Crise en Italie: les pièges de l’alternance

Crise en Italie: les pièges de l’alternance

Après Franco Turigliatto, que
solidaritéS avait invité à son Forum socialiste du
Locle, les 3-4 février, Lidia Cirillo, membre de la direction du
PRC (Partito della rifondazione comunista) et de Sinistra Critica
(l’association qui regroupe l’opposition de gauche en son
sein), participait récemment à un débat
organisé par le MPS (Mouvement pour le socialisme) à
Genève. En marge de cette assemblée, nous nous sommes
entretenus avec elle sur la crise que traverse la «gauche
radicale» depuis l’instauration du gouvernement Prodi
.

Rappelons que le premier gouvernement Prodi était
«tombé» suite à un vote de défiance au
Sénat portant sur la politique étrangère du
ministre D’Alema (voir solidaritéS no 103 du 28
février). La presse italienne avait alors stigmatisé
l’abstention de deux sénateurs (Franco Turigliatto de PRC
et Fernando Rossi ex-PdCI), comme la cause de la crise gouvernementale.
Le gouvernement Prodi II, reconduit par le président Napolitano,
a pu ainsi hausser le ton au sein de sa «majorité»
parlementaire et «resserrer les boulons» d’un
programme gouvernemental déjà peu conforme aux attentes
populaires et aux engagements préélectoraux.

Comment en est-on arrivés là?

Lidia Cirillo nous explique que le point de rupture institutionnel se
situe bel et bien dans cette sanction délivrée par le
Sénat à la politique «atlantiste«
(alignée derrière l’OTAN) du gouvernement, la
source réelle de la crise, il faut la chercher dans le regain de
mobilisation contre l’élargissement de la base militaire
de Vicenza, qui avait précédé ce vote, et qui a vu
défiler plus de 100000 personnes dans les rues de cette ville du
nord-est de l’Italie. Ce regain de mobilisation se combine avec
le très fragile équilibre institutionnel: il n’y a
en effet pas de majorité au Sénat, et il suffit
d’une ou deux voix pour la faire basculer. Le sénateur
Franco Turigliatto ne pouvait évidemment pas cautionner la
politique d’alignement sans réserve que le ministre
D’Alema cherchait à verrouiller à l’occasion
du vote sur la reconduction de la mission militaire en Afghanistan.

Il est évident que la pression qui pèse sur notre
sénateur – poursuit Lidia Cirillo – est
énorme, et, dans ce fragile équilibre institutionnel, le
chantage au retour de Berlusconi est permanent. Et il est vrai
qu’il n’y a pas mieux pour terroriser notamment «le
peuple de gauche» (3-4 millions d’électeurs sur les
19 qui ont voté pour la coalition gouvernementale), car la
dévastation qu’on a connu en Italie pendant les deux
gouvernements de Berlusconi est bien réelle. Mais tout aussi
réelle est la déception générée par
la politique néolibérale du gouvernement actuel. Il faut
bien se rendre compte que ce gouvernement est responsable d’une
augmentation du budget militaire dont l’ampleur n’a pas de
précédent dans l’Italie
d’après-guerre. Ce même gouvernement a
augmenté les coûts de la protection sanitaire
(l’équivalent de la franchise de l’assurance maladie
pour nous, ndlr) et il envisage de diminuer encore les retraites dans
un pays où elles ne suffisent déjà pas à
survivre… La liste s’allonge et le mécontentement
populaire s’élargit.

Si l’on devait aller voter aujourd’hui il ne fait pas de
doute que la droite l’emporterait. C’est elle qui
capitalise actuellement ce mécontentement et elle est en train
de prendre racine dans les milieux populaires, au même moment
où la gauche les délaisse. C’est très
dangereux de laisser faire de la sorte, spécialement dans une
conjoncture historique qui voit une certaine réhabilitation
posthume du fascisme, l’église catholique engagée
dans une offensive tous azimuts, et les idéologies les plus
réactionnaires se faire une nouvelle santé à la
faveur d’une concentration sans précédent des
moyens de communication et d’édition…

Quelle est aujourd’hui la situation de PRC et celle de Sinistra Critica en son sein?

Le problème de PRC ne date pas de cette dernière crise.
Il date de la décision de participer au gouvernement Prodi, il y
a de cela au moins 3 ans. C’est à partir de cette date
qu’il a tout investi – et tout misé – sur ce
projet qui consistait à «participer au gouvernement pour
le rendre perméable aux luttes». Or, non seulement ce
gouvernement s’est montré très imperméable
aux luttes, mais en faisant cela, Rifondazione a fini par se
désengager des mouvements et des fronts de lutte. Auparavant,
notre parti s’organisait sur le terrain social, ses militant-e-s
étaient connus et reconnus par les instances des mouvements. Ce
n’était pas un parti centré sur son appareil.
Aujourd’hui, l’essentiel de ses cadres et la
totalité de sa direction ont littéralement
été aspirés par les institutions et les mandats
électifs. Il y a un taux de roulement des militant-e-s qui est
impressionnant. On peut dire que sa base militante, surtout les jeunes,
se renouvelle entièrement tous les 3-4 ans. On ne sait
désormais plus que faire d’eux. Alors que le mouvement
populaire est en train de se réveiller, mais cette fois sans
Rifondazione… Dans ce contexte, Sinistra critica cherche
à organiser celles et ceux qui ont maintenu une perspective
d’opposition radicale aux politiques néolibérales
d’où qu’elles viennent. Comme une partie des
militante- s ont déjà quitté le parti, la gauche
du parti se trouve de facto à cheval sur sa frontière.
D’autant plus que, franchement, nous ne voyons pas d’issue
à cette impasse. Prodi va poursuivre sa fuite «en
avant», de leur côté les mobilisation sociales, bien
que fragmentaires, font preuve d’une autonomie grandissante, et
nos élu-e-s devraient résister à une pression
humainement insupportable et politiquement dévastatrice. Il faut
se faire à l’idée qu’aujourd’hui il
faut recommencer le travail depuis le début, depuis la base, au
niveau des luttes sectorielles, et chercher des convergences un peu
dans l’esprit de «forums sociaux d’opposition
». Nous avons deux rendez-vous décisifs dans cette
perspective au début avril: un en Vénétie et
l’autre à Rome, 15 jours plus tard. Nous pourrons alors
mesurer le chemin qui nous restera à parcourir pour
concrétiser un projet de recomposition sociale et
organisationnelle.

Marco Spagnoli