Un sursis Swiss(id)air


Un sursis Swiss(id)air


On attribuera la crise des compagnies aériennes au dumping que leur concurrence acharnée exacerbe, aux craintes des clients suite aux accidents, détournements ou attentats, aux plaintes des riverains des aéroports, à l’émission de gaz à effet de serre, à l’encombrement des couloirs aériens. Et si le mal était ailleurs…

François Iselin

La raison de cette crise, la tendance au renchérissement du carburant fossile, est plus profonde, car l’aviation n’a pas d’énergies de remplacement. Ainsi, les transports aériens auront été un luxe éphémère dont nous devrons progressivement nous passer. L’aviation civile est très récente: il y a 40 ans, les 2/3 des passagers étaient transportés sur l’Atlantique Nord par paquebot. Dès cette date, le business du transport aérien n’a cessé d’augmenter: de 1960 à 1987, le trafic passager a décuplé passant de 106 millions de passagers par an à 1040 millions! Cette progression vertigineuse ne peut se poursuivre sans dégâts.


Routes et voies d’eau


Pour l’expliquer, situons tout d’abord l’aviation par rapport aux divers moyens de transport. Les voies terrestres nous permettent de circuler par train, voiture, camion. Ces engins sont certes lourds, mais peuvent rouler facilement sur le sol aménagé qui les supporte. Pour se déplacer, leurs moteurs n’ont à vaincre que la résistance des côtes, de l’air et du frottement des roues. Les énergies disponibles sont variées: plusieurs combustibles fossiles, électricité, gaz, hydrogène, peuvent être utilisées. De plus, leur consommation d’énergie peut encore être réduite: le projet Swissmétro, par exemple, cherche à réduire les dénivellations par la circulation en tunnel, la résistance de l’air en créant le vide dans ces tunnels et le frottement des roues en faisant glisser les wagons sur des coussins magnétiques.


Libres comme l’air ?


Les voies fluviales, lacustres ou maritimes permettaient de relier des contrées plus éloignées, mais les péniches, paquebots, pétroliers, doivent être plus légers que l’eau douce ou salée, ce qui implique une réserve d’air dans leurs coques. L’énergie nécessaire à déplacer ces engins flottants est moindre: il suffit de vaincre la résistance de l’eau, du vent et de la houle. Le choix des énergies de propulsion reste large: fossile, nucléaire, solaire (sous forme d’énergie éolienne) et même photo-voltaïque pour quelques cas. Les voies aériennes, elles, empruntent l’air, un milieu recouvrant toutes les contrées de la planète. Dépourvues d’obstacles et de limites, c’est la voie royale des transports intercontinentaux. Il suffit de construire des aéroports pour que les aéronefs rejoignent le sol et s’y élèvent. Deux types d’engins ont été conçus. Avant les avions «plus lourds que l’air», les «plus légers que l’air»: montgolfières et zeppelins gonflés de gaz légers comme l’air chaud, l’hydrogène ou l’hélium. Les descendants du ballon des frères Montgolfier se déplacent par la force et la direction aléatoires des vents alors que les zeppelins, rejetons de Ferdinand Zeppelin, peuvent êtres dirigés – d’où leur nom de «dirigeables» – grâce à leur moteur à essence ou à gaz.


Les inconvénients des zeppelins, gros transporteurs de passagers et de fret dans l’entre-deux guerres, sont leur relative lenteur, la prise au vent de leur volumineuse «bouée de flottaison» et l’explosibilité de l’hydrogène. Ces tares ont causé deux accidents majeurs qui ont arrêté net le développement si prometteur des dirigeables: l’explosion du «Hindenburg» à New York en 1937 et, en 1960, la destruction au sol, dans le Massachusetts, par une tempête, du plus grand dirigeable au monde (120 m. de long). Aujourd’hui, l’hélium ininflammable remplace l’hydrogène et la précision des prévisions météorologiques permet de déjouer les tempêtes. Mais c’est surtout le développement de l’aviation militaire qui a incité le capitalisme à tirer profit de ces engins en marchandisant le transport aérien.


Des avions trop gourmands


Les avions empruntent le milieu aérien, mais sont plus lourds que l’air. S’ils volent, c’est qu’à partir d’une certaine vitesse, leurs ailes les portent. Cette vitesse, nécessaire à leur sustentation, nécessite une importante quantité d’énergie: deux fois plus d’énergie pour rester en l’air que pour s’y déplacer.2 Mais cette énergie ne peut être que des dérivés du pétrole, et c’est là que le bât blesse, car le nucléaire – à supposer que cette folie soit envisagée – exigerait des moteurs bien trop lourds. Quant au solaire, qui vient d’élever un avion expérimental ultra léger à des altitudes jamais atteintes, il ne pourrait faire décoller le moindre avion de passagers.


