Risque nucléaire: mythes et réalités…

Risque nucléaire: mythes et réalités…

En mai 2006, nous nous solidarisions
avec Stéphane Lhomme, porte-parole du réseau
français Sortir du nucléaire arrêté par la
DST pour violation du «secret défense» suite
à la publication d’un document EDF qui
révélait les faiblesses du nouveau réacteur EPR
face au risque de chutes d’avions. Nous publions ici
l’essentiel d’une interview du même Stéphane
Lhomme, qui fait le point sur le risque nucléaire. Son cri
d’alarme est d’actualité, pour notre pays
également, parce que le risque nucléaire ne respecte pas
les frontières, mais aussi parce que le lobby nucléaire
helvète fait monter en puissance une campagne pour la relance de
la construction de réacteurs atomiques ici aussi.*

Quels sont les risques que fait courir l’utilisation de
l’énergie atomique, risques que l’industrie
nucléaire est incapable de résoudre? Est-ce que
l’ouverture à la concurrence du marché de
l’énergie modifie la situation en matière de
risques?

Dangereuses par nature, les centrales nucléaires le deviennent
encore plus quand elles sont vieillissantes, ce qui est
désormais le cas de la majorité des 443 centrales en
service sur la planète, qui plus est au moment où la
pression libérale est maximale – ouverture des
marchés à la concurrence, privatisations, etc. – et
où les restrictions budgétaires sont les plus drastiques.

Ainsi, en France, l’Autorité de sûreté
nucléaire (ASN) a pris soin d’indiquer début 2001
que l’allongement de la durée de vie des centrales
nucléaires, de 30 à 40 ans, ne serait accordé
qu’après des visites de contrôle approfondies, au
cas par cas pour chaque réacteur. Cela n’a pas
empêché les dirigeants d’EDF de trancher
unilatéralement la question en intégrant une durée
de vie des centrales de 40 ans dans les comptes officiels de
l’entreprise. Qui plus est, les dirigeants d’EDF ont mis en
œuvre depuis 2002 un processus de restriction budgétaire
drastique dans les centrales nucléaires: annulation massive
d’embauches prévues, économies sur les
dépenses de logistique, frais généraux et
maintenance. […] En fin de compte, contrairement à ce que
pensent beaucoup de gens, l’ouverture du capital d’EDF,
survenue fin 2005, n’a pas ouvert une période
d’aggravation du risque nucléaire: le processus est
déjà engagé depuis plusieurs années.

Les «responsables» du nucléaire semblent
d’ailleurs s’amuser à multiplier les prises de
risque. Ainsi, EDF refuse de mettre en œuvre un programme de
remise à niveau des centrales nucléaires par rapport aux
séismes, alors même que ce danger a été
réévalué à la hausse ces derniers mois. Des
documents confidentiels internes à l’entreprise, dont nous
avons obtenu copie, estiment à 1,9 milliard d’euros le
coût des travaux nécessaires. Les dirigeants d’EDF
ont conclu qu’il était impensable de dépenser tout
cet argent et ont mis en place une puissante opération de
lobbying pour repousser ce qui est désigné comme une
«menace”: celle de devoir financer les travaux, et non le
risque sismique, totalement négligé. Des informations
complémentaires ont permis de montrer que les ingénieurs
d’EDF ont arrangé les données sismiques en
réduisant d’office les intensités
«épicentrales» de la plupart des séismes de
référence ou en redessinant les zones sismiques afin
d’éviter la prise en compte de certains séismes
historiques. […]

EDF n’est hélas pas la seule entreprise à jouer
ainsi avec le feu. La multinationale Areva et sa filiale Cogema, par
exemple, réalisent d’étonnantes expériences
à Cadarache (Bouches-du-Rhône) avec plusieurs
installations officiellement reconnues inadaptées au risque
sismique. C’est en particulier le cas de l’Atelier de
plutonium (ATPu) dont le destin est saisissant: dès 1995,
l’ASN en a vainement demandé la fermeture. La Cogema a
gagné du temps – près de dix ans! – en
proposant par exemple des plans de réhabilitation fantaisistes.
En fin de compte, ce n’est qu’en juillet 2003 que cette
installation a été officiellement fermée,
opération actée par une inspection de l’ASN.
Celle-ci a néanmoins dû manger une nouvelle fois son
chapeau: quelque temps plus tard, on apprenait que cet atelier avait
été rouvert par la Cogema afin d’y recevoir, fin
2004, une fameuse cargaison de 140 kilogrammes de plutonium venus des
États-Unis.

