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N° 97 (16/11/2006). A la une: Bush perd une élection, la guerre continue...
p. 15
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Immigration
Lois sur l’immigration et l’asile: causes et effets
Nous publions ici de larges extraits d’un article de Claude Calame, que nos lecteurs-trices trouveront dans sa version intégrale sur notre site.
Les Helvètes viennent d’accepter la nouvelle mouture de la Loi sur les étrangers et la sixième réforme de la Loi sur l’asile. On le sait moins: en France le nouveau Code de l’Entrée et Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile a été adopté au seuil de l’été par l’Assemblée nationale, puis par le Sénat en dépit de manifestations