Pour une alternative anticapitaliste en Italie

Pour une alternative anticapitaliste en Italie

L’assemblée
nationale de l’association Sinistra Critica (opposition de
gauche, issue de Rifondazione comunista, PRC) s’est tenue
à Rome, les 14 et 15 avril derniers. Cette rencontre a
été organisée à un moment extrêmement
délicat pour l’avenir de la gauche radicale en Italie. En
effet, Romano Prodi et Massimo d’Alema, leaders de l’Unione
(coalition anti-Berlusconi), construisent un nouveau Parti
démocrate (au centre); Fausto Bertinotti (PRC) et Fabio Mussi
(DS, majorité de l’ex-PCI) posent les bases d’un
nouveau regroupement de gauche, prétendument
anti-libéral, mais de plus en plus social-libéral dans
les faits, dans le cadre du Parti de la gauche européenne; si
bien que la gauche anticapitaliste doit à nouveau définir
les conditions politiques et organisationnelles de son avenir. Comme
souvent, l’Italie montre le chemin à l’Europe:
ainsi, les interrogations auxquelles l’opposition de gauche du
PRC se trouve confrontée, font irruption aujourd’hui en
France et nous concernent aussi en Suisse. Comment sortir de
l’impasse? Comment poser les bases d’un véritable
projet féministe, anticapitaliste, anti-impérialiste et
respectueux de l’environnement, «sans si, ni mais»?
Voici la question à laquelle Flavia d’Angeli tente ici de
répondre. (jb & sp)

Notre association, Sinistra Critica, se présente toujours ainsi,
dans tous ses manifestes: «Association Sinistra Critica,
féministe, écologiste». Je crois que nous devons
revendiquer le fait que nous sommes une association qui a pour trait
d’identité de départ, la revendication de la
légitimité, de la nécessité, de
l’importance, de la centralité de l’organisation des
femmes, afin qu’elles existent, y compris dans ce processus,
comme facteur subjectif fortement représenté (…).
Plus la gauche se pense comme opposition radicale à
l’ordre politique et social existant, plus elle doit faire en
sorte qu’en son sein, une subjectivité autonome des femmes
vive de manière permanente, structurée, énergique
et visible. Le fait d’être féministe est un
élément constitutif de son existence. En d’autres
termes, une gauche qui entend mettre en discussion l’ordre social
existant sera féministe ou ne sera pas. Parce que sans la
moitié du monde, on ne peut pas faire de politique (…).

Beaucoup de gens de gauche, en particulier de la gauche actuellement au
gouvernement, considèrent que ce sont des discours un peu
dépassés, un peu superflus – «mais comment,
disent-ils, encore les féministes, ces folles
débridées?» – En réalité, tous
les jours Ratzinger [Benoît XVI] nous rappelle que ce n’est
pas le cas. Tous les jours, la réalité des faits nous en
convainc. Ces mêmes faits qui révèlent que la
première cause de mortalité des femmes dans le monde,
c’est la violence des hommes: les maris, les pères, les
frères, les fiancés; c’est-à-dire cette
famille traditionnelle que les évêques et une grande
partie du gouvernement actuel veulent défendre et qui, pour les
femmes, n’est très souvent qu’un cauchemar
(…) [Référence aux débats sur le Pacs
italien, qui ont divisé le gouvernement Prodi et dans lesquels
sont intervenus fortement le Vatican et ses relais institutionnels et
médiatiques].

Centralité des mouvements sociaux

Mais revenons un peu à nous, soit à l’association
Sinistra Critica. Aujourd’hui, nous avons tous ensemble (groupes
sociaux, mouvements, syndicats, organisations locales, etc.)
essayé de discuter de la situation dans laquelle nous nous
trouvons. Nous nous sommes posés cette question fondamentale:
comment articuler une opposition sociale à un gouvernement qui
ne nous plait pas, qui continue à proposer des politiques que
nous détestons: la guerre, le libéralisme, etc…?
Nous avons clairement affirmé que nous ne voulions pas que soit
fondé, au cours de cette assemblée, le 12e parti
communiste d’Italie, ou que soit proclamée une scission
d’avec le PRC, qui s’est déjà divisé
de lui-même […]. C’est une assemblée en
revanche qui part de la difficulté dans laquelle nous nous
trouvons, parce que c’est bien de cela qu’il s’agit,
pour proclamer qu’on ne peut en sortir qu’en essayant de
retisser des liens sociaux, des luttes, des conflictualités.

Nous l’avons dit et nous en sommes convaincus: les mouvements
sont les moteurs de tout processus politique. Les partis sont et
doivent être des instruments au service des mouvements, mais ce
sont ces derniers qui changent l’histoire; ce sont les mouvements
qui font l’histoire. Nous croyons vraiment à cela, pas
comme ceux qui, au sein du PRC, ont développé
jusqu’ici la mystique du mouvement. Une mystique qui proclamait
hier que les mouvements étaient tellement forts que nous allions
au gouvernement pour changer le monde, la société. Cette
même mystique qui aujourd’hui parle de désert social
et impose que nous avalions toutes les pilules, la guerre y compris,
sous prétexte que les mouvements sociaux ont disparu […].
Nous n’avons jamais défendu cette mystique. Nous sommes
convaincus de la centralité des mouvements sociaux. Nous sommes
convaincus que les mouvements doivent être construits patiemment,
qu’ils ont besoin de temps, qu’ils doivent être
respectés dans leur parcours, leurs modalités, qui sont
certes parfois un peu extravagantes, mais quoi qu’il en soit
certainement plus intéressantes que la politique politicienne de
certains partis ou organisations politiques que nous avons
été obligés de fréquenter au cours de
toutes ces années.

