Sortir du nucléaire…et du pétrole !

Sortir du nucléaire…et du pétrole !

Le samedi 17 mars dernier à Rennes, Toulouse, Lyon, Stasbourg et Lille,
plus de 60000 manifes tant-e-s – pas plus qu’en 1977 à Crey-Malville –
protestaient contre la construction d’une nouvelle centrale nucléaire à
Flamenville, en Normandie. De belles manifs mais qui nous interrogent
sur le bilan et les perspectives des luttes antinucléaires menées en
Europe depuis près d’un demi-siècle
1
Après s’être adonné au petit jeu du
productivisme électrique en couvrantla France de 58
réacteurs nucléaires en activité, en
forçant les consommateurs-trices à dilapider leur courant
– tout en privant les mauvais payeurs de leur minimum
énergétique vital!–, en tentant le diable avec le
surgénérateur de Malville, ce «fiasco
technologique» qui a fait long feu, le puissant lobby
francofrançais de l’électronucléaire
multiplie les provocations qui font courir les militante-s et marcher
les candidat-e-s aux présidentielles.

Que 59% des Français souhaitent une diminution du recours au
nucléaire, que leur surproduction exportée
représente l’équivalent de 7 réacteurs;2 que la maintenance de ces centrales expose dangereusement près de 30000 travailleurs en sous-traitance3,
que la question des déchets radioactifs soit dans
l’impasse, que le nucléaire ne contribue en rien à
réduire les émissions de gaz à effet de serre4,
les technocrates bornés n’en ont cure. Ils foncent,
tête baissée, dans l’absurde jusqu’à
imposer leur EPR à Flamenville ou leur ITER à Cadarache5. Après eux, le déluge: pluies diluviennes, fonte des glaces et montée des eaux!

Alors que le monde se presse au chevet de la planète malade, ces
apprentis sorciers continuent à s’amuser au petit jeu de
«qui perd gagne». La population, surtout celle qui va
naître, y perd sur toute la ligne, alors que les puissants qui
dominent y gagnent en gloriole, et le patronat en affaires juteuses.
Sous prétexte de palier une pénurie électrique
imminente ou d’éviter les centrales électriques
émettrices de gaz à effet de serre, des chantiers
pharaoniques leur sont ainsi servis sur un plateau.6

Le ridicule ne tue pas et les consommateurs- trices
piégés semblent s’y complaire. Comment expliquer
cela, sinon par la liberté de nuire dont jouissent les EDF,
AREVA et CEA? Ces nucléocrates nous mènent par le bout du nez en nous forçant
à descendre dans la rue pour répondre à leurs dernières provocations.
Quatre décennies de résistance contre l’atome – non plus «for peace» mais «for
pèze» – nous semblent avoir été vaines. Puisque l’urgence nous y contraint, il faudra
utiliser d’autres moyens pour tourner définitivement la
page du nucléaire: la désobéissance civile.7

C’est que leur nucléaire
n’est plus, hélas, le principal danger à combattre,
comme il l’était il y a encore un lustre, le premier
risque à dénoncer, la priorité des luttes pour
protéger la vie sur terre. Les effets du productivisme ont de
multiples causes et les dégâts provoqués par les
hydrocarbures se sont révélés plus redoutables
encore que ceux du nucléaire, y compris militaire. «Sortir
du nucléaire» ne suffit plus, il faut sans tarder
«sortir du tout fossile»: charbon, pétrole et gaz,
ces ressources énergétiques dangereuses, non
renouvelables et en voie d’épuisement.

Certes, les catastrophes par fusion d’un coeur de
réacteur, comme à Lucens en Suisse, à Three Mile
Island aux USA ou à Tchernobyl en Russie, sont gravissimes, mais
un danger plus grand encore menace, non plus seulement les populations
nucléarisées pour quelques siècles, mais toute
l’humanité pour beaucoup plus longtemps, et
irrémédiablement
si rien n’est fait.

C’est que le bouleversement du climat de la planète par le
brouillage de son atmosphère due aux émissions de gaz
à effet de serre a des conséquences moins spectaculaires,
moins immédiates, mais bien plus redoutables. Les déchets
radioactifs enfouis sont certes dangereux, mais ceux issus de la
combustion d’hydrocarbures, expédiés dans
l’atmosphère, le sont davantage encore. Les
séquelles de la catastrophe de Tchernobyl auraient causé
à ce jour une dizaine de milliers de morts, mais celles
provoquées par
un bouleversement climatique pourrait en faire une centaine de millions8.

