«Sommet» des bases pour approfondir la lutte anti-capitaliste


«Sommet» des bases pour approfondir la lutte anti-capitaliste


Afin de faire le point sur la tenue de la 3e Conférence internationale de l’Action Mondiale des Peuples (AMP) à Cochabamba, en Bolivie, du 16 au 23 septembre derniers, nous nous sommes entretenus avec Olivier de Marcellus. Quelques premiers commentaires à chaud.


Dans quelles conditions s’est tenue la 3e Conférence de l’AMP?


Les évènements de New York ont perturbé le début. Le chaos des transports a empêché la participation de tous les Etats-uniens sauf un. Evidemment, bon nombre de délégué-e-s sont arrivés en retard et d’autres n’ont pas pu arriver du tout… Mais les participant-e-s avaient une grande volonté collective d’aboutir. Le dernier jour, un nombre impressionnant d’accords ont été atteints dans un marathon de 16 heures de plus en plus efficace et convivial. Cela a fini à 2h du matin avec une fête au «chicha» (la bière de maïs des indigènes) et une danse collective! Au niveau humain, c’était la plus chaleureuse de nos réunions: des retrouvailles pour plein de personnes qui sont à présent de vieux amis et le plaisir de voir que des douzaines de nouveaux se sont immédiatement sentis chez eux, simplement parce que tant de mouvements populaires de base semblent partager nos pratiques et nos rêves.


Comment se sont comportées les autorités boliviennes?


L’immigration bolivienne a déclaré que «tous les visas pour l’AMP sont annulés». Même des personnes qui avaient déjà passé la frontière ont été raflées dans l’aéroport et menacées d’expulsion. Un bus entier de délégué-e-s de Colombie, de l’Equateur et du Perou a été bloqué à la frontière, la délégation asiatique a dû patienter à Genève. Le gouverneur de Cochabamba a déclaré que nous étions tous des «terroristes potentiels»… Quand Evo Morales, le leader des Seis Federaciones del Tropico (le plus puissant des mouvements paysans du pays et l’hôte de la conférence) a osé condamner autant l’attaque de New York que le terrorisme gringo en Irak ou en Amérique Latine, l’ambassadeur US a lancé une véritable fatwa, déclarant publiquement qu’il ne devrait pas être surpris de ce qui pourrait lui arriver. Le conférence a donc débuté dans un climat un peu tendu…


Que peux-tu dire des délégations présentes?


Grâce à la pression politique de nos hô-tes et des organisations des droits humains, 170 délégué-e-s ont pu entrer, même si 25 sont restés bloqués à la frontière. Avec les participants boliviens, la conférence a ainsi réuni 230-250 personnes de plus de trente pays, de pratiquement toute l’Amérique Latine, mais aussi d’Asie (une dizaine), de Papouasie, d’Australie, d’Afrique du Sud!


Nous avons reçu d’excellentes nouvelles de l’Inde. Le mouvement paysan est à présent coordonné au niveau national (apparemment en partie grâce à la dynamique lancée par la Caravane Intercontinentale en Europe). Une série de mobilisations monstres ont lieu à peu près chaque mois dans différentes régions du pays à Bombay, New Delhi, etc. Le KRRS du Prof. Nanjundaswamy et d’autres mouvements attendent 500’000 personnes ces jours au sud… Ils espèrent obliger le gouvernement indien à retirer l’agriculture de l’OMC. Ils ont donné jusqu’au 5 novembre au gouvernement pour distribuer 20 millions de tonnes de stocks de grain. Sinon ils le feront eux-mêmes pour le sommet de Qatar.


Parmi les nouvelles organisations il y avait trois représentants de la Fédé-ration indonésienne, un délégué de la fédération paysanne du Népal et quatre représentant-e-s des mouvements sud-africains (sans-terre, forum contre les privatisations, luttes pour le logement et les services). Malheureusement, les autres délégués africains n’ont pu obtenir des visas.


Quels mouvements représentaient l’Amérique Latine?


Des délégué-e-s des Seis Federaciones de Bolivie, de la Confeunassc d’Equateur, du MST du Brésil, des confédérations nationales d’indigènes de Bolivie (CONAI) et de Colombie (ONIC), des mouvements afro-américains (PCN et ODECA), ainsi que des peuples indigènes du Guatemala, des Kunas du Panama, des Mapuches d’Argentine et du Chili, des Miskitos du Nicaragua et, bien sûr, des Quechuas de la région andine.