Le périple de ce convoi «très exceptionnel»,
de Cherbourg à Cadarache et retour, a d’ailleurs mis en
lumière le danger que représentent les transports de
matières atomiques qui traversent la France en permanence.
Rappelons qu’un seul millionième de gramme de plutonium
suffit à tuer une personne…

A ces dossiers explosifs, il faut ajouter de nombreuses autres
données: des rapports de sûreté falsifiés ou
enterrés, des accidents frôlés suite à des
erreurs d’exploitation ou des défaillances diverses, des
systèmes de sûreté restés indisponibles
pendant des mois (dont un à Gravelines en 2005-2006), des
procédures de sûreté inadaptées,
périmées, voire recopiées (…erreurs
comprises!), des inspections dévoilant d’incroyables
dysfonctionnements mais restées sans suite.

Le projet de réacteur nucléaire
français, baptisé EPR, présente lui-même
plusieurs inquiétantes faiblesses

Le projet de réacteur nucléaire français,
baptisé EPR (réacteur pressurisé européen),
présente lui-même plusieurs inquiétantes
faiblesses, avant même d’être construit. En
particulier, il ne résisterait pas à un crash suicide
réalisé avec un avion de ligne. C’est hélas
aussi le cas de toutes les installations nucléaires existantes,
mais c’est encore plus injustifiable pour un réacteur qui,
s’il voit le jour – le mouvement antinucléaire ne
désespère pas de l’empêcher – sera le
premier à être construit après le 11 septembre
2001. […]

Lors de ces dernières années, de quelle façon
l’industrie nucléaire en France a-t-elle
géré ces risques?

En étudiant la situation de près, je me suis rendu compte
qu’un des principaux responsables de la sûreté
nucléaire était… la chance! L’industrie
nucléaire va de surprises en surprises, elle découvre des
dysfonctionnements graves alors que les réacteurs tournent
depuis près de 30 ans. Ainsi, les circuits de
«recirculation» (qui doivent refroidir le cœur en
situation accidentelle et essayer d’éviter que
l’accident en cours ne vire au désastre) des 58
réacteurs français sont susceptibles de ne pas
fonctionner. C’est comme si vous circuliez depuis 30 ans avec une
voiture dont les ceintures de sécurité ne sont pas
fixées solidement. Au moindre accident, vous auriez perdu la
vie. Mais, dans le nucléaire, tant que le pire n’est pas
arrivé, on continue. […]

Les procédures de lutte contre les incendies sont aussi
largement insuffisantes. De nombreuses inspections surprises
menées par l’Autorité de sûreté
nucléaire, visant des simulations d’incendie, aboutissent
à des constats alarmants. Les équipes
d’interventions arrivent parfois au bout de 45 ou 50 minutes,
voire plus. Les inspecteurs écrivent ainsi noir sur blanc que
«l’attaque du feu par des moyens efficaces aurait pris 37
minutes. Ce délai, trop long, rend illusoire l’extinction
d’un incendie bien développé» (Compte rendu
ASN du 2 septembre 2004, centrale du Tricastin), ou qu’«un
manque de coordination flagrant sur le point de rencontre entre 1re et
2e intervention a été constaté.
L’équipe de la 2e intervention n’avait pas le bon
plan des locaux et ne connaissait pas les lieux» (21 mars 2005,
Bugey), ou encore que «comme sur la plupart des autres centrales
nucléaires, les équipes locales d’intervention
doivent améliorer leurs pratiques pour arriver au niveau
d’exigence de l’Autorité de sûreté
nucléaire, compte tenu des enjeux liés au risque
incendie» (19 mai 2005, Chinon). Ce ne sont que quelques exemples
qui font le quotidien des centrales nucléaires
françaises. On se demande vraiment comment le pire n’a pas
déjà eu lieu.

On peut rappeler aussi la grave inondation de la centrale
nucléaire du Blayais pendant la tempête de décembre
1999. Les calculs «prouvaient» que l’inondation
était impossible, elle a pourtant eu lieu et la centrale est
passée «tout près de l’accident majeur»
(titre du quotidien Sud-Ouest le 6 janvier 2000). […]

Si la sortie du nucléaire semble seule à même
de prévenir ces risques, que peut-on revendiquer en attendant
pour améliorer la sécurité dans les centrales?

