Une onde qui bout sur des urnes pas pleines…


Une onde qui bout sur des urnes pas pleines…


Une percée de l’UDC, pas un raz-de-marée, mais aussi un succès de la droite dans son ensemble. Responsables? La démobilisation de l’électorat de gauche. A nous de battre le rappel pour un second tour référendaire et social…

Pierre Vanek

L’UDC ultralibérale et xénophobe de Blocher entre au Grand Conseil genevois avec 10 sièges. Avec 13 élu-e-s1, l’ADG en perd 6, le PS 3, les Verts en gagnant un. Ainsi, les partis de la courte majorité «alternative», qui occupaient 51 sièges sur 100, n’en ont plus que 43, un de moins que sous le Conseil d’Etat «monocolore» de droite, en 1993-97. La droite détient 57 des 100 sièges du Grand Conseil et les partis de l’Entente bourgeoise (libéraux, radicaux, DC) disposent d’une majorité relative de 47 élus (dont seulement 5 femmes!) Le PDC, mouillé jusqu’au cou dans l’affaire BCG garde ses sièges et les pertes de l’Entente se limitent à 2 sièges chez les radicaux, pourtant lâchés par la locomotive Segond et en guerre autour de la succession de leur conseiller d’Etat Ramseyer, discrédité suite à l’«affaire» des Offices de poursuite et faillites. Une «résistance» du PDC et radicaux démontrant qu’ils ont atteint le plancher d’un électorat clientélisé et guère sensible aux fluctuations politiques.


Ce bouleversement parlementaire demande à être expliqué, à un moment où les thèses néolibérales, portées par la droite genevoise, ont du plomb dans l’aile: qu’on songe aux affres de la privatisation électrique ou à l’indignation suscitée par la catastrophe de Swissair, et alors que cette droite a démontré, par les scandales de la BCG ou des OPF, qu’au plan de la gestion, elle est digne d’une république bananière.


Surprise, peu surprenante


L’entrée de l’UDC au parlement genevois a été pour beaucoup une surprise, or elle était prévisible et d’autant plus probable, qu’à gauche, parmi les militant-e-s et l’électorat potentiel, ce risque était fort sous-estimé, les appels à la mobilisation pour le contrer rencontrant peu d’écoute.


Percée prévisible? En effet, en 1997 malgré une participation assez forte d’un électorat de gauche mobilisé pour éjecter le Conseil d’Etat «monocolore» de droite, 2 listes d’extrême droite réunissaient 7,05% des voix. Aucune d’elles ne pouvait prétendre au quorum de 7%, ainsi nombre de votants de ce bord ont dû se reporter sur l’Entente. Globalement, la droite était majoritaire en 1997, en voix sinon en sièges, avec près de 6% d’avance sur l’Alternative.


Le «fond» de voix auxquelles pouvait prétendre l’UDC, suite à son OPA sur les boutiques de l’extrême-droite, était donc d’au moins 8%. L’UDC-Genève a démarré en douceur, annonçant une campagne d’«importance modeste» avec des moyens n’ayant «rien de comparable» à ceux des autres partis.2


Mais, à deux semaines du vote, les vannes d’un financement massif, venu du côté de Blocher et de l’UDC nationale et prudemment retenu jusque là, se sont ouvertes. Ils ont dépensé, en quinze jours, au moins un demi million en pleines pages, fort habiles, dans les quotidiens.


Signalons que l’UDC doit aux libéraux la légalité de ce blitzkrieg du fric, ils ont en effet mené une guérilla efficace pour bloquer un projet de loi ADG limitant à 150’000 Frs le total dépensé en faveur d’une liste. Combat mené au nom des droits de l’Homme… On l’a vu, l’Homme en question c’est Blocher et son droit, celui de tenter d’acheter des élus, l’«autre manière de faire de la politique» que vante les annonces UDC?


La somme misée par l’UDC, dépassant de loin les budgets de campagnes cumulés de la majorité sortante a contribué à porter le score UDC à 10,37%, un gain de 2300 voix sur ses précurseurs à droite des libéraux, et à lui donner 10 sièges, soit 2 ou 3 sièges de plus que le score qu’elle aurait eu avec ses moyens locaux. On le voit: rien d’un séisme. On est loin des 19 sièges de Vigilance. Chacune des 2300 voix en plus de l’UDC a «coûté» plusieurs centaines de francs pièce. Sur ce plan là, la résistance de l’électorat aux sirènes blochériennes a été assez bonne.