Les coûts d’exploitation d’un avion se décomposent grosso modo ainsi 40% pour l’amortissement d’achat et l’assurance de l’appareil, 20% pour les frais du personnel naviguant, 15% pour les frais de maintenance et 25% pour le carburant fossile. Bien que le rendement des moteurs n’ait cessé d’être amélioré, le moindre renchérissement du plein de kérosène peut clouer les avions au sol (teknea.com/av13pres.htm).


Par contre, pour transporter une même charge, un dirigeable moderne consommerait 60% de moins d’énergie qu’un Boeing 747. Volant à 150 km/h, il serait certes 6 fois moins rapide mais nettement plus écologique, sûr et silencieux. Ainsi les avions civils sont les otages du pétrole. Alors que le passager d’un bus interurbain consomme 1 unité d’énergie pour parcourir un kilomètre, il en consommerait 2 en bus de ville, 3 en train, 5 en voiture, 7 en avion à réaction et 17 en Concorde.3 Si des milliers d’avions sillonnent le ciel, transportent une multitude de passagers et des montagnes de marchandises d’un point à l’autre de la terre, ce n’est qu’en brûlant une ressource non renouvelable, considérée à tort comme abondante, bon marché ou inoffensive pour l’environnement. Comme ni le prix des ponctions dans les ressources ni celui des effets désastreux de leur combustion ne sont payés par les compagnies aériennes, l’affaire semblait hautement profitable pour leurs actionnaires tout en étant précaire pour les salarié·e·s et catastrophique pour l’espèce humaine et son environnement.


Chercher des alternatives


La moindre hausse du prix du baril clouera l’aviation au sol. Comme la pénurie d’hydrocarbures à bon marché s’approche à grands pas, l’aviation traditionnelle est inévitablement condamnée à décliner. Il faudrait donc rechercher sans tarder d’autres moyens de transport aériens et planifier à l’échelle planétaire la gestion des ressources pétrolières qui restent pour que la voie royale des transports reste à l’avenir ouverte aux transports indispensables aux populations. L’acharnement thérapeutique visant à «sauver» les compagnies d’aviation ne conduira qu’à l’impasse, à dilapider des fonds publics et à retarder davantage encore la recherche de moyens de transport alternatifs.


Si l’Etat défendait réellement les intérêts de la majorité des citoyens et du personnel de Swissair, il financerait, non pas des banques et une compagnie d’aviation privée, mais un «programme d’impulsion» public qui, avec le concours des scientifiques et des salarié-e-s, chercherait et développerait les moyens de transport aériens alternatifs, écologiques et sûrs, comme elle l’a fait pour promouvoir les économies d’énergies ou former les professionnels à la rénovation des bâtiments.



  1. «Trafic aérien: comment éviter le chaos», La Recherche, avril 1999
  2. «Le retour des plus légers que l’air; Science & Vie, 7.1995. Voir aussi «Les zeppelins du XXIe siècle», Pour la science, mars 2000
  3. «Énergie, pollution, environnement»; Claude Ronneau, De Boeck, 1993.


Les libéraux et Swissair


La dernière séance du Grand Conseil a vu le vote d’une motion initiée par l’ADG pour une plainte pénale des autorités genevoises contre les organes de Swissair, du Crédit Suisse et de l’UBS, cette motion a bien sûr été refusée par les libéraux, au motif qu’elle était inutile.


Par contre ceux-ci avaient signé une autre motion de la présidente du parlement, élue du PS, invitant les autorités fédérales “à tout mettre en oeuvre pour qu’une compagnie nationale puisse renaître dans les meilleures délais”. Le problème c’est que cette invite était défendue par M. Halpérin, chef de groupe libéral, pour qui Swissair est une “compagnie nationale, dans le sens que vers elle convergent nos pensées, quelle que soit sa forme juridique” (sic!) …et par le président du PS, au nom de la “prise de pouvoir par l’Etat” sur un service public essentiel.


Avec les Verts nous avons shooté cette invite ambiguë, ouvrant la voie à un financement à fond perdu et sans contre-partie d’une compagnie privée par la collectivité, pour maintenir l’exigence d’un refus des licenciements massifs et d’un engagement des banques dans le sauvetage de Swissair. Commen-taire dépité d’Halpérin: “Vous avez amputé le seul élément essentiel de cette résolution”. Les postes de travail à sauver et les banques à faire rendre gorge, ça n’est évidemment la tasse de thé des libéraux… (pv)