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N° 108 (16/05/2007). A la une: Biocarburants: pétrole contre nourriture
p. 7
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International
Tony Blair: une fin lamentable
En mai 1997, Blair avait été porté au pouvoir par le mécontentement qui venait de balayer le gouvernement conservateur de John Major. En 2005, son parti avait perdu 4 millions de voix. Aujourd’hui, son impopularité dépasse celle de Margaret Thatcher à la fin de son règne...
Sans les défaites infligées par le gouvernement Thatcher à des groupes clés de travailleurs-euses dans les années 80, et l’affaiblissement consécutif des organisations de salarié-e-s, il est très improbable que Blair ait pu se hisser à la tête du Labour Party. Blair a poursuivi la politique de Thatcher, mais en la poussant plus loin encore que ce qu’elle avait osé. Comme l’a noté le Financial Times: «Dans la santé, l’éducation, la prévoyance sociale, le travail et le logement, le New Labour a introduit des mutations radicales, au moins aussi profondes, et sans doute plus, que celles des années Thatcher. [...] De la même façon que Richard Nixon – en tant que Président républicain et faucon dans le domaine de la sécurité nationale – a pu se rendre en Chine en 1972, l’image passée du Labour lui a permis de transformer son propre héritage d’après-guerre».
Au plan intérieur, Blair et Gordon Brown, le co-architecte du New Labour, ont été initialement prudents. Ils ont continué à réduire les dépenses publiques et les impôts sur le revenu dans la foulée des Tories. Leur principale «innovation» en politique économique, soit l’indépendance de la Banque d’Angleterre dans la fixation des taux d’intérêt, marquait un ralliement au consensus néolibéral. Son effet: soustraire les décisions économiques clés à toute forme de contrôle démocratique.
Orthodoxie néolibérale
Les deux ont poursuivi la politique de Thatcher d’aligner l’économie britannique sur les USA et d’imiter leur politique de dérégulation des marchés. Ceci a conduit au déclin continu de l’industrie manufacturière et à la soumission croissante aux marchés financiers. La City de Londres a été florissante sous Blair et Brown. Beaucoup estiment qu’elle a maintenant dépassé New York comme premier centre financier, son régime dérégulé attirant de vastes montants de capitaux spéculatifs détenus par les hedge funds et les private equity firms [fonds d’investissement].[...] Les effets négatifs de cette façon qu’a eue le New Labour d’enfermer la Grande-Bretagne dans le modèle économique néolibéral sont évidents. Le plus frappant est le fossé entre riches et pauvres. Celui-ci avait énormément augmenté sous Thatcher et son successeur John Major. Depuis 1997, par un système complexe de crédits d’impôts et de prestations adaptées aux moyens des bénéficiaires, Brown a redirigé d’importants montants d’aide publique vers les familles pauvres avec enfants.
Mais, vu que l’économie néolibérale, centrée sur la City, a énormément accru la richesse de la couche supérieure, l’écart entre riches et pauvres n’a pas du tout diminué avec le New Labour. Comme l’a montré Mike Brewer, de l ’ I ns t i t ut d’études fiscales, Brown a dépensé des milliards dans une redistribution qui «n’a servi à rien». Pendant ce temps, les inégalités entre le Nord et le Sud, qui avaient commencé à croître sous Thatcher ont continué à s’approfondir. [...] Blair défend son bilan en affirmant que les services publics se sont améliorés. C’est vrai qu’il y a eu une grande augmentation des dépenses sociales, spécialement pour le Service National de Santé (NHS), durant son second mandat (2002-2005). Mais ceci a été largement annulé par les «réformes» marchandes qu’il a conduites en même temps. La privatisation du secteur public a continué à avancer. En même temps, le boom des dépenses a pris fin. Voulant absolument montrer aux marchés financiers qu’il n’était pas un mou du vieux Labour, Brown a imposé de nouveau un budget plus serré, incluant un plafond à l’augmentation des traitements du secteur public.
Punir les pauvres
[...] La prise de distance du gouvernement Blair par rapport au travaillisme traditionnel a été résumée en mars par un discours du Ministre des réformes de la prévoyance sociale, Jim Murphy: «Les allocations ne sortent pas les gens de la pauvreté dans ce pays». Le système d’aide sociale ne peut tirer par exemple une famille monoparentale avec deux jeunes enfants au-dessus de la ligne de pauvreté «et je ne pense pas qu’il le devrait». «Le travail est le seul moyen de sortir de la pauvreté», a-t-il insisté. [Pour lui], l’assistance doit être suffisamment réduite pour forcer les pauvres à accepter des jobs mal payés. Ce n’est pas un hasard si un rapport de l’UNICEF place la Grande-Bretagne à la 21e place des pays riches, en dessous même des Etats-Unis, pour le bien-être des enfants. [...]Plus Blair restait en place, plus il se révélait le chantre d’une affreuse vision sociale [qui] cible les pauvres «non méritants» et table sur la contrainte publique et la charité privée. Mais Blair [...] s’est [aussi] donné le rôle de champion idéologique d’un impérialisme moral du 19e siècle. Invité par Timothy Garton Ash à définir l’«essence du blairisme» à l’extérieur, il a répondu: «l’interventionnisme libéral». Il vaudrait mieux parler d’impérialisme libéral – imposition du capitalisme de libre marché dans le monde par les puissances occidentales au nom de la démocratie. (...)
Blair a joué un rôle clé pour faciliter le déclenchement de la guerre en Irak. Cela aurait été difficile politiquement pour Bush d’envahir l’Irak sans la participation britannique. Confronté aux mensonges utilisés pour justifier l’invasion, il a répété qu’il avait agi «de bonne foi» [...] La vérité c’est qu’il n’a prêté aucune attention ni aux partisans ni aux opposants du renversement de Saddam Hussein. Il était déterminé à marcher avec Bush pour s’emparer de l’Irak. [...]
Son sort devrait ressembler à celui d’Henry Kissinger, qui a présidé aux dernières actions les plus sanglantes de la guerre du Vietnam. Comme lui, Blair vacouler une retraite bien payée dans la société des riches de ce monde. Mais comme lui, dans les décennies à venir, il devra jeter régulièrement un œil anxieux par-dessus son épaule pour le cas où des investigations sur les crimes de guerre seraient sur sa trace. Son œuvre, hélas, va lui survivre politiquement sous la houlette de son successeur [...] Gordon Brown.
Allex Callinicos*
* Traduction, intertitres et coupures de notre rédaction,
d’après l’hebdomadaire britannique Socialist Worker,
12 mai 2007. Au même sujet | Des mêmes auteurs |
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