Etats-Unis Surveillance permanente des populations

Etats-Unis Surveillance permanente des populations

Dans un article
précédent, paru le 20 décembre 2006, et intitulé «Etats-Unis: la
légalisation des tribunaux spéciaux», nous avons mis en avant une
première caractéristique des lois antiterroristes américaines: la
possibilité pour le gouvernement d’incarcérer, sans procès, ni
inculpation, pour une durée indéterminée, des étrangers-ères simplement
soupçonnés de terrorisme. Ces dispositions sont aussi conçues pour être
étendues à l’ensemble de la population. L’objectif de pouvoir se saisir
arbitrairement de tout citoyen-ne américain en le désignant comme
«ennemi combattant» est un objectif du Military Commissions Act.
Pourtant, ce n’est qu’un aspect des lois antiterroristes. Suppression
de l’Habeas Corpus des individus et surveillance des populations
constituent les deux faces de la même pièce.

Le Patriot Act1, voté immédiatement
après les attentats du 11 septembre, permet un contrôle
généralisé (surveillance
téléphonique, du courrier, du Net, des emprunts
auprès des bibliothèques…). Certaines de ces mesures
ont été de suite permanentes, mais la plupart
d’entre elles ont été installées pour une
période de quatre ans. Ces dernières, contenues dans 16
articles, venaient à expiration fin 2005. Lors de la
procédure de renouvellement, «The Patriot Act Improvement
and Reauthorization Act»2 signé le 9 mars 2006,
le gouvernement a fait transformer la plupart des mesures temporaires,
adoptées en 2001, comme procédures d’urgence, en
dispositions permanentes.

De l’état d’urgence à l’état d’exception permanent

Parmi les mesures qui étaient temporaires et qui sont devenues
permanentes: celle qui autorise les compagnies de
téléphone et les fournisseurs d’accès
internet à divulguer au gouvernement le contenu et
l’enregistrement des communications, si ces compagnies estiment
qu’elles présentent un danger de mort ou qu’elles
constituent une «injure grave.» Il n’y a pas de
contrôle judiciaire. Il n’y a pas non plus de notification
de cette transmission à la personne concernée. Le Patriot
Act facilite l’obtention par le FBI des données de
connexions électroniques entrantes et sortantes. Cette saisie ne
nécessite pas de mandat judiciaire. Avant, le gouvernement
devait prouver que la personne surveillée était un agent
d’une puissance étrangère. Maintenant, il doit
simplement signifier que l’information saisie est en
«relation» avec une enquête relative au terrorisme.
Le caractère vague de cette qualification permet de justifier
n’importe quelle recherche. L’article 218, devenu
également permanent, autorise des recherches secrètes
dans un domicile ou un bureau, si il y a une «présomption
raisonnable» que le lieu contient des informations relatives
à l’activité d’un agent d’une puissance
étrangère, sans qu’il y ait nécessairement
la preuve ou l’indice d’un délit. Les agents
obtiennent un mandat d’une cour secrète, mise en place par
le FISA de 1978, la loi relative aux services secrets. Avant le Patriot
Act, les agents fédéraux devaient certifier que
l’objectif premier de la recherche portait sur l’obtention
de renseignements en rapport avec l’étranger. Maintenant,
les agents doivent seulement déclarer que la saisie
d’informations en connexion avec l’étranger est un
«objectif significatif» de la recherche. Est aussi devenue
permanente, la mesure qui permet à un juge fédéral
ou à un magistrat d’une autre juridiction de
délivrer un mandat permettant d’enregistrer les
données entrantes et sortantes d’une connexion
électronique, mandat qui ne précise pas le n° IP
concerné et qui peut être délivré partout
sur le territoire américain. Dans les faits, il permet au
service de police de choisir son juge et ainsi d’obtenir un
mandat qui corresponde à ses attentes. Cette disposition
consacre l’impossibilité pour le pouvoir judiciaire
d’avoir un quelconque contrôle sur le travail de la police.

Il s’agit d’un véritable chèque en blanc
donné aux agents fédéraux. L’agent doit
simplement certifier que l’information recherchée est
«pertinente dans la recherche d’un crime en
exécution». Le juge doit délivrer
l’autorisation, dès réception de
l’attestation, même s’il n’est pas
d’accord avec la procédure engagée.

Identité entre travail de renseignement et enquête criminelle.

Le Patriot Act estompe la différence entre enquête
criminelle et travail de renseignement en permettant au FBI de conduire
des recherches en matière criminelle et d’obtenir les
autorisations nécessaires sous les procédures et avec les
garanties réduites de la loi relative au contre-espionnage.

