Et si le Léman vous filait les glandes?

Et si le Léman vous filait les glandes?

L’enquête sur la baisse dramatique de la pêche dans
les rivières suisses (Fischnetz, dès 1998) avait
déjà mis en évidence une féminisation des
poissons; le mystère des malformations sexuelles des
corégones du lac de Thoune est venu ensuite s’ajouter aux
soupçons: les eaux de nos rivières et de nos lacs
charrieraient-elles de quoi venir perturber le fonctionnement des
systèmes endocriniens des animaux, puis des humains?

Le système endocrinien, composé de plusieurs glandes
(hypothalamus, hypophyse, pancréas, surrénales,
testicules, ovaires, thyroïde et parathyroïdes)
secrète des hormones, diffusées par le sang, qui agissent
sur différents organes cibles. Des substances, les perturbateurs
endocriniens, peuvent venir déranger cette belle ordonnance.
Parmi ces perturbateurs, les substances naturelles sont
représentées par les hormones animales et
végétales, alors que la production industrielle
déverse ses hormones synthétiques (contraceptifs oraux,
compléments alimentaires pour animaux) et ses substances
chimiques (plusieurs milliers). Parmi ces dernières, citons les
dioxines, les phtalaques (plastifiant, présent dans le PVC, les
jouets, les adhésifs), le bisphénol (plastique et
résines, dans certains biberons, à
l’intérieur des boîtes de conserve, dans les CD et
DVD, dans certaines résines dentaires, etc.) et certains
produits de nettoyage. Ce charmant cocktail se retrouve à des
doses très faibles dans les eaux des lacs et des
rivières, puisqu’il n’est pas, en
l’état, éliminé par les stations
d’épuration, qui en concentrent même certaines
composantes dans leurs eaux de rejet. A partir d’observations
faites sur certaines populations animales, on en est arrivé
à soupçonner ces perturbateurs de jouer un rôle
dans, par exemple, la baisse de la fertilité, les anomalies des
organes sexuels masculins, la puberté précoce,
l’altération du système neuro-endocrinien et des
troubles du comportement, ainsi que la perturbation du système
immunitaire, voire aussi différents cancers.
Comme il s’agit de doses infimes, de micropollution,
l’analyse scientifique de l’action de ces substances en
termes de relation causale clairement isolée ne donne que peu de
résultats. Ce qui implique un développement de la
recherche, d’une part dans la durée (effet cumulatif des
microdoses) et d’autre part en recourant à d’autres
modèles explicatifs. En attendant, les effets nocifs de ces
perturbateurs sont admis; sans, semble-t-il, représenter des
risques majeurs, ils contribuent néanmoins au «fardeau
global de la maladie». Le prochain rapport annuel de la
Commission intercantonale pour la protection du Léman (CIPEL)
nous en apprendra plus sur les doses et les effets des
médicaments rejetés dans le Léman.

Daniel Süri