Prisonniers politiques en Colombie: vers la reprise du dialogue?

Prisonniers politiques en Colombie: vers la reprise du dialogue?

La situation de guerre civile endémique, aggravée par
l’intervention états-unienne au nom du «Plan
Colombie » et du «Plan Patritota», tous deux
actuellement mis à mal par la résistance acharnée
de la guérilla, pourrait trouver une issue. La diplomatie
helvétique y travaille depuis plusieurs années. Il
s’agit d’une proposition lancée par les FARC-EP
(Forces Armées Révolutionnaires de la Colombie –
Armée populaire) en 2003, et reprise en bloc par toutes celles
et ceux qui, en Colombie et en Amérique Latine, voient une
solution possible a ce long conflit: l’échange humanitaire
de prisonniersnières de guerre et de prisonniersnières
politiques, comme préambule et engament vers la reprise du
dialogue, là où il a été rompu
unilatéralement par le régime colombien en 2002.

L’alliance du Pentagone et de la narcooligarchie colombienne pour
déstabiliser les processus de démocratisation dans la
région et écraser toute résistance sociale par la
terreur paramilitaire en Colombie, montre ses limites. Ni
l’énorme aide militaire et technologique des USA, ni la
présence de milliers de mercenaires n’ont
empêché l’échec de l’armée
officielle et de celle des narcoparamilitaires, qui n’arrivent
pas à contrôler plus de 50% du territoire national, le
reste étant comntrôlé par les insurgé-e-s.

Mais tant d’années de guerre ont laissé un terrible
bilan: 4 millions de réfugié-e-s internes, des centaines
de milliers de morts, des milliers de détenu-e-s et de
disparu-es des partis politiques de gauche, littéralement
anéantis et des syndicats. Aujourd’hui, le pays compte
environ dix mille prisonniersnières politiques, dont Rodrigo
Granda.

Nous publions ci-dessous une lettre de celui-ci, envoyée
à un ami solidaire en Suisse, et qui nous est parvenue. Granda,
membre de la Commission Internationale des FARC-EP, et véritable
ambassadeur des propositions de paix de cette organisation
révolutionnaire, a été kidnappé au
Venezuela, le 13 décembre 2004, par un commando de la CIA et de
L’armée colombienne. Actuellement, il croupit dans un
pénitencier de haute sécurité avec beaucoup
d’autres prisonniers politiques.

Nous invitons nos lecteurs et nos lectrices à écrire aux
prisonniers-nières politiques en s’adressant d’abord
à Rodrigo Granda. Vos lettres feront l’effet d’une
véritable «nourriture spirituelle». Nous vous
invitons aussi a leur adresser des dons, même quelques sous, si
indispensables en prison, pour compléter et améliorer
leur maigre diète.

Alfredo Camelo


Rodrigo Granda, TD 2532. Patio 1B/ Carcel de Alta
seguridad «Doña Juana», La Dorada. Colombia

Lettre à un ami en Suisse

Camarade, reçois mon salut fraternel révolutionnaire, que
j’adresse aussi aux membres de ta famille, ainsi
qu’à tes amis. Là où je me trouve, nous
sommes coupés du monde, spécialement pour ce qui est des
questions personnelles. Il n’en va pas de même de la vie
politique du pays. Quatre mois après qu’Uribe a
assumé son second mandat, les scandales liés à la
corruption se multiplient, gangrènent la totalité de
l’Etat, du gouvernement, jusqu’aux institutions
spirituelles comme l’Eglise.

Le Parlement est pourri jusqu’à la moelle par le
paramilitarisme; la justice est infiltée aux plus hauts niveaux
par les mêmes milieux, avec un véritable
«sorcier» à sa tête, qui remplace
l’investigation par les divagations d’un oracle du type
«Regina 11» [une voyante locale, n.d.t.]; les Hautes Cours
de justice sont liées à la mafia colombo-italienne;
l’armée, frappée par les coups successifs
d’une guérilla qui avance dans les combats, cherche
à accréditer, par de fausse nouvelles, des succès
qu’elle n’arrive pas à obtenir sur le champ de
bataille; la police, corrompue par la drogue, reçoit des coups
de l’armée; les partis politiques
désintégrés ont perdu le Nord et passent des
accords politiques avec les narco-trafiquants et les paramilitaires;
les scandales liés à la pédophilie touchent des
ecclésiastiques; le processus de paix est bloqué par un
gouvernement et des paramilitaires qui sont la même chose; les
cercles économiques accroissent sans cesse leurs profits
démesurés; la masse immense est réduite à
l’indigence, à la pauvreté extrême, sans
emploi, éducation, santé ou logement; le plan de guerre
consomme 20% du budget national sans résultat, bien au
contraire, puisque son échec est commenté dans les
coulisses du Palais présidentiel et dans les clubs de la bonne
société; une politique servile à
l’égard des Etats- Unis provoque notre isolement
international par rapport au reste du continent.

Voilà le panorama désolant du camp Uribe et de ses
alliés. Même les moyens de communication de masse ont
commencé à critiquer et à mettre en cause la
pestilence occulte de la «sécurité
démocratique» et de l’«Etat des
propriétaires». Au coeur de ce chaos, nos forces sont
intactes et nous commençons à récolter les fruits
d’un patient travail, destiné à proclamer, non pas
un changement de gouvernement, mais un véritable changement de
régime. Je t’écris en un moment où presque
personne ne parle de nous, où je suis en prison; en un moment
où l’on dit très peu de choses de
l’échange de prisonniers [des prisonniers politiques et
des prisonniers de guerre, ndt.]. Cela n’aurait pas grande
importance si nous ne considérerions pas que nous allons tous
sortir d’ici et que, d’une manière ou d’une
autre, nous allons imposer cet échange avec l’assurance
qu’il va conduire à un processus complexe qui scellera le
destin de la patrie. La crise politique est immense, mais ne
coïncide malheureusement pas avec une crise économique,
d’où la fragilité du processus. Bon, pour passer
à autre chose, j’aimerais te remercier pour ta constante
solidarité. (…) Ces gestes d’estime se produisent
entre camarades ou grands amis et cela réconforte mon esprit.

Je te souhaite un joyeux Nöel et te remercie beaucoup de ton aide.

Rodrigo Granda*


* Séquestré par l’Etat colombien. Prison de haute
sécurité de «La Dorada» (Colombie),
décembre 2006. Lettre à un ami en Suisse