Blocher en veut pour son argent


Cette entrée en scène UDC à Genève ne saurait cependant être banalisée. Au lendemain du vote, on entendait Blocher à la radio réclamer le dividende d’un investissement dont on comprend mieux l’un des enjeux: un siège de plus au Conseil fédéral, soit le dû d’une UDC, devenue parti «réellement national» grâce à son «coup» genevois. Avec la colonne vertébrale politique et les moyens de l’UDC suisse, ce parti, doté d’un personnel politique local nul, verra affluer les «talents» propres à lui faire profiter de sa situation nouvelle et à oeuvrer à déplacer à droite toute la politique genevoise. Avec l’aide complaisante des partis de la droite traditionnelle, qui seront ravis, soit de compter sur l’UDC pour faire passer en force leurs projets rétrogrades, soit d’utiliser le repoussoir UDC, pour chercher des majorités «centristes» avec des socialistes et des verts, mais sans l’ADG, pour reficeler des propositions antisociales comme le «paquet ficelé» de 1998.


L’entrée de l’UDC, venant conforter une majorité de droite reconquise, s’explique donc. D’autant plus qu’elle était inattendue. Elle démontre le mérite des tentatives de l’ADG d’alerter nos militant-e-s et notre électorat sur ce danger. Les tracts tous-ménages de l’ADG, dont le dernier centré sur ce risque, et plusieurs bandeaux dans la presse à ce sujet, paraissent aujourd’hui justes, malgré ceux qui disaient qu’il ne fallait pas parler de l’UDC – ce que n’ont fait ni Verts, ni PS3 – sous prétexte qu’ainsi on leur «ferait de la pub». Mais l’ADG qui avait perçu ce danger est la «grande perdante» de cette joute électorale, en sièges et en voix. Pourquoi?


Voix manquantes à la pelle


On peut d’abord relever que la perte en sièges de l’ADG (- 6) est amplifiée du fait que nous avions 19 sièges sur 100 avec 17,29% des voix. Ainsi l’un de ces sièges (et une partie d’un deuxième) venaient de la redistribution de sièges non attribués aux 7% des voix de droite échouées en dessous du quorum. On peut relever aussi qu’il a manqué cette fois quelques dixièmes de % pour que l’ADG ait un 14e siège.


Mais la perte de l’ADG est bien réelle et dépasse 4% des voix exprimées. Un examen attentif des résultats montre, ce que la Tribune elle-même reconnait4, qu’il ne s’est pas produit de déplacement significatif des électeurs/trices de l’ADG vers l’UDC. Nous avons «seulement» été victimes d’une forte démobilisation de «notre» électorat. Globalement, la participation de 36% seulement est de 3% inférieure à celle de 1997.


Or ces 3% de participation perdue, calculés par rapport à l’ensemble des électeurs signifient qu’en 1997 le nombre des votant-e-s était (si l’on corrige pour la hausse de population) de 8% supérieure à ce qu’elle a été en 2001. Largement de quoi alimenter la perte de voix ADG, d’autant plus que, si la participation cantonale moyenne a baissé, elle l’a fait de manière plus forte dans les quartiers populaires, bastions électoraux ADG (plus de 3% de baisse aux Pâquis, à Mail-Jonction, Cluse-Roseraie… mais hausse de près de 3% de participation dans un fief bourgeois comme Cologny…).


AC, UDC, même combat?


En outre, «Action citoyenne»5 qui a fait 2,38 % de voix, a sans doute détourné un nombre certain d’électeurs/trices de l’ADG (voir leurs 6,56 % aux Pâquis). Elle a bénéficié d’une campagne mensongère comme dans la feuille gratuite Extension, qui présentait Danielle Oppliger d’AC, démissionnaire de solidaritéS pour chercher une place de candidate qu’elle estimait être son dû, au-delà de toute sélection démocratique, comme ayant été «expulsée» d’une ADG «autoritaire», dont la présence même au parlement serait «anti-démocratique».6


Certes, cette formation au projet électoraliste qui déclare vouloir «faire changer les têtes», a tombé le masque dans la dernière ligne droite, en publiant deux annonces: l’une proclamait sa liste 8 comme «ni à GAUCHE, ni à DROITE…», l’autre annonçait que «seules deux listes n’ont pas aidé à étouffer le pillage de la BCGe: les listes No 6 et No 8»4. La liste 6, se voyant ainsi décerner un brevet de bonne conduite par «Action Citoyenne», est celle de l’UDC de Blocher. Et, quoi qu’on pense de l’option de l’ADG concernant le sauvetage de la BCG comme moindre mal: prétendre qu’elle aurait «aidé à étouffer le pillage» de la banque, contrairement à la vertueuse UDC, est une calomnie pure.