Rifondazione comunista c’est nous!

Cependant, nous sommes également l’association Sinistra
Critica. Beaucoup d’entre nous dans cette salle ont
été, sont et veulent à continuer à
être – avant qu’ils ne soient renvoyés
l’un après l’autre comme des malpropres – des
militant-e-s d’un parti. Et donc nous sommes des personnes, des
camarades qui continuent à penser qu’il est quoi
qu’il en soit nécessaire, utile et important de construire
une subjectivité politique, de nous donner des instruments
d’initiatives politiques. Beaucoup d’entre nous […]
ont créé ce Parti, le PRC, qu’encore
aujourd’hui j’ai envie d’appeler paradoxalement mon
Parti […]. Nous l’avons construit contre vents et
marées en 1991 […]; nous l’avons défendu du
lynchage à gauche qui a suivi la décision, en 1998, de
rompre avec le premier gouvernement Prodi. Ce parti, nous l’avons
amené, pas seuls bien sûr, mais avec différents
groupes, dans la rue à Gênes, au sein des mouvements
contre la guerre. Ce parti, quelqu’un comme Franco Turigliatto,
plus que moi, a contribué à le créer, jour
après jour, dans les cercles, les fédérations etc.

Le problème c’est qu’aujourd’hui
quelqu’un s’est emparé de notre parti. […] Le
groupe dirigeant du PRC, à commencer par son leader […],
a décidé que cette anomalie italienne,
c’est-à-dire l’existence d’un parti qui,
malgré toutes ses limites, tentait d’échapper par
la gauche aux ruines du 20e siècle, devait être
supprimée. […] Ce même groupe dirigeant a
décidé que, dorénavant, nous avions quelque chose
à faire avec Fabio Mussi [chef de file de l’aile gauche
des DS – Democratici di Sinistra]; mais vous vous rendez compte,
Mussi? Le même Mussi avec lequel le Parti, dans son ensemble,
avait rompu en construisant une alternative à la Bolognina [du
nom du quartier de Bologne où avait été
annoncée, en 1989, le projet de créer le Partito
democratico della sinistra (PDS) sur les ruines du Parti communiste] et
aux DS [Democratici di Sinistra, regroupement qui a remplacé le
PDS en 1998].

Nous ne nous résignons pas

La majorité actuelle du PRC a donc décidé que ce
parti ne doit plus exister. Ils l’ont tant et si bien
décidé qu’ils répètent à
l’envi que le PRC est une organisation qui va continuer à
exister. Parce que pour réussir à tirer ce parti dans une
autre direction, il faut que le groupe dirigeant tente de convaincre au
moins quelques uns de ses militants en leur disant: «Pas de
souci, le wagon demeure, le problème est que l’on change
de voie» […]. Ils peuvent continuer à appeler ce
parti Rifondazione comunista, mais en votant la guerre, en votant les
coupes budgétaires sur les retraites, en votant ce que chaque
jour ils votent au Parlement, ça devient autre chose;
c’est déjà autre chose que le parti que nous avons
connu.

Et alors? Alors, nous ne nous résignons pas à cette
évolution. Nous ne voulons pas choisir entre avaler cette soupe,
c’est-à-dire la logique de la réduction des
dommages en votant la guerre etc., ou rentrer à la maison
[…]. Non, nous ne voulons pas nous résigner à
cela. Nous savons qu’il existe un espace réel de
construction dans ce pays d’une gauche alternative,
anticapitaliste. Une gauche qui récupère le sens de la
politique, non comme art de la médiation, selon la formule
d’un homme important [référence à Fausto
Bertinotti qui parlait de la politique comme de l’art du
compromis entre le désir et le possible, cf. La Repubblica du 26
février 2007], mais comme participation, conflit,
élaboration d’une transformation collective de
l’existence et de la vie des gens. Parce que nous croyons
vraiment à la construction d’une alternative sociale et
que nous ne pensons pas pouvoir la mener avec Prodi et D’Alema;
c’est notre seul défaut. Nous continuons à croire
à cette politique. Nous croyons que la sanction infligée
à Franco Turigliatto [exclusion du PRC pour n’avoir pas
voté le programme guerrier du gouvernement] l’a
été également parce qu’il a
démontré sur le terrain quel type de politique ils
étaient en train de développer. Cette politique qui, si
elle n’est pas transformation, conflit et participation, devient
simple administration de ce qui est, ou au mieux, réduction des
dommages. C’est pour cela que Franco Turigliatto a
été sanctionné.

Nous ne nous résignons pas; nous n’allons pas rentrer
à la maison; nous ne démobilisons pas. Nous continuerons
à construire des initiatives, des mouvements, de la
conflictualité sociale, et nous continuerons à construire
également l’association Sinistra Critica comme instrument
au service de la reconstruction d’une gauche alternative et
anticapitaliste dans ce pays. Nous ne croyons pas que cette alternative
puisse mourir avec Fausto Bertinotti, et donc nous pensons que le
camarade Franco Turigliatto ne doit même pas songer un seul
instant à aller cultiver son jardin: il doit demeurer au service
de cette expérience, de ce parcours qui commence ici.

Flavia D’Angeli*

*Traduction, titre, intertitres et coupures de notre rédaction.
Flavia d’Angeli est membre de Rifondazione comunista et de
l’association Sinistra Critica. Elle a été
coordinatrice du département Précarité qui a
été dissout par le PRC après la manifestation
contre la précarité du 4 novembre 2006. Elle a
été membre aussi de la direction des Jeunes communistes.
Ce discours, ainsi que ceux de Franco Turigliatto, Salvatore
Cannavò ou Giorgio Cremaschi, entre autres, peuvent être
écoutés en italien sur le site: www.errenews.altervista.org.