Nos luttes limitées au nucléaire font de fait la part
belle au pétrole. C’est donc contre une catastrophe
globale et non plus contre des accidents localisés dans les pays
nantis qu’il faut se mobiliser. Passagers d’une
croisière fatale, on en est à s’extasier sur
l’allure d’un Titanic en perdition, alors que nous devrions
immédiatement en bloquer la course et en inverser le cours. On
rétorquera que la lutte pour sortir du nucléaire est
adéquate car elle serait emblématique de toute
défense de l’humanité contre les
conséquences d’un siècle de crétinisme
scientifique et technique au service de la croissance. Ce raccourci est
cependant dangereux, car le spectre du péril nucléaire
masque le risque d’une catastrophe planétaire. Il brouille
le débat démocratique nécessaire sur
l’avenir de la planète en le réduisant à de
dérisoires polémiques: nucléaire ou
éclairage à la bougie; pénurie électrique
ou effet de serre… Il nous place dans le rôle de
béotiens contestant les quatre vérités des savants
nucléocrates, il nous épuise dans une guerre
d’usure contre leurs sarcophages de béton, la flicaille
qui les protège, et les élu-e-s qui en clament la
nécessité. Cette fausse alternative donne en tout cas aux
candidat-e-s une belle occasion de créer l’illusion
qu’ils prennent à coeur les inquiétudes
grandissantes de la population.

En effet, en pleine campagne présidentielle –que Coluche
qualifiait jadis de «pestilentielle»– la mobilisation
«Pour sortir du nucléaire» a forcé ces
champions de la course au pouvoir à bidouiller leurs discours de
telle sorte qu’ils ménagent àla fois les
énergies «fossiles» et leurs concurrentes
«faciles».

Chacun-e y va de sa démagogie, comme jadis le candidat Mitterand
qui avait le culot de promettre aux Français-es
l’arrêt du surgénérateur de Malville!
Ségolène Royal veut «examiner l’avenir de
l’énergie nucléaire», Nicolas Sarkosy
préconise le remplacement du parc nucléaire «par
des centrales plus performantes», François Bayrou
déclare que «nous ne pouvons nous priver du
nucléaire», quant à Marie-Georges Buffet, elle
croit encore à «la nécessité d’avoir
un nucléaire propre et sécurisé».

Pour ratisser large, ces candidat-e-s en vue promettent tout et son
contraire: d’un côté d’accroître
davantage la production, la consommation et l’emploi, de
l’autre, de protéger les ressources, l’environnement
et la vie. Ils prétendent pouvoir écraser à la
fois l’accélérateur et la pédale de frein du
bolide fou qu’ils espèrent pouvoir gouverner. Ils-elles
feignent de vouloir prolonger les «trente glorieuses»,
faisant mine d’ignorer que
nous sommes entrés depuis longtemps dans les «trente ou quarante ténébreuses».

La Suisse n’est pas en reste: «Aucun gouvernement n’a
le courage de dire à ses concitoyens, que de chercher la
prospérité par la croissance économique est une
dangereuse illusion, et que notre avenir est dans la modestie et
l’austérité. Ce qui incidemment
n’empêche pas la joie de vivre, mais à condition que
la planète reste un lieu où elle puisse
s’exprimer».9

François Iselin


  1. Je fixe arbitrairement le début de nos
    mobilisations à la Marche de Pâques des 13, 14 et 15 avril
    1963 contre l’armement atomique où plus de 500 personnes
    défilaient de Lausanne à Genève sous des slogans
    tels que «Soyez actifs aujourd’hui pour ne pas être
    radioactifs demain« qui n’a pas vieilli. La première
    centrale nucléaire suisse était alors déjà
    en chantier à Lucens. Cf. «Lucens, accident
    nucléaire majeur», solidaritéS n° 45, 10 mai
    2004.
  2. «Stopper l’EPR», Rouge (LCR) 15.3.07.
  3. «L’industrie nucléaire, sous-traitance et servitude», Annie Thébaud-Mony, INSERM Paris 2000.
  4. Ceci car il produit aussi des gaz à effet de serre
    et toute nouvelle centrale en agmentera les émissions. Voir
    entre autres «Le nucléaire contribue aussi à
    l’effet de serre», Factsheet 7, avril 2005.
    D’après le World Information Service of Energy, en France
    «la part des émissions [de CO2] de la filière
    atomique [représente] entre 1.6 et 9.1% des émissions
    totales». Cité «Le nucléaire, parade à
    l’effet de serre?» Le Courrier de l’Unesco,
    février 2001.
  5. «Le CEA prépare les réacteurs
    nucléaires des années 2040», Le Monde 17.3.07 et
    «La construction d’ITER, un chantier pharaonique», Le
    Monde 17.3.07.
  6. Coût estimé de la centrale EPR: 3.3 milliards
    d’euros à la charge des consommateurs, Coût
    d’ITER 4.2 milliards, Largement de quoi construire un appareil de
    production énergétique propre, sûr et plus puissant
    à l’échelle mondiale.
  7. Grève de la consommation électrique, coupure
    volontaire d’approvisionnement, boycott du paiement des factures
    d’électricité et, là où cela est
    possible, approvisionnement décentralisé,
    indépendant du réseau EDF par le solaire sous toutes
  8. ses formes.
  9. «Les scientifiques dessinent l’avenir d’un monde plus chaud», Le Monde 20.3.07.
  10. Pierre Lehmann dans sa lettre de lecteur «Situation critique pour l’humanité», 24 Heures 19.3.2007.