Mais malgré tout, avec sa référence abusive à la «démocratie participative» cette liste a dû tromper des votants, d’autant que la campagne de l’ADG, volontairement unitaire, n’a guère donné d’espace à l’apparition propre, dans le champ électoral, des composantes de celle-ci. De solidaritéS en particulier, susceptible de répondre aux attentes d’un électorat «alternatif», ceci alors même que notre mouvement contribuait de manière déterminante à des mobilisations comme la manif «pour la justice globale» du 30 septembre.


Baisse de tensions…

Nous avons été largement victimes de l’absence de tensions politiques mobilisatrices. Alors que la droite exploitait bien envers sa clientèle ce qu’elle présentait comme une forte polarisation politique l’empêchant de régner en maître, avec une majorité parlementaire donnée comme «alignée sur l’ADG», à gauche:



  • depuis 1999, l’ADG a largement porté une majorité parlementaire avec les verts et les socialistes, ceux-ci se positionnant ainsi assez à gauche par rapport à leurs homologues helvétiques. Nous avons contribué à faire aboutir dans ce cadre nombre de réformes progressistes (l’assurance-maternité genevoise par ex.) D’où une dilution de la perception de l’ADG comme force de résistance face à la régression sociale néolibérale autrement plus radicale que les socialistes ou les verts et, comme le disaient les affiches ADG, une force «indispensable»… Alors que ce rôle «indispensable» était très lisible au lendemain du paquet ficelé, d’où notre percée aux municipales… Nous avons été là victimes de notre succès.
  • sur le plan des services publics (dotation en personnel des hôpitaux et de l’enseignement par ex.) et des prestations sociales, ainsi que du respect des accords avec la fonction publique et du maintien de son statut, nous avons aussi payé une politique asez correcte, qui a démobilisé des secteurs sociaux qui nous appuyaient en 1993 et 1997. En effet, on se mobilise contre des attaques concrètes, mais moins contre des projets n’existant sur le plan cantonal qu’à l’état incantatoire dans les programmes de droite.
  • nous avons sans doute également payé notre engagement dans la dénonciation des dysfonctionnements et des illégalités aux OPF, couverts par Ramseyer. D’abord parce que ce travail de dénonciation et de réforme du contrôle de l’Etat, s’inscrit dans un registre de gestion qui n’a guère à voir avec un programme de gauche radicale, ensuite parce que la droite, habilement et abusivement, à su retourner ses forfaits pour en faire des éléments à l’appui de son dénigrement du service public et de sa thèse du moins d’Etat.
  • enfin, l’unité sans guère de failles de l’ADG dans cette campagne, que nous avons construite pied à pied après nos divisions aux municipales, a démobilisé dans une certaine mesure nos militant-e-s, pour qui la campagne «roulait» sans problèmes, ainsi que les électorats, spécifiques et ne se recouvrant pas, des composantes de l’ADG. En outre, si l’ADG a démontré une capacité à faire du bon travail parlementaire, le souffle de 1993, prometteur d’une perspective plus ambitieuse, de l’idée de la reconstruction d’un pôle national organisé à la gauche du PSS, à pris des rides, faute d’avancée significative…

En conclusion, on peut penser que, si la claque que nous avons pris lors de cette élection résulte d’un certain nombre de nos succès, cet échec crée les conditions d’un renforcement à terme pour notre mouvement, s’il sait en profiter pour s’ancrer plus fortement dans le terrain social, participer de manière décidée aux combats référendaires à venir et renforcer sa critique globale …du système capitaliste et des manifestations aiguës de son incapacité à répondre aux besoins réels des gens, ici comme aux quatre coins de la planète.



  1. Dont 6 membres de solidaritéS, 4 membres du Parti du Travail et 3 Indépendant-e-s.
  2. Voir www.udc-geneve.ch
  3. Sauf à se plaindre des «attaques peu reluisantes» dont l’UDC était l’auteur concernant quelques élu-e-s de gauche.
  4. Tribune de Genève, 10.10.01
  5. V. le commentaire de Jean Batou sur leur programme dans notre dernier No.
  6. Extension No d’octobre 2001