Lutte des classes dans la troposphère: Les banques liquident Swissair


Lutte des classes dans la troposphère: Les banques liquident Swissair…


Jean Batou

Boeing élimine 30 000 emplois, Continental Airlines 12 000, US Airways 11 000, Alitalia 4000, Midway Airlines est en liquidation… Continental, Northwest, American, Delta, United et Air Canada réduisent leurs vols, Sabena est au bord de la faillite, Swissair, en liquidation, met en cause des milliers d’emplois, et KLM annonce des pertes massives… Au total, plus de 100 000 suppressions de poste sont annoncées en Europe et en Amérique.


L’Europe dispose de 28 compagnies aériennes, contre 7 grandes aux Etats-Unis, pour un marché sensiblement plus important. A l’échelle mondiale, trois méga-alliances ont forcé la rationalisation de leurs opérations: Star Alliance (United, Lufthansa, Singapore), Oneworld (British Airlines, American et Cathay) et Skyteam (Delta, Aire France et Korean). Dans un tel contexte, la stratégie de rapprochement des petits et moyens (Swissair, Sabena, Air Littoral, Air Liberté, AOM, LOT, LTU, TAP) n’était sans doute pas suffisante. Trop lente et trop tardive, elle menace aujourd’hui de sombrer sous le poids des difficultés accumulées par chacun d’entre eux.


Dans ce jeu de titans, la force des syndicats du secteur est un paramètre décisif. Non seulement, ils ont réussi à empêcher une réduction des coûts salariaux, mais ils ont su faire reculer plus d’une fois les grandes compagnies. Il suffit de rappeler à ce propos les augmentations substantielles arrachées, il y a un an, par les pilotes d’United (29% !), suivis par ceux de Lufthansa ou d’Iberia…Il faut dire qu’ils ont su construire des alliances syndicales internationales de même taille que celles de leurs patrons. Par exemple, l’ASAP (Association of Star Alliance Pilots) a généralisé l’échange d’information sur les salaires, les conditions de travail et les tactiques de négociation afin d’éviter toute sous-enchère des compagnies aériennes.


Récemment, un analyste du Boston Consulting Group a pu affirmer que l’organisation et la combativité des pilotes, qui ont stimulé les actions revendicatives de l’ensemble des personnels, constituaient les principaux obstacles à la baisse des coûts et au rétablissement des profits de la branche. «Chris Tarry, un analyste de l’aviation auprès de la Commerzbank de Londres, a estimé que l’augmentation des coûts du travail, à hauteur 129 millions de dollars chez American Airlines, au premier trimestre 2001, équivalait à 61% des profits réalisés au cours de ce même trimestre de l’an dernier, et représentait un facteur décisif de la plongée de cette compagnie dans les chiffres rouges cette année» (The Economist, 5 juillet 2001).


Le transport aérien connaît une crise structurelle, en raison notamment de surcapacités endémiques conduisant à une intensification de la concurrence et à un effondrement des marges bénéficiaires des principaux groupes. Jusqu’ici, les compagnies avaient cherché leur salut dans la multiplication de fusions et d’alliances. La fusion manquée d’United avec US chez les super-lourds, de même que l’échec de la stratégie d’alliances mise en œuvre par Swissair chez les poids moyens, annonçaient cependant l’impasse. «S’il y a une sortie facile des difficultés actuelles, elle est bien cachée», pouvait conclure The Economist, le 5 juillet dernier. Dans ce contexte, les attentats de New York et de Washington sont arrivés à point nommé pour justifier une purge de cheval…


On le voit, la lutte des classes fait rage aussi dans la troposphère. C’est sans doute cela qui a poussé l’UBS et le Crédit Suisse à sortir du bois, prenant quelques risques pour leur image, afin de forcer un dénouement 100% patronal de la crise chez Swissair. La direction du groupe, le Conseil fédéral et les partis bourgeois ont été rappelés brutalement à l’ordre, sans aucun égard, par les gardiens du temple. La brutalité du choc a été à la hauteur des enjeux. La balle est aujourd’hui dans le camp des salarié-e-s.