Licenciements antisyndicaux: zéro pointé pour la Suisse!

Licenciements antisyndicaux: zéro pointé pour la Suisse!

Furibards, les patrons
helvétiques, qui intitulent leur communiqué de presse
«Inacceptable recommandation de l’OIT pour prétendue
violation de la liberté syndicale», affirment haut et fort
– et sans rire! – que «le Code des obligations
sanctionne déjà lourdement les licenciements pour motifs
antisyndicaux et offre donc une protection suffisante contre de tels
licenciements». Leur druide romand, le secrétaire
général de la Fédération des entreprises
romandes, par ailleurs délégué patronal à
l’OIT, Michel Barde, se dit «choqué»,
ajoutant, vexé mais perfide: «Vous savez, quand
j’entends le Venezuela nous faire la leçon, je me pose la
question de la crédibilité du comité». A
quel rite blasphématoire s’est donc livrée
l’Organisation internationale du travail (OIT)?

Le Bureau de cette organisation a tout simplement osé approuver
à l’unanimité son Comité de la
liberté syndicale, qui lui-même avait donné suite
à la plainte de l’USS, déposée en mai 2003
et évoquant onze cas récents de licenciements de
travailleurs et travailleuses pour des raisons antisyndicales.
L’USS estimait que la protection des syndicalistes en Suisse
était insuffisante et donc contraire à la Convention
n°98 sur la liberté syndicale, ratifiée par la
Suisse. Aux premiers onze cas, l’USS a par la suite ajouté
six nouveaux cas, tous en Suisse romande:

  • Caran d’Ache à Genève (licenciement de deux
    des trois membres de la Commission du personnel administratif et
    technique);
  • Nove, Impression et Conseil SA, Nyon (licenciement successif de deux membres de la Commission du personnel);
  • EMS La Colline à Chexbres (licenciements de trois
    délégués du personnel syndiqués; le
    personnel a obtenu leur réintégration, condition de
    l’acceptation d’un arbitrage dans le conflit
    l’opposant à la direction);
  • Fondation de Nant (Vaud) (licenciement de la présidente de
    la commission du personnel et d’un infirmier syndicaliste,
    Antonio Herranz);
  • Laiteries Réunies à Genève (licenciement du président de la commission ouvrière);
  • Filasa, filature de laine peignée d’Ajoie
    (licenciement d’un représentant syndical. Sur les six que
    comptait l’entreprise, trois ont été
    licenciés et un est parti, ne supportant plus les pressions).

Cet édifiant tableau dit bien la réalité
concrète de la liberté syndicale dans les entreprises de
Suisse. Un problème récurrent, à l’origine
de plusieurs motions et postulats parlementaires de syndicalistes.
Pierre Vanek, Conseiller national de «solidaritéS-A Gauche
Toute!», a également déposé une initiative
parlementaire à ce propos, repoussée le 13 juin par 117
voix contre 65. Rien d’étonnant vu
l’écrasante domination des intérêts patronaux
au Conseil national, qui avait déjà refusé des
motions similaires. L’étonnant réside dans
l’utilisation de ces rejets successifs par le gouvernement
helvétique pour expliquer pourquoi il ne trouve pas
nécessaire d’appliquer la Convention n°98.

L’argumentation vicelarde du Conseil fédéral

Après avoir avancé nombre d’arguments formels (en
tentant de ne pas reconnaître la procédure en cours
auprès du Comité de la liberté syndicale –
où Michel Barde a siégé! – au
prétexte qu’elle serait incompatible avec les principes
démocratiques suisses, ou encore en affirmant que la Convention
n°98 ne serait pas applicable dans l’ordre constitutionnel
helvétique), le gouvernement fédéral n’a eu
de cesse de s’appuyer sur la majorité réactionnaire
du Parlement pour justifier son inaction en la matière. Il
n’a pas non plus hésité à monter une
contre-argumentation invraisemblable, expliquant en long, en large et
en travers toute l’histoire – et la préhistoire
même – de la votation sur la libre circulation et les
mesures d’accompagnement, pour en conclure que, si ces mesures ne
contenaient pas de renforcement de la protection contre les
licenciements antisyndicaux, c’était bien la preuve
qu’elles n’étaient ni nécessaires ni voulues
par le peuple! L’abracadabrantesque Chirac n’aurait pas
fait mieux. Et puis, pourrissant le débat jusqu’au bout,
le Conseil fédéral n’hésite pas à
expliquer à l’USS que la voie de l’initiative
populaire reste ouverte… Comme si le droit international
était applicable selon le bon plaisir des pays signataires des
conventions. On sait que cette attitude est celle de Blocher, on voit
ici qu’elle est celle du gouvernement tout entier.

Composé d’habitués des raisonnements
controuvés et spécieux, le Comité de la
liberté syndicale de l’OIT – qui, comme toute
l’organisation dont il dépend, est tripartite,
c’est-à-dire composé de représentants des
travailleurs, des patrons et des Etats – n’est
évidemment pas tombé dans le panneau. Il a donc
prié le gouvernement de prendre «des mesures pour
prévoir le même type de protection pour les
représentants syndicaux victimes de licenciements antisyndicaux
que pour ceux victimes de licenciements violant le principe
d’égalité de traitement entre hommes et femmes, y
compris la possibilité d’une réintégration
eu égard aux principes fondamentaux mentionnés plus haut
et conformément aux conventions n°87 et 98 ratifiées
par la Suisse». Rappelons ici toutefois que la protection
prévue par la Loi sur l’égalité n’a
rien de très bouleversant (elle ne s’applique que durant
la procédure et pour autant qu’il y ait contestation de la
résiliation du contrat de travail pendant le délai de
congé). La recommandation du Comité de la liberté
syndicale ne représente donc qu’un strict minimum en la
matière. Mais le strict minimum, c’est déjà
beaucoup trop pour nos patrons féodaux. Le nouveau chef de la
division du droit du travail au seco, l’ex-premier
secrétaire de l’USS Serge Gaillard, va certainement les
ramener à l’ordre…

Daniel SÜRI