association comme n’importe quel établissement public. Les deux structures, outre la réduction des risques d’infection et de contamination par les virus HIV et de l’hépatite C (HIC) et B [HIB), sont également, sinon principalement, destinées à vider la place de la Riponne de ses «gueux», aux comportements inquiétants pour les passant-e-s et surtout défavorable à la Sainte Eglise de la consommation. C’est l’occasion aussi, pour la Ville, de passer méthodiquement en revue toutes les structures d’aide et de soutien aux marginalisés, nées sans grande coordination au cours des dix dernières années, au fur et à mesure de l’apparition de populations fortement appauvries: toxicomanes, mais aussi requérant-e-s d’asile, sans-papiers, familles dites du «quart-monde», jeunes adultes en rupture de famille, d’école et de travail, personnes âgées, malades psychiatriques en refus de soins, etc.
Chasse gardée et prohibition
Conceptualisée à la fin des années 1980, en lien avec la pandémie du sida, la réduction des risques liés à la consom-mation de stupéfiants s’inscrit dans une politique de santé publique fondée sur l’acceptation, bon gré, mal gré, de cette réalité sociale qu’est la drogue. Puisqu’il est illusoire d’espérer que les toxicomanes renoncent spontanément à leur consommation, puisqu’on ne peut les y contraindre, ils doivent au moins pouvoir protéger leur santé, réduisant la menace de contamination sexuelle qu’ils font peser sur la population. A partir de 1990, la Suisse a adopté à son tour cette nouvelle approche, l’intégrant dans sa «politique des quatre piliers»: prévention, thérapie, réduction des risques et aide à la survie, répression.Si le pilier de la réduction des risques accepte, de fait, la consommation de stupéfiants, il n’est en aucune manière une contestation de la criminalisation de cette consommation. Il reste basé sur le prohibitionnisme, l’interdiction de tout usage laïc des pharmaka. La Convention unique des Nations unies sur les stupéfiants de 19611, entrée en vigueur en Suisse en 1970, est claire: «La Convention unique [...] vise à restreindre l’utilisation des stupéfiants aux fins médicales et scientifiques et à prévenir leur détournement et leur abus, tout en assurant leur disponibilité pour des fins légitimes.»
Les consommateurs-trices illicites se déclinent sous trois figures dans la politique des quatre piliers, toutes marquées par une «pathologisation biopsychosociale». Le délinquant, qui trafique pour assurer son approvisionnement, se verra appliquer la répression. Le malade, couramment appelé «toxicomane», doit soigner son addiction en thérapie et atteindre l’abstinence. Enfin l’«usager», cible de la réduction des risques, certes également délinquant et malade, est aussi un-e citoyen-ne, apte à choisir ce qui est mieux pour lui. De ce point de vue, la réduction des risques a aussi un petit parfum d’idéologie libérale... La méthode intègre bien une dimension collective, mais uniquement dans la protection de la population des épidémies et des nuisances sociales. Elle continue à ne prendre en compte les toxicomanes que comme des individus, finalement responsables de leur addiction ou alors sommés de se considérer comme des malades.
Pauvreté et précarité
Cette vision néglige que le développement de la consommation de stupéfiants au cours de ces dernières décennies est lié à la montée du précariat, à la désagrégation des solidarités populaires.2 Ainsi, les usagers-ères du futur local d’injection lausannois seront probablement en grande partie issus des couches les plus dominées de la population. Des jeunes, et moins jeunes, pauvres, vivant du Revenu d’insertion, de rentes AI, à l’issue de parcours menant d’un apprentissage (pas toujours terminé) de boulanger, cuistot, vendeur, ouvrier du bâtiment ou boucher, plus rarement d’employé de bureau, au chômage, au travail temporaire, et finalement à l’abandon de la lutte. On y rencontre également une proportion effrayante de jeunes ayant passé une partie de leur enfance en foyer, en famille d’accueil, enfants de chômeurs, de parents diagnostiqués «dépressifs» par la Faculté. La drogue se consomme dans toutes les classes, mais selon l’origine, les destins individuels sont différents...Saluée et soutenue par la plupart des intervenant-e-s sociaux auprès des marginaux, l’ouverture du local d’injection, parce qu’elle est associée à une redistribution des cartes – et des subventions – de tout le dispositif, suscite quelque critiques. Certains pointent le fait que cette réorganisation est basée uniquement sur «les trois S»: seringues (Distribus, distributeurs automatiques, local d’injection), soupe (des repas seront dorénavant servis deux fois par jour, sept jours sur sept, aux pauvres de tout poil, mais aussi bistrot social) et savon (le Point d’eau). Qu’en est-il du quatrième pilier, celui de l’insertion ou de la réinsertion, aussi indispensable que les autres, et dont les subventions sont réduites? Ils-elles constatent, désabusés que le dispositif remis au goût du jour par la Ville de Lausanne ne vise qu’à maintenir les gens en vie. Mais pour quel avenir?|
1 www.unodc.org/pdf/convention_1961_fr.pdf
2 Voir solidaritéS no 107, l’interview de Loïc Wacquant: «Marginalité
et violence dans les villes, quels liens avec la précarité du travail».
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Vaud | Diane GILLIARD |
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