Crise politique en Italie: quand le moindre mal flirte avec le pire

Crise politique en Italie: quand le moindre mal flirte avec le pire

Depuis le début de la semaine passée, l’Association
«Gauche Critique», récemment fondée par les
membres du courant du même nom au sein du Parti de la Refondation
Communiste (PRC) en Italie, est sous les feux de
l’actualité. Son sénateur, Franco Turigliatto, a en
effet refusé de voter le rapport de politique
étrangère présenté par le Ministre en
charge, Massimo D’Alema, qui prévoyait l’approbation
de la mission militaire italienne en Afghanistan et le doublement de la
base US de Vicenza… Quelques jours à peine après
une manifestation de plus de 100 000 personnes contre l’extension
de cette base, indispensable aux missions impérialistes des
Etats-Unis et de l’OTAN au Moyen-Orient!

Le gouvernement Prodi ayant lié cette décision de
politique étrangère à un vote de confiance en
faveur de sa coalition, il ne pouvait donc compter sur les suffrages de
la droite. Dans ce contexte, deux voix de gauche, fidèles aux
engagements pris à l’égard du mouvement social,
n’ont pas permis au gouvernement d’obtenir le quorum
requis: celles de Franco Turigliatto, mais aussi de Fernando Rossi
(ex-Parti des communistes italiens), refusant ainsi le chantage du
pouvoir. Il est vrai que les suffrages de deux sénateurs
à vie, sur lesquels tablait le gouvernement, manquaient aussi
à l’appel… D’où la démission du
cabinet Prodi I, qui est tombé pour avoir voulu dramatiser un
vote de confiance afin de museler toute opposition sur sa gauche, et
par-là le mouvement social.

Dans la foulée de ces événements, le
président Giorgio Napolitano a appelé Romano Prodi
à prendre les rênes d’un second gouvernement. Au
moment où nous mettons sous presse, celui-ci
s’apprête à soumettre un nouveau vote de confiance
au Sénat et à la Chambre, cette fois-ci sur un programme
de 12 conditions «non négociables». Parmi celles-ci:
le respect des engagements internationaux de l’Italie (entendre:
sa politique guerrière), l’exécution de la ligne
ferroviaire à grande vitesse Turin-Lyon (TAV) –
contestée par les habitant-e-s concernés –, la
réduction des dépenses publiques et la
réorganisation du système des retraites. La politique
«du moindre mal» flirte donc désormais ouvertement
avec celle du pire!

Franco Turigliatto a d’ores et déjà annoncé
qu’il voterait une «confiance distante», uniquement
pour ne pas faire tomber le gouvernement Prodi II et risquer
d’ouvrir la voie institutionnelle à un retour de
Berlusconi, mais en gardant les mains libres. En clair: il annonce
d’ores et déjà qu’il ne votera aucune
disposition concrète en faveur d’une politique
impérialiste ou néolibérale, en particulier en
faveur de la base de Vicenza, de la guerre en Afghanistan, du train
à grande vitesse Turin-Lyon (TAV) ou de la réforme des
pensions. Ce sera alors au gouvernement de se démasquer en
allant chercher les voix qui lui manquent auprès de la droite!
La «Gauche Critique» annonce ainsi clairement son
entrée en opposition, appelant la société à
se mobiliser contre toute décision guerrière,
anti-écologique et anti-sociale de la coalition au
pouvoir…

Avant la crise, le Ministre de l’intérieur Giuliano Amato
avait mis en garde contre la présence de soi-disant terroristes
au sein du mouvement syndical, au moment où le
mécontentement populaire montait contre la loi budgétaire
et les projets de réforme des retraites. Dans le même
sens, le jour de la chute du gouvernement Prodi I, l’ancien
communiste Giorgio Napolitano, aujourd’hui membre des
Démocrates de gauche, montrait du doigt le mouvement social et
ses mobilisations, qu’il dénonçait comme facteurs
de perturbation de la «démocratie», susceptibles de
favoriser des dérives terroristes. Autant d’appels
à un pouvoir plus autoritaire, mais aussi de justifications aux
menées anti-démocratiques de l’extrême droite
italienne, laquelle entretient des rapports incestueux avec
l’appareil d’Etat depuis des décennies.

En même temps, un véritable lynchage
politico-médiatique a été orchestré contre
les deux sénateurs rebelles par fidélité à
leurs engagements, en particulier contre Franco Turigliatto (Fernando
Rossi n’étant plus membre d’aucun parti),
accusé de n’avoir pas respecté les consignes
impératives de la direction du PRC. Son groupe parlementaire
l’a suspendu sine die, tandis que la Direction nationale
proposait son «éloignement» du parti (un
euphémisme pour parler d’exclusion) à la commission
de contrôle (Collegio di Garanzia); celle-ci devrait trancher au
moment où nous mettons sous presse. En revanche, le NON à
la guerre de Turigliatto et Rossi a été salué
largement et avec enthousiasme par de nombreux acteurs-trices du
mouvement social et de la gauche anticapitaliste, en Italie et dans le
monde.

Contre l’exclusion de Turigliatto du PRC, contre sa
démission du Sénat, et pour une politique de
résistance au libéralisme et à
l’impérialisme, ancrée à gauche et en phase
avec le mouvement social, solidaritéS appelle ses
lecteurs-trices à signer au plus vite l’appel national et
international de soutien à Franco Turigliatto disponible sur
notre site (www.solidarites.ch)

Jean Batou