La conférence de Paris III pour le soutien au Liban: qui aide qui?

La conférence de Paris III pour le soutien au Liban: qui aide qui?

Le 25 janvier 2007, s’est tenu à Paris, la
Conférence internationale de soutien au Liban, dite «Paris
III», convoquée et présidée par Jacques
Chirac. Etaient réunis les représentants de trente-six
pays, notamment la secrétaire d’Etat américaine
Condolezza Rice, et de quatorze institutions internationales, dont le
nouveau secrétaire général des Nations Unies Ban
Ki-Moon, le président de la Banque mondiale Paul Wolfowitz ou
encore le chef de la diplomatie européenne Javier Solana.
C’est la troisième conférence enmoins de dix ans
ayant lieu à Paris qui est consacrée à
l’aide au Liban, la première datant de 1998, la
deuxième de 2002.

Le but officiel de cette conférence était demobiliser une
aide financière «pour soulager la dette et créer
une dynamique», selon les responsables français,
après la terrible guerre d’agression de
l’été 2006 menée par Israël (avec le
soutien des Etats-Unis), en violation de la charte de l’ONU et de
multiples dispositions des Conventions de Genève
régissant le droit humanitaire. Les dégâts ont
été évalués à environ 3,5 milliards
de dollars. Au sortir de la guerre, la dette publique était de
41 milliards de dollars, ce qui fait du Liban un des pays les plus
endettés au monde par rapport à son nombre
d’habitants (3,5 millions d’habitants).

Cette conférence a débouché sur des promesses
d’aide de la communauté internationale
s’élevant à 7,6 milliards de dollars. Les
Etats-Unis ont annoncé un soutien de 770 millions de dollars
(soit 594 millions d’euros), tout comme la Commission
européenne (400 millions d’euros), La Banque mondiale et
la Banque européenne d’investissement (768 millions
d’euros), l’Arabie saoudite (846millions d’euros). La
France, quant à elle, a accordé un prêt de
500millions d’euros, mais «à des conditions
avantageuses dont lamoitié sera versée cette
année», a précisé le Président. Sous
cette apparence de générosité, le véritable
soutien est de nature politique.

Les contreparties de l’aide

Après la journée de manifestations du 23 février
contre le gouvernement pro-occidental et néolibéral de
Fouad Siniora qui a fait 3 morts et 130 blessés, les
participants à la conférence ont voulu lancer un signal
fort contre le Hezbollah, leader de cette protestation populaire.
Malheureusement, l’aide financière promise ne
bénéficiera pas à la population libanaise,
puisqu’elle est octroyée en contrepartie de
réformes économiques néolibérales qui vont
frapper durement les plus démunis

Pour atteindre l’objectif «ridicule» de faire passer
la dette de 180%à 144%du PIB en 2011, Siniora a annoncé,
début janvier, la liste desmesures prévues: augmentation
de la TVA à 15% contre 10% actuellement; privatisation du
secteur de la téléphoniemobile; élimination du
déficit budgétaire en cinq ans; des initiatives pour
attirer les investisseurs étrangers; renforcer le système
de la sécurité sociale (ce qui paraît incompatible
avec l’objectif d’élimination du déficit
budgétaire) et réformer l’administration. Nul doute
que cesmesures néolibérales profiteront aux
multinationales du Nord qui pourront gagner de nouveaux marchés
(…).

Les Libanais-es ont compris que ces réformes sont les recettes
des plans d’ajustement structurel (PAS) imposés par le FMI
et la Banquemondiale depuis un quart de siècle et qui servent en
priorité les intérêts des grandes puissances. Le
chef de laConfédération syndicale des travailleurs du
Liban,Ghassane Ghosn, a dénoncé un plan de
réformes «mijoté par la Banquemondiale en vue
d’appauvrir les Libanais».C’est pourquoi il a
appelé à des manifestations pour demander le retrait de
ce plan gouvernemental. Le Hezbollah et des dirigeants chrétiens
ont rejoint lemouvement syndical et
exigent à présent la démission du gouvernement et
la tenue d’élections législatives
anticipées.Depuis la guerre d’Israël, le gouvernement
est en pleine crise de légitimité (six ministres ont
démissionné en novembre) alors que le Hezbollah jouit
d’une grande popularité, due notamment à
l’aide financière qu’il a apportée dans la
reconstruction de nombreuses maisons. (…)

Le poids de la dette

Entre 1990 et 2006, la dette publique
est passée de 3 à 41 milliards de dollars. Avant la
guerre, la dette extérieure était déjà
insupportable pour la population puisque, fin 2004, elle
s’élevait à 22,2 milliards de dollars (…).
En 2004, le Liban a remboursé 4,4 milliards de dollars pour le
service de la dette extérieure et, en 2006, le service de la
dette a absorbé 80% des recettes de l’Etat. Or, les
prêts n’ont pas profité à la population, car
la dette a progressé sous les gouvernements de Rafic Hariri,
à un rythme régulier, indépendant de celui de la
reconstruction, dont le coût des travaux n’a pas
excédé 7 milliards de dollars.

Depuis des années, la politique économique et
financière libanaise est désastreuse. Pour la
période 1993-2000, moins de la moitié des 10 milliards de
dollars d’investissement du Plan «Horizon 2000» ont
effectivement été réalisés. De plus, les
priorités initiales de ce plan n’ont pas été
respectées, favorisant les secteurs fonciers et financiers ainsi
que le tourisme de luxe au détriment de l’agriculture et
de l’industrie. Enfin, lamajeure partie de ces dépenses a
pris la forme de profits rapatriés par les multinationales
engagées dans l’exécution des grands projets
d’infrastructure, de financements affectés à
l’importation d’équipements et de salaires
versés à la maind’œuvre non libanaise
impliquée massivement dans ces projets.

Il y a donc fort à parier que la Conférence de Paris III
ne résoudra en rien l’endettement honteux du Liban et
qu’elle aggravera même les conditions de vie des Libanais
puisqu’elle entérine et légitime les
réformes néolibérales annoncées par le
gouvernement. Un changement de logique et donc de dirigeants
s’impose donc afin de satisfaire les besoins humains
fondamentaux. L’annulation totale et inconditionnelle de la dette
du Liban est une première étape indispensable. Elle doit
également s’accompagner de la création d’un
fonds destiné à sa reconstruction qui serait
alimenté par des réparations versées par
Israël et les Etats-Unis pour la guerre dévastatrice
qu’ils ont menée.

Renaud Vivien*

* Membre du CADTM Belgique. Article publié sur le site: http://www.cadtm.org. Coupures et intertitres de la rédaction.