PalestineLa lutte contre le mur en images

Palestine
La lutte contre le mur en images

En marge de la projection du film du réalisateur Shai Carmeli
Pollak, Bil’in Habibti (Bilin mon amour) (vidéo, vo
sous-titrée angl., 84 minutes), au Festival Visions du
réel à Nyon, nous nous sommes entretenus avec son
réalisateur, militant du groupe israélien
«Anarchistes contre le mur»1.

Tu as réalisé ce film qui raconte la lutte des
habitant-e-s de Bilin contre le mur d’apartheid
qu’Israël construit depuis 2002 en Cisjordanie. Peux-tu nous
parler de cette lutte?

Bilin est un petit village proche de Ramallah. La décision de le
priver de ses terres a été prise en 2005 et ses
habitant-e-s ont rejoint la lutte des villages sous occupation
israélienne contre la confiscation de leurs terres et la
construction du mur2. La participation
d’Israélien-nes à de telles luttes a
commencé en 2003, au village de Masha. Durant quatre mois, leur
tente a été installée sur les terres de ce village
qui devaient être confisquées et coupées par la
clôture. Des milliers d’Israélien-nes et de gens du
monde entier sont venus. Un groupe d’activistes a commencé
à se réunir, à établir des liens avec les
comités populaires; il s’est engagé auprès
d’autres villages avant que la lutte ne démarre à
Bilin.

Peux-tu expliquer ce que sont ces comités populaires?

Ce sont des structures démocratiques qui réunissent les
énergies d’un village pour organiser la lutte en toute
indépendance; elles prennent toutes les décisions. A
Bilin, le comité populaire a développé des formes
de lutte très créatives, associant actions directes et
initiatives artistiques.

En consultant le site du village, on peut se faire une idée de cette richesse créative3.
Les manifestations hebdomadaires pacifiques sont toujours violemment
réprimées par l’armée et la police. Il faut
souligner que les villageois-es n’ont jamais abandonné la
non-violence et que des centaines d’entre eux-elles ont
été blessés depuis le début du mouvement.
Pas une manifestation sans blessés graves. Une unité
spéciale de soins a été mise en place: le Dr
Barghouti, nouveau Ministre de l’information du gouvernement
palestinien, y participe souvent.

Les comités populaires sont-ils liés les uns aux autres?

Un comité national fait le lien entre les comités
populaires de villages. A ce jour, seul le village de Budrus est
parvenu à faire reculer le mur sur la ligne verte par la lutte,
sans procédure auprès du tribunal. Mais je vois des
raisons d’espérer parce que la lutte continue, qu’il
existe un groupe d’Israélien-nes déterminé
à la soutenir et que la solidarité internationale se
développe. Avec les comités populaires, nous essayons
lutter contre l’occupation, mais aussi pour la paix, car il ne
pourra pas y avoir de paix tant que l’occupation durera. Les
Israélien-nes qui rejoignent le mouvement doivent comprendre que
la paix ne pourra être conclue sans satisfaire les droits des
gens, et évidemment sans mettre un terme à
l’occupation.

Nous nous sommes entretenus avec le maire de Bilin, qui participe
au comité populaire. Il nous a expliqué
l’importance d’étendre la lutte à
d’autres villages, aux Israélien-nes solidaires, à
la solidarité internationale… Qu’en penses-tu?

Je pense que cette unité est très importante, elle existe
à tous les niveaux et concerne tous les aspects de la lutte.
Pensons par exemple au jour de la manifestation. Les gens
décident de marcher de leur village à la clôture.
En l’absence de soutien international ou israélien, la
manifestation devient beaucoup plus dangereuse. Car
l’armée israélienne modifie ses consignes de feu
selon que les Palestinien-nes sont seuls ou non; ils l’admettent
ouvertement. Ils n’adaptent pas leur comportement à celui
des manifestant-e-s, mais à leur origine ethnique! La
présence d’Israélien-nes et d’internationaux
est donc très importante.

Tu as évoqué les tribunaux auprès desquels les gens de Bilin ont engagé des procédures.4 

Pas facile, puisque c’était reconnaître le droit
pour Israël de se prononcer. De surcroît, la Cour
internationale de justice a déclaré la construction du
mur illégale, puisqu’elle ne respecte pas la ligne verte
de 1967, mais Israël n’a pas reconnu cette décision.

La lutte commune, Palestiniens, Israéliens et internationaux,
hommes et femmes, est importante, parce que nos adversaires aussi ont
des liens internationaux. Par exemple, la colonie construite sur les
terres de Bilin l’est par trois compagnies, l’une
israélienne et les deux autres canadiennes. La solidarité
avec Bilin doit également comporter un soutien financier au
Comité populaire (www.bilin-village.org) ou à notre
groupe. Les relations humaines nouées avec des personnes
supposée être des ennemis étaient aussi importantes
que ma participation à la lutte. On ne peut pas avoir des
relations normales entre militant-e-s issus de l’occupation et
des zones occupées, sans s’engager contre
l’occupation, la colonisation, le racisme.

Comment ton film a-t-il été reçu?

Beaucoup m’ont dit que je leur avais montré des choses
qu’ils ne savaient pas, alors même qu’ils croyaient
connaître la situation. J’ai également eu des appels
pour me traiter de traître. Certains spectateurs m’ont
témoigné leur colère. D’autres m’ont
dit que je ne devrais le montrer qu’au public israélien,
de crainte qu’il ne nourrisse l’antisémitisme. Je
réponds que si quelqu’un est antisémite, il
n’a sûrement pas besoin de mon film, et que je suis
beaucoup plus inquiet pour l’avenir de la Palestine et
d’Israël que par l’antisémitisme. Le film est
pour tous les publics et aussi pour les Palestinien-nes, qui sauront
ainsi qu’il existe un groupe d’Israélien-nes qui
reconnaît les torts causés par l’occupation, par le
sionisme, et je souhaite atteindre aussi un public international. Car
je crains que beaucoup de gens ne soient influencés par la
propagande israélienne qui présente les Palestinien-nes
comme des terroristes. Les gens doivent savoir qui est
l’agresseur et qui est la victime. Ce film montre des êtres
humains, des gens merveilleux, ainsi que ce qui leur a
été imposé.


Entretien réalisé par Aldjia MoulaÏ et Karl Grünberg

  1. «Anarchists against the wall» www.awalls.org.
  2. A Bilin le mur consiste en une double clôture autour d’une route militaire.
  3. www.bilin-village.org.
  4. Les villageois ont ouvert quatre procédures devant les
    tribunaux israéliens: contre la construction illégale du
    mur, contre l’expropriation illégale de leurs terres,
    contre la construction d’une colonie sur leurs terres et ils ont
    déposé des permis de construire sur leurs terres.