Interview de Jo Lang


Interview de Jo Lang


Le Jeudi 27 septembre, un certain Leibacher fait irruption dans l’enceinte du Parlement
de Zoug, où il abat 14 personnes avant de se donner la mort. Ci-dessous, le récit d’un
témoin direct.*

Hans Hartmann

Jo Lang est un ami de longue date. Ancien membre de la LMR, puis du PSO, il est actuellement député de l’Alternative Socialiste Verte au parlement de Zoug. Historien, spécialiste de la question basque et du développement de l’identité nationale suisse, c’est l’un des principaux animateurs du GSsA (Groupe pour une Suisse sans Armée) en Suisse Alémanique. Il a également joué un rôle de premier plan dans la dénonciation du financier américain Marc Rich, apportant son aide aux travailleurs et travailleuses de l’aluminium de Ravenswood (West Virginia, USA), en guerre contre la direction de leur entreprise, contrôlée présisement par Marc Rich. (jb)


WoZ: Qu’est-ce qui te préoccupe le plus aujourd’hui, cinq jours après l’attentat contre le parlement zougois?


Jo Lang: Les médias se sont beaucoup trop intéressés à nous, les politiciens et politiciennes. La réaction de la population zougoise est selon moi beaucoup plus intéressante. Les gens ici sont lucides. Ils lisent (les journaux), discutent, écoutent la radio, s’échangent des informations et posent des questions. Leurs réactions de sympathie n’ont comme origine ni l’Etat, ni l’église, bien que naturellement une partie provient de ces institutions. Il s’agit avant tout d’une réaction spontanée.


De nombreux commentateurs ont soutenu que cet attentat mettait en cause les fondements même de notre démocratie.


Je ne partage pas cette opinion. L’auteur de la fusillade ne semble visiblement pas avoir eu des motivations politiques. Il faut cependant remarquer la remarquable réaction de la population: on se réunit pour se rassurer mutuellement que la base qui permet de continuer un travail politique soit maintenue. De nombreuses personnes sont venues me voir, de gauche comme de droite, ainsi que de simples citoyen-ne-s, pour m’affirmer leur soutien et me donner la force de continuer. Les gens semblent vraiment avoir, dans une vision radicale de la démocratie, une responsabilité dans la continuation du fonctionnement d’une communauté politique. Il y a aussi une forte prise de position contre la violence. Aujourd’hui, lors de l’enterrement, des gens se sont adressés à moi, parce que j’avais ouvertement exprimé ma douleur sur l’événement sans en appeler à la haine. Beaucoup de jeunes s’inspirent des mouvements pacifistes contre la guerre contre le terrorisme. Une banderole a par ailleurs été posée devant le siège du parlement mentionnant une phrase de Gandhi: «œil pour œil, et le monde devient aveugle».


… à côté du drapeau suisse et des symboles religieux…


Les cercles religieux sont bien organisés à Zoug. Je remarque simplement que les gens ne vivent pas seulement leur deuil en communauté, nombreux sont ceux qui prennent du recul par rapport à ce qui s’est passé sans pour autant refuser la réalité. On se pose naturellement la question: comment éviter que pareil drame se reproduise? Mais ils sentent aussi le danger que pareil événement peut durcir le climat social. Et personne ne veut de cela. Un discours basé sur l’exclusion, de la part de la droite, ne trouve pas de fondement ici.


Est-ce que cet attentat est l’expression d’une brutalisation de la société?


Il faut voir et comprendre cet acte comme un acte individuel. C’est seulement après cela que l’on peut tenter de le remettre dans son contexte. Celui qui aujourd’hui fait le lien entre des massacres dans des écoles et cet attentat ne porte pas seulement atteinte à la mémoire des quatorze victimes, mais aussi à la perception locale de l’événement. Il n’y aurait rien de plus dangereux aujourd’hui que de lier ce crime à un discours général sur la violence. De quelconques statistiques sur la violence n’ont rien à voir avec cela. Le experts de la police présents sur place en sont par ailleurs conscients. Et je conseille à tous ceux qui ont le sentiment que notre société devient brutale de venir à Zoug. Ils ne trouveront aucune trace de brutalité, de rage ou de haine.


