La Banque du Sud, une anti-Banque Mondiale?

solidaritéS | n° 108 – 16 mai 2007

La Banque du Sud, une anti-Banque Mondiale?

Le 3 mai dernier, à Quito, les
ministres de l’économie de six pays sud-américains
– Argentine, Venezuela, Bolivie, Equateur, Paraguay et
Brésil – se sont mis d’accord sur la création
d’une Banque du Sud. Eric Toussaint, président du CADTM
Belgique (Comité pour l’annulation de la dette du Tiers
monde), est l’un des conseillers de l’Equateur dans ce
projet. Nous reproduisons ici l’interview qu’il a
accordé au quotidien belge Le Soir des 12 et 13 mai 2007, avec
le sous-titre: «Un projet révolutionnaire est lancé
en Amérique du Sud: une Banque du Sud, sorte d’anti-Banque
mondiale».

Le président Chavez avait évoqué ce projet
début 2006. Il voulait mettre sur pied des institutions
financières alternatives à la Banque Mondiale (BM) et au
Fonds Monétaire International (FMI) pour tous les pays du Sud,
et en avait parlé avec des chefs d’Etat africains, ainsi
qu’avec l’Inde. Le projet a finalement été
recentré sur l’Amérique du Sud, avec la
possibilité de se redéployer ensuite. Le Brésil
l’a rejoint plus récemment, et c’est important que
ce poids lourd économique en soit.

Une Banque du Sud, pourquoi?

Ces six pays veulent prendre leur indépendance vis-à- vis
du FMI et de la BM, mais aussi de la Banque Interaméricaine de
développement (BID) qui est elle aussi gérée par
les pays du Nord. Le Venezuela est le premier pays de la région
qui a coupé les ponts, le 30 avril dernier, avec le FMI et la
BM. L’Argentine et le Brésil, qui ont tenu à
régler toutes leurs dettes vis-à-vis de ces institutions,
ont aussi pris de la distance. L’Equateur vient de renvoyer le
représentant de la BM en Equateur, et la Bolivie et le Nicaragua
ont indiqué qu’ils ne reconnaissaient plus
l’autorité du CIRDI, le Centre international pour le
règlement des différends relatifs aux investissements,
qui dépend de la BM. Au-delà, il y a aussi une
volonté d’intégration régionale autour
d’un projet nouveau, ancré à gauche.

Que va-t-il se passer?

Une réunion ministérielle va avoir lieu à Rio, le
22 mai, avant un sommet des présidents, le 22 ou le 26 juin,
durant lequel la fondation de la Banque du Sud devrait être
officiellement annoncée. Quant aux statuts définitifs,
ils seront prêts avant fin 2007. L’Uruguay n’estpas
encore partie prenante, car elle est opposée à
l’Argentine par un différend portant sur une usine de
cellulose installée à la frontière. Mais il y a
une volonté argentine de régler ce problème pour
que l’Uruguay puisse participer. Le Chili pourrait rejoindre le
projet, et le Pérou également. Il y a aussi une
volonté de créerun fonds monétaire de
stabilisation. Il existe déjà un Fonds
latino-américain de réserve, qui pourrait être
adapté. Et si ce n’est pas possible, un nouveau fonds sera
créé, son but étant de pouvoir faire face à
des attaques spéculatives, à des chocs externes. Il
s’agit là aussi de pouvoir se passer du FMI, mais avec une
ambition supplémentaire: mettre en place une unité de
compte qui pourrait un jour aboutir à une monnaie commune. En
clair, créer un équivalent de ce que fut
l’écu européen avant la création de
l’euro. Actuellement, les échanges commerciaux entre pays
d’Amérique du Sudse règlent en dollars. Or
l’Argentine et le Brésil viennent de décider que
leurs échanges mutuels, d’une valeur de 15 milliards de
dollars, seraient désormais payés en pesos argentins et
en réals.

Quelles seront les grandes différences avec la BM et le FMI?

La Banque du Sud sera un instrument notamment chargé de mettre
en application les traités internationaux portant sur les droits
humains, sociaux et culturels, alors que la Banque Mondiale dit
qu’elle n’est pas liée par ces traités. Par
ailleurs, la Banque du Sud devrait, si les chefsd’Etat se mettent
d’accord, être fondée sur le principe
d’«un pays, une voix». Actuellement, au FMI et
ailleurs, le droit de vote des pays dépend de leur apport
initial, ce qui n’est pas démocratique. De plus, les
dirigeants et employés de la Banque du Sud seront redevables
devant la justice, contrairement à ceux de la BM,
protégés par une immunité totale qui n’est
levée que si la Banque le veut. Et ils paieront des
impôts, ce qui n’est pas le cas à la BM. Et les
archives des nouvelles institutions seront dans le domaine public,
alors que la rè- gle contraire est en vigueur au FMI et à
la BM. Enfin, la nouvelle Banque ne s’endettera pas sur le
marché des capitaux. Son capital sera fourni par les pays
membres qui y placeront une partie de leurs réserves
internationales, mais aussi par des taxes style taxe Tobin.

Il y a cependant de grosses différences économiques entre, par exemple, le Brésil et la Bolivie…

Lorsque la Grèce, l’Espagne et le Portugal sont devenus
membres de l’Union européenne, des fonds
d’intégration ont été
débloqués pour qu’ils se mettent à niveau.
Il faudra aider la Bolivie, jusqu’ici considérée
comme un fournisseur à bas prix de matières
premières, à se doter d’un appareil industriel
diversifié, à l’image du Venezuela ou du
Brésil. Le but est de niveler vers le haut
l’économie des pays membres. Et, à la
différence du projet européen, l’intégration
régionale sud-américaine devra dès le début
mettre en avant la justice sociale.

Entretien réalisé par Véronique Kiesel