Ainsi, sont prolongées pour une nouvelle période de
quatre ans, les mesures contenues dans les articles 215 et 206 du
Patriot Act. La section 215 permet au FBI, moyennant une autorisation
secrète d’un tribunal, d’avoir accès aux
données médicales, aux comptes bancaires, aux
données d’emprunt des bibliothèques ou de
«toute chose tangible», sans qu’il soit
nécessaire pour les enquêteurs de montrer que cette
recherche porte sur des faits en connexion avec le terrorisme ou avec
une puissance extérieure.

Quant à l’article 206, il autorise l’utilisation de
connexions «nomades». Les agents du FBI n’ont pas
besoin d’identifier le suspect pour obtenir l’autorisation
d’installer leur dispositif. Est installée une connexion
«sous couverture» à l’ensemble des
téléphones installés dans le voisinage de la
personne ciblée ou à ses relations, sans qu’il soit
nécessaire de montrer que l’individu surveillé
utilise ces appareils. Cela explique pourquoi, un tel dispositif est
appelé connexion «John Doe». Ne devant pas nommer la
personne devant être surveillée, le gouvernement peut
surveiller le téléphone de n’importe quel individu,
sans avoir à montrer que ce dernier est en relation, d’une
manière ou d’une autre, avec une puissance
étrangère, avec le terrorisme, ou même avec une
quelconque activité criminelle.

Est prolongé une procédure qui autorise le FBI à
pénétrer dans un domicile ou un bureau en l’absence
de l’occupant. Durant cette enquête secrète, les
agents fédéraux sont autorisés à prendre
des photos, à examiner le disque dur d’un ordinateur et
à y insérer un dispositif digital d’espionnage,
dénommé «lanterne magique». Une fois
installé, ce système enregistre toute activité
informatique

Une autre procédure permanente est prorogée, celle qui
élargit les possibilités, accordées au FBI et
à des administrations, d’obtenir des «lettres de
sécurité nationale» (NSL) une forme de citation
administrative donnant accès à des données
personnelles, médicales, financières, aux données
des agences de voyage, de location de voitures, ainsi qu’aux
fichiers de bibliothèques. Avant le Patriot Act, les NSL
étaient limités aux cas de personnes «en liaison
avec un pouvoir étranger». Cette loi étend la
capacité du FBI d’obtenir une telle autorisation en dehors
de ce cadre. Lors des débats parlementaires, il est apparu que
le gouvernement a utilisé 30000 NSL chaque année depuis
les attentats du 11 septembre.3

Le Patriot Act a aussi créé des autorisations permanentes
pour l’échange d’informations entre agences de
renseignement et services de police. L’article 905 autorise le
ministre de la Justice à saisir des preuves obtenues par des
procédures de renseignement et à les introduire dans une
procédure judiciaire. Quant à l’article 504, il
autorise le transfert de renseignements FISA (loi codifiant les
dispositions d’espionnage) vers les divisions criminelles. Le
département de la Justice a admis avoir envoyé environ
4500 dossiers FISA vers la division criminelle.4

Changement de régime politique

Ainsi, le Patriot Act généralise à
l’ensemble des matières criminelles des dispositions
établies en matière d’espionnage qui donnent des
pouvoirs exceptionnels, des prérogatives de magistrat à
l’administration, et soustrait ses actes à un
véritable contrôle judiciaire autre, que
l’autorisation préalable et sans suivi de tribunaux
d’exception, souvent secrets. La «guerre contre le
terrorisme» permet de confondre les procédures de
guerre contre un ennemi extérieur et le contrôle interne
des populations. Il n’y a plus de distinction
intérieur/extérieur. Tout individu devient un terroriste
potentiel, dont la surveillance s’inscrit dans le cadre
d’un état d’exception. Ces mesures ont
été d’abord justifiées par une situation
d’urgence. Le renouvellement du Patriot Act permet
d’inscrire celles-ci dans la durée. En devenant
permanentes, ces dispositions de contrôle des populations
induisent une modification de la forme de l’Etat.
L’état d’exception permanent, qui concentre
durablement l’ensemble des pouvoirs, dont les prérogatives
judiciaires, aux mains de l’administration, désigne une
forme de gouvernement que la théorie du droit désigne
comme dictature.

Jean-Claude Paye*

*Auteur de La fin de l’Etat de droit. La lutte
antiterroriste: de l’état d’exception à la
dictature, La Dispute, Paris, 2004. Nous avons déjà
publié deux articles du même auteur dans les n° 95 et
99 de solidaritéS, disponibles en ligne: www.solidarites.ch.

  1. Texte de loi disponible sur http://politechbot.com/
  2. H.R. 3199, version finale, http://thomas.loc.gov/
  3. «Senators Question Terrorism Inquiries», Associated Press, Washington Post, November, 7 2005, p. A 10, http://www.washingtonpost.com
  4. Oversight answers, submitted by Jamie E. Brown, Acting
    Assistant Attorney General, May 13, 2003, on file with the House
    Judiciary Committee.