Cet attentat à souvent été mis en lien avec les événements de New York.


De pareilles idées peuvent en séduire plus d’un, même s’ils ne se reposent sur aucun fondement réel. Les velléités de faire des rapprochements généraux, voire mondiaux, et la volonté de trouver des solutions nous viennent plutôt de journalistes et politicien-n-es extérieurs à Zoug. La préoccupation locale n’exprime pas sa crainte face à une possible menace, elle n’exprime que de la tristesse. Le deuil ne porte pas sur des statistiques sur la violence ou des image violentes, il tire son origine du seul événement concret. L’attentat contre les députés cantonaux nous touche dans notre expérience de la vie quotidienne qui n’est en aucun cas marqué par une quelconque violence ouverte.


On a reproché de manière plus ou moins explicite à l’UDC, qu’à l’aide de ses polémiques contre la classe politique, elle favorisait un climat de violence propice à ce genre d’actes.


Je considère ces affirmations comme étant aussi une instrumentalisation inadmissible des événements, qui brouille plus les esprits qu’elle ne les éclaire. Au lieu de mélanger tous les phénomènes d’agression, il faut que l’on tente de comprendre ce que l’auteur voulait démontrer. Ce Leibacher [auteur du massacre] n’avait pas de problèmes matériels. Il possédait une maison et menait un train de vie correct. C’était certes un original, mais pas un marginal. Son idéologie émanait des classes moyennes et il se considérait certainement comme un bon Suisse.


Lorsqu’il a fait irruption dans le parlement, la première chose que j’ai remarqué, c’était sa manière de parler. Je me suis dit: c’est une personne de la suisse profonde qui est parmi nous. Ce Leibacher croyait fermement être dans son bon droit et il voulait en convaincre les autres par tous les moyens. Il est évident qu’il avait des phantasmes de toute puissance et qu’il se sentait brimé et poursuivi. La mise en scène de son attentat, son uniforme de policier, son cri: «ceci est une descente de police!» et sa lettre posthume dénonçant la «mafia zougoise» nous le confirment. Il jouait le rôle d’un policier qui se bat pour défendre la loi et l’ordre – comme à l’origine de son conflit avec les député-e-s, lorsqu’il dénonça un chauffeur de bus pour alcoolisme.


A première vue, il existerait alors quand même un lien entre des soi disant forcenés comme Leibacher et une crise d’identité de la conscience conservative nationale?


Oui, mais il n’en va pas seulement de l’idéologie de l’UDC, mais aussi du sentiment d’insécurité des gens qui pouvaient auparavant prétendre représenter la Suisse en étant en phase avec une forme de conscience nationale. Ces personnes-là prétendent que les député-e-s sont responsables de leur insécurité et font, dans les cas extrêmes, usage d’un symbole central de la conscience traditionnelle nationale: l’arme. Il n’a pas tiré de manière inconsidérée sur les député-e-s, il visait bien, comme on l’apprend dans les sociétés de tir.


Le député du Conseil National Schmid dit que l’origine du drame vient du fait que chaque Suisse ayant fait son armée possède une arme d’ordonnance dans son armoire.


Je ne veux pas rentrer dans une polémique aussi simpliste. La loi actuelle sur la vente et port d’arme est un danger plus important pour la société que le fait d’en posséder une dans son armoire. Schmid fait l’impasse sur la partie symbolique de la discussion sur les armes. Si l’on veut tirer une leçon de l’attentat de Zoug elle devrait être la suivante: on ne doit jamais mettre en valeur l’arme ou la comparer à des valeurs telles que la liberté ou la virilité. Lorsque l’on aura cessé de faire ce genre de liens symboliques, il sera alors peut-être possible d’adapter la loi sur les armes aux réalités sociales actuelles.


* Propos receuillis par Hans Hartmann de la WoZ
Traduction de la rédaction