Le racisme ordinaire sous la loupe: Bex, une étude de cas

Le racisme ordinaire sous la loupe: Bex, une étude de cas

Petite
ville, centre de requérants d’asile, trafic de drogue… les ingrédients
sont bons et leur usage immodéré tentant. A tout seigneur tout honneur,
il faut reconnaître les efforts du Matin pour informer ses
lecteurs-trices en formatant leurs émotions. Complétons le décor: vingt
ans de politique gouvernementale qui a présenté les réfugié-e-s comme
un problème plutôt que de combattre les guerres et les misères qui les
arrachaient aux leurs. Le 15 mai 1991, le Conseil fédéral avait
d’ailleurs donné le ton: la Suisse doit se fermer «aux ressortissants
des pays qui n’ont pas les idées européennes (au sens large)».

L’euphémisme est crasse, le message limpide: la politique
d’immigration doit être une politique raciale. Les
réfugié-e-s dépourvus d’idées
européennes bénéficieraient-ils seuls, parmi tous
les étrangers au Vieux Continent, d’un droit au
séjour? Les immigrés non-européens, privés
par leur seule origine même de la possibilité de
solliciter une autorisations de séjour, sont quant à eux
réduits au sort de «sans-papiers»: attrapés,
ils se voient reprocher le délit…d’avoir
été discriminés!

L’étiquette d’une délinquance ethnique
collée aux populations indésirables facilitera leur
exclusion. L’accréditation de l’image du «Noir
trafiquant de drogue» n’a pas peu contribué en effet
au succès de la LEtr et de la LAsi. On connaît la suite:
ces lois contre les étranger-e-s et les
réfugié-e-s ont été adoptées le 24
septembre 2006.

10 mai 2005, une étrange soirée

Saisie par un témoin des inscriptions racistes
multipliées par André Corboz, élu local, alors
radical, ACOR SOS Racisme dénonce l’infraction à la
justice et se porte partie civile.

Le procès d’André Corboz, élu local UDC au
printemps 2006, s’est tenu le 15 février 2007. La justice
a reconnu son délit et l’a condamné. ACOR SOS
Racisme s’étant vu refuser le statut de partie civile, a
recouru contre ce jugement. Coquetterie? Dogmatisme psychorigide? Bien
sûr que non. Faute d’avoir été
écoutée, ACOR SOS Racisme n’a pas pu faire entendre
la voix des victimes du racisme. L’examen de
l’étrange soirée du 10 mai a été
ignoré.

Un enjeu important: le droit de manifester contre le racisme est en cause

Le 19 avril 2007, quatre Noirs, présents à Bex ce
soir-là, passeront en jugement, accusés d’avoir
mené une émeute: ils ont subi les «Nègres go
home», longuement peints autour du foyer de la FAREAS qui
hébergeait trois d’entre eux. Le quatrième, un NEM,
n’y avait donc même pas accès. Le commandement de la
police vaudoise a communiqué que, mardi 10 mai 2005, en
début de soirée, une altercation avait
éclaté entre un Vaudois de 44 ans et des
ressortissant-e-s africains en ville de Bex. Selon ses propres
déclarations, excédé par le comportement de
certains requérants d’asile s’adonnant au trafic de
produits stupéfiants devant son domicile, le Bellerin a fait
plusieurs inscriptions à caractère raciste sur les murs
de la ville, visant les requérant-e-s d’asile et la FAREAS.

Commerçant tout d’une pièce, André Corboz
aurait pété les plombs. Sa version, «le
shérif de Bex» l’a ressassée deux ans durant
et s’est fait réélire au conseil communal,
début 2006, pour animer la campagne UDC pour la fermeture du
centre FAREAS, qui l’a emporté en novembre 2006. Il
l’a répétée devant la cour et les
médias.

Elle ne résiste cependant pas à l’examen des faits.
C’est troublant. Tout au long de la soirée du 10 mai 2005,
André Corboz a peint ses slogans racistes au vu et au su de tous
ceux-celles qui l’ont croisé, et de la police, à
plusieurs reprises, sans avoir été interrompu. Les Noirs
découvraient ses messages au fur et à mesure de leur
confection, s’en alarmaient, tentaient de les effacer,
sollicitaient l’intervention de la police pour faire cesser ce
scandale et n’obtenaient rien. En fin de soirée seulement,
ils décidaient de manifester leur indignation, se faisaient
violemment refouler par un barrage de police. Quelques manifestants ont
été arrêtés. Ils seront
désignés comme meneurs.

Savons-nous mieux que la police et Le Matin ce qui s’est passé à Bex le 10 mai 2005 au soir?

Oui. Nous disposons d’une solide source d’information: le
dossier de l’instruction de la provocation d’André
Corboz qu’a établi le juge d’instruction.
Pétage de plomb dû à un trafic de drogue? En
début de soirée, le 10 mai 2005, André Corboz a
agressé deux Noirs auxquels il a reproché un trafic de
drogue. Ils avaient été contrôlés par la
police qui avait établi que tel n’était pas le cas.

Altercation entre André Corboz et des ressortissants africains?
André Corboz a délibérément agressé
plusieurs Noirs. La police est parvenue à soustraire l’un
d’entre eux à sa violence pour le reconduire au centre
FAREAS. Un autre Noir a été si violemment battu par
André Corboz, que ses mains sont couvertes de son sang. La
police ne le retrouve pas mais craint qu’il ne soit gravement
blessé. Dès 20 heures, la police est informée
qu’André Corboz couvre les murs d’inscriptions
racistes. Plusieurs agents le voient. Ils demandent des
renforts… pour faire face aux Noirs. Personne ne semble avoir
songé à arrêter le peintre provocateur. Les
rapports font état de Bellerins qui l’auraient vu faire et
l’auraient encouragé.

Le pompon

Vers 22 h 20, les policiers partent à la recherche
d’André Corboz…. pour le protéger
d’une manifestation qui viendrait à sa rencontre. Toutes
les huit plaintes qu’ont signées les propriétaires
des murs souillés indiquent un délit commis
simultanément en une demi-heure, à partir de 22 h 30 et
jusqu’à 23 h. Les policiers, après avoir pour le
moins cafouillé une soirée entière, auraient
identifié les meneurs d’une manifestation qui se serait
produite avant la cause qui l’aurait suscitée?

Il n’est pas dans notre pouvoir de comprendre les raisons qui ont
empêché les dizaines de policiers mobilisés depuis
Yverdon de mettre un terme à la propagande haineuse
d’André Corboz. Alors même que les Noirs le leur
demandaient, alors même qu’ils pouvaient voir la sympathie
de Bellerins pour Corboz et donc avoir la preuve qu’incitant
à la haine raciale, il la suscitait effectivement.

En revanche, il est dans notre pouvoir de manifester contre le racisme,
à notre tour, le 17 avril 2007 à Lausanne pour affirmer
que les inculpés de Bex ne doivent pas être
sanctionnés pour avoir manifesté hier, comme nous le
faisons librement aujourd’hui.

Karl Grünberg