Il y avait aussi des représentantes du Mouvement National des Femmes de Colombie et de leurs homologues mexicaines. Enfin, nouveauté importante, il y avait des jeunes de réseaux urbains qui s’étaient mobilisés spécifiquement pour les Journées d’Action Mondiale du 1er Mai, de Prague ou contre l’ALENA (Traité de «libre» échange des Amériques).


Comment l’AMP conçoit-elle son développement, notamment au Nord?


Au départ de l’AMP, l’action directe venue de l’Inde a mobilisé l’Europe, qui à son tour a inspiré Seattle. Repassant l’Atlantique, les mobilisations se sont encore amplifiées à Prague et surtout à Gênes. Aujourd’hui, le courant passe aussi du Nord au Sud, notamment l’idée de s’organiser pour l’action en réseaux horizontaux. Des sites Indymedia se créent dans divers pays.


La présence de personnes de groupes du Nord qui ont organisé l’action directe à Londres, Prague, Gênes, Québec, Göteborg, Barcelone, Melbourne et Davos (Reclaim the Streets, Ya Basta, Comité de Lutte Anti-Capitaliste du Québec, MRG de Catalogne, Coordination Anti-WTO de Suisse, etc.) a aussi marqué les avancées énormes du mouvement dans le Nord depuis la dernière conférence. Le mouvement au Nord existe aussi et ne sert pas seulement à organiser la solidarité avec le Sud.


Quelles ont été les principaux résultats de cette Conférence?


Tout d’abord, un appel à une Journée d’Action Mondiale contre la Conférence de l’OMC au Qatar. Parmi les propositions, celles de bloquer les centres boursiers et financiers, d’empêcher la participation des divers ministres du commerce extérieur ou encore d’organiser des consultations populaires. Ensuite, un appel à se mobiliser contre la prochaine réunion de l’ALENA, en mars, en Equateur.


Parmi les campagnes à plus long terme: contre le militarisme, le paramilitarisme et le terrorisme d’Etat, notamment dans la région andine; contre l’accaparement de la terre et la privatisation de l’eau et d’autres biens communs; pour le droit des communautés humaines d’organiser librement leurs sociétés, leurs moyens d’existence et leur rapport avec la nature (ce que les peuples originaires appellent leur «cosmovision»).


Des modifications significatives de l’orientation politique de l’AMP ont-elles été décidées?


Plusieurs modifications importantes ont été décidées dans les textes et principes de base. Le premier principe a été modifié pour ajouter «un rejet clair du féodalisme, du capitalisme et de l’impérialisme» à celui du «libre» échange. Le quatrième principe a été modifié pour faire clairement appel à «l’action directe, la désobéissance civile et le soutien aux luttes des mouvements populaires, mettant en avant des formes de résistance qui maximisent le respect pour la vie et les droits des peuples opprimés, ainsi qu’à la construction d’alternatives locales au capitalisme mondialisé». Il s’agissait surtout de remplacer le terme «non-violent», source de malentendus culturels et politiques inextricables, par une phrase qui affirme clairement la volonté de respecter au maximum la vie sans prétendre imposer un moyen unique de lutte.


Le manifeste de l’AMP a été repris pour introduire une perspective de genre dans tous les domaines traités. Enfin, un paragraphe concernant le changement climatique a aussi été ajouté à la fois pour signaler cette ultime limite à notre économie, mais aussi pour dénoncer la marchandisation de l’atmosphère (des «droits à polluer»).


Enfin, les principes organisationnels de l’AMP (de son comité de pilotage, groupe de soutien, publications, etc.) ont été profondément modifiés. En effet, l’expérience a montré, qu’autant l’efficacité que le respect de l’autonomie plaidaient en faveur d’un fonctionnement encore plus décentralisé. L’avenir doit mettre plus l’accent sur les réunions régionales des «caravanes» impulsant le débat global à partir de la base… Bref: «le pouvoir au réseau!».


Signalons encore l’accueil inoubliable organisé par les paysans boliviens pour les délégué-e-s au Chaparé: 20’000 personnes rassemblées pour écouter des délégués du monde entier! Un moment de solidarité très fort avec une partie de cet énorme mouvement populaire qui tient tête à l’impérialisme dans toute la région des

Andes.