Les dirigeants de Swissair au tribunal, sans passer par la case prison…

Les dirigeants de Swissair au tribunal, sans passer par la case prison…

Ces derniers jours, dans tous les
médias de Suisse, on lit, on voit… on entend beaucoup de
choses – interrogations, exclamations et grincements de dent
– sur les raisons de l’arrogance des dirigeants de
Swissair. Ce qui nous surprend, c’est l’étonnement
de l’ensemble des journalistes et des commentateurs.

Nous qui les avions pratiqués comme syndicalistes,
lorsqu’ils étaient à la tête de feu cette
grande entreprise, nous y étions bien habitués. Nous en
étions tellement coutumiers que personne, parmi nous, n’a
jugé bon de se rendre à leur procès, lassés
par tant de mépris. Cette arrogance nous l’avons subie,
lorsqu’il s’agissait de négocier le renouvellement
des conventions collectives et que ces gens-là nous imposaient
la signature d’un chèque en blanc concernant des mesures
drastiques de réduction salariale, ou encore exigeaient
l’intégration dans le bilan de l’entreprise de la
caisse de pension du personnel et de ses milliards. Pire encore:
après la débâcle, repliés dans leurs banques
– l’UBS pour monsieur Ospel –, ils jetaient à
la rue des centaines de préretraités, ou imposaient
à l’ensemble du personnel, repris dans la nouvelle
compagnie Swiss qu’ils venaient de créer, des baisses de
salaires de 30%, sans la moindre préoccupation. Pas un
journaliste n’a compris que ce mépris correspondait
exactement aux conditions-cadres que s’étaient
fixées tous ceux qui se retrouvent devant les tribunaux
aujourd’hui.

Les lois de la jungle

Prenons pas exemple, madame Vreni Spoerry. Tout au long de sa
carrière politique, elle n’a cessé de louer les
mérites du libéralisme, à tel point que
c’est elle la mère de la dérégulation du
marché de l’aviation en Suisse. C’est elle qui,
avant tous les autres, à la fin des années 1980, a
soutenu le livre blanc de feu De Pury (un livre de cuisine vantant les
mérites du capitalisme pur sucre). C’est elle qui a
proposé et obtenu des Chambres fédérales, que le
système de protection qui garantissait à
l’entreprise Swissair un monopole sur le marché
intérieur soit liquidé. Elle avait entraîné
dans son sillage l’ensemble du Conseil d’administration de
Swissair et les banques (UBS et Crédit Suisse),
précipitant ainsi l’entrée de plein pied de
Swissair dans la jungle capitaliste mondialisée.
Après avoir passé la grande porte du capitalisme
planétaire et constaté que les alliances mondiales
constituées (exemple Alcazar) ne voulaient pas de
l’hégémonie suisse, Madame Spoerry a proposé
d’adopter un véritable programme de combat, appelé
très opportunément la «stratégie du
chasseur». Et ce furent les manœuvres légales et
illégales pour accaparer la moindre des compagnies
d’aviation européenne; manipulations financières
(Sabena), montage juridique pour contourner les lois européennes
(achat d’AOL), etc. Pour en arriver durant
l’été 1998 à constater que le marché
de l’aviation n’était pas un marché comme les
autres, qu’il ne pouvait, encore moins que les autres, subir le
chaos organisé du néolibéralisme.

Un repli stratégique

De toute urgence, il fallait donc se replier, sortir le plus rapidement
possible les masses colossales d’argent investi dans cette
stratégie erronée, et tant pis pour les petits
actionnaires. «Super Mario» Corti fut nommé pour
gagner du temps, histoire de laisser aux autres le soin de vider les
caisses. Il n’accepta ce job, qu’en étant
payé au préalable 13 millions. C’est cette
dernière étape, que les tribunaux sont chargés de
juger aujourd’hui. Pourquoi les responsables de tout cela, qui
nagent dans l’argent, renieraient-ils ces agissements –
stratégie prédatrice, capitalisme de casino, etc. –
qui les ont conduits où ils sont. Pour eux finalement,
c’est la faute à «pas de chance» et ils en
tirent la seule conclusion possible: faire le mort ous se draper dans
leurs convictions, histoire d’attendre une ultime occasion de se
défiler.

Rémy Pagani