Ecosocialisme: comment les riches détruisent la planète

Ecosocialisme: comment les riches détruisent la planète*

«L’Europe connaît son automne le plus chaud depuis cinq siècles»1, «2006, sixième année la plus chaude jamais enregistrée»2 «Le réchauffement du climat pourrait atteindre 3 degrés, selon les experts du GIEC»3
… Précisément, plus de 500 scientifiques
constituant ce Groupe d’experts Intergouvernemental sur
l’Évolution du Climat viennent de conclure que «le
réchauffement du système climatique –
engendré par l’homme – est sans
équivoques» tordant ainsi le cou aux derniers
négationnistes qui le mettaient en doute et contestaient le
rôle déterminant des «activités
humaines» sur le bouleversement du climat de la planète
4 . Les responsables du désastre ne sont pas pour autant désignés.

Que signifient les vagues expressions «engendré par
l’homme» ou par les «activités
humaines»? Ce flou ne peut que stigmatiser
l’humanité dans son ensemble. Car qui détermine
souverainement les activités productives depuis plus d’un
siècle? Qui prêche le développement, la croissance,
le productivisme à tout crin? Qui détermine les
priorités des besoins et les ressources à
exploiter?…

Le brillant ouvrage de Hervé Kempf met le doigt sur le facteur
politique responsable de crise écologique actuelle. Elle
n’est nullement provoquée par les «activités
humaines». «Ce
désastre est mis en œuvre par un système de pouvoir
qui n’a plus pour fin que le maintien des privilèges des
classes dirigeantes
» ainsi, «crise écologique et crise sociale sont les deux facettes d’un même désastre»5.

Ce système de pouvoir est assuré par une petite
minorité: 300 millions de propriétaires sur une
population mondiale de plus de 6 milliards. Ce sont ces 5% qui
contrôlent toute la richesse produite sur la terre. Ces
«riches», cette oligarchie prédatrice et cupide,
cette classe oisive ou de loisir, ont toujours cherché à
accaparer les richesses de la nature et du travail; ce qui est nouveau
c’est qu’ils ne pensent plus qu’à
ça… sans que la gauche ne s’en soit aperçue.
«La bourgeoisie du
XIXème siècle, que Marx qualifiait de
révolutionnaire, exploitait le prolétariat, mais avait
aussi le sentiment de propager le progrès et les idéaux
humanistes
». Or, la bourgeoisie actuelle «ne porte aucun projet, n’est animée d’aucun idéal, ne délivre aucune parole».

Pour défendre ses privilèges de plus en plus
contestés, elle s’est forgé un arsenal
idéologique, le néolibéralisme; «Cette
représentation du monde […] sous-estime la gravité
de l’empoisonnement de la biosphère […], est
indifférente à la dégradation des conditions de
vie de la majorité des hommes et des femmes, consent à
voir dilapider les chances de survie des générations
futures
».

Ces prédateurs devraient pourtant craindre d’avoir
à subir le même sort que leurs congénères,
tous menacés d’une catastrophe écologique. Bien au
contraire: «Ils la souhaitent,
ils aspirent à l’exacerbation, au désordre, ils
jouissent de l’excitation que procure un comportement si
évidemment asocial
». Provoquées ou subies,
toutes les catastrophes leur sont bonnes à prendre. Elles leur
permettront de «relancer l’économie», de «remettre les gens au travail»,
de faire de l’ordre dans le monde à coup de
répressions et de guerres. Après avoir soutenu que rien
de grave n’était à craindre, ils affirment
maintenant que les risques d’une catastrophe pourraient
être prévenus. Ils mettent en branle des recherches
«scientifiques», des observatoires climatiques, des
chantiers préventifs sans renoncer, bien au contraire, à
leur débauche de ressources énergétiques et
matérielles épuisables et nuisibles. Ils n’agitent
le slogan de «développement durable» que pour mieux
préserver leur hégémonie… et «pour évacuer le gros mot «écologie» précise Kempf.
 
Leurs projets les plus délirants fleurissent déjà:
injection dans la stratosphère de plusieurs milliers de tonnes
de souffre censés faire écran au rayonnement solaire,
ensemencement des océans avec des nutriments favorisant la
productivité du plancton qui piégerait ainsi davantage de
gaz carbonique, envoi d’une constellation de sondes-parasols
entre la Terre et le Soleil pour en atténuer le
rayonnement… La «géo-ingénierie globale»,
cette nouvelle technologie qui cherche à refroidir la
planète, sans pour autant éviter de la chauffer, est en
marche!6
 
Quant à la gauche, admiratrice candide des «progrès de la science» et promotrice de ce «développement des forces productives»
aveugle qui – faute d’être contrôlées
démocratiquement par les producteurs eux-mêmes – a
conduit l’humanité dans une impasse, se laissera-t-elle
berner une fois de plus par ces pompiers-incendiaires de la
planète? Les craintes sont permises, car elle «manifeste
[…] un refus caricatural de s’intéresser
réellement à l’écologie» et cela parce
qu’elle «reste confite dans l’idée du
progrès tel que le concevait le XIXème siècle,
croit encore que la science se fait comme du temps de Louis Pasteur,
entonne le chant de la croissance sans la moindre trace d’esprit
critiqu
e».

Pourtant, tout espoir révolutionnaire ne serait pas perdu si «la
préoccupation écologique s’articule à une
analyse politique radicale des rapports actuels de domination
».
Un tournant politique de dernière minute à prendre avant
l’irrémédiable. L’ouvrage de Kempf nous y
encourage vivement.

François Iselin

Comment les riches détruisent la planète
est le titre de l’ouvrage de Hervé Kempf, L’histoire
immédiate, Seuil, janvier 2007 dont il est question dans cet
article. Hervé Kempf est journaliste d’environnement,
actuellement au journal Le Monde.

  1. Titre d’article, Le Monde, 8.12.2006,
  2. Idem, Le Monde, 4.1.2007,
  3. Idem, Le Monde, 31.1.2007,
  4. Le 4e rapport du GIEC paraîtra en automne 2007.
  5. Toutes les citations non référencées sont tirées de l’ouvrage de Hervé Kempf.
  6. Ces trois exemples sont tirés de: Stéphane Foucart, La prochaine bataille du climat, Le Monde 21.2.2007