Faudra-t-il que ce soient les antinucléaires qui revendiquent
plus d’argent pour les centrales nucléaires?! À
tout prendre, si un plan de sortie du nucléaire (suffisamment
rapide pour ne pas être remis en cause au gré des
alternances politiques) était mis en œuvre, il serait
cohérent de dépenser l’argent nécessaire
pour essayer d’éviter un accident majeur en attendant que
tous les réacteurs soient fermés, même s’il
n’y a pas vraiment de mesure efficace à 100%. Mais EDF
veut au contraire construire de nouveaux réacteurs, qui vont
coûter des sommes folles (nous sommes loin d’avoir fini de
payer les réacteurs actuels, sans parler de leur
démantèlement et de leurs déchets radioactifs!):
il est clair que les restrictions budgétaires dans les centrales
vont continuer et même être aggravées. Il suffit
d’ailleurs de lire les communiqués des syndicats de
salariés du nucléaire, pourtant acquis à
l’atome: depuis deux ou trois ans, ils ressemblent aux documents
antinucléaires tant ils sont alarmants!

Mais le nucléaire permet de lutter contre le
réchauffement climatique, il assure l’indépendance
énergétique et la stabilité des prix, non?

Si c’était vrai, on pourrait peut-être envisager, au
moins sous forme d’hypothèse, de prendre le risque du
nucléaire en contrepartie de tels bienfaits. Mais il faut voir
la réalité en face: les canicules de 2003 et 2006, la
sécheresse désormais chronique, montrent que la France
n’est pas plus épargnée que les autres pays et que,
en fin de compte, c’est le réchauffement climatique qui
s’attaque au nucléaire et non l’inverse: cet
été encore, il a fallu importer de
l’électricité de chez nos voisins. Tous les
étés désormais, le parc nucléaire se
trouvera en très grande difficulté, quant a la facture
énergétique française (hors facture
nucléaire), elle s’est littéralement
envolée: + 24% en 2004, + 35% en 2005, et ce sera bien plus
encore en 2006. Quant au climat, où est donc le «miracle
nucléaire» qui nous est tant vanté? C’est
tout simple: le trio pétrole-gaz-charbon représente 72%
de la consommation énergétique française,
l’atome parvenant péniblement à 17%.

Attention, les tenants du nucléaire prétendent
qu’il couvre 50% de notre énergie, nous apportant une
importante indépendance énergétique. C’est
que, pour tromper l’opinion, ils comptabilisent
l’énergie dite «primaire»,
c’est-à-dire celle qui sort de diverses façons
d’une centrale nucléaire: or celle-ci perd les trois
quarts de son énergie par évaporation (les panaches de
vapeur d’eau qui s’échappent des tours de
refroidissement) et par les rejets massifs d’eau chaude dans les
rivières (au prix de dégâts environnementaux, mais
c’est encore une autre affaire).

Une fois défalquée cette énergie perdue dans la
nature, la place du nucléaire apparaît clairement: on
retombe sur les 17% évoqués ci-dessus. Une part bien
faible, qu’il est d’ailleurs vain d’espérer
augmenter: le 10 juillet 2006, le ministre de l’Industrie
François Loos a reconnu que la part du nucléaire dans
l’électricité française tomberait de 80%
actuellement à 73% en 2015 (soit environ 15% de
l’énergie consommée). Et à
l’échelle mondiale, la place du nucléaire,
déjà marginale (6% de l’énergie
consommée), tombera en dessous des 5% vers 2030 (chiffres
officiels de l’AIE). Donc, contrairement à ce qu’on
peut lire ici ou là, on n’assiste absolument pas au
«grand retour du nucléaire». Les constructions de
centrales qui auront (hélas) lieu serviront juste à
freiner le déclin annoncé.

Ce n’est donc pas avec une énergie nucléaire
marginale et déclinante que l’on sauvera la
planète! Par contre, comme l’a montré Tchernobyl,
un seul réacteur suffit à contaminer un continent entier.

Il n’existe donc qu’une bonne décision à
prendre: sortir du nucléaire, et le plus vite possible. Cela
permettra alors de se pencher pour de bon sur les graves
problèmes comme le réchauffement climatique et de prendre
enfin les décisions qui s’imposent: en particulier, une
importante réduction de la consommation
énergétique des pays riches. Utopique? Non: c’est
même la seule solution réaliste pour sauver la
planète…

*    L’interview ci-dessus,
réalisée par Vincent Gay, a été
publiée en décembre dernier sur le site de la revue
critique indépendante «Les cahiers de Louise» site
de «résistances à l’air du temps»
à visiter: www.lescahiersdelouise.org où l’on retrouvera la version intégrale de l’interview.

Stéphane Lhomme porte-parole du réseau Sortir du
nucléaire (www.sortirdunucleaire.org) est auteur de
«L’insécurité nucléaire: bientôt
un Tchernobyl en France?» sorti en juin dernier aux Editions Yves
Michel. Voir présentation et extraits sur http://tchernobyl.en.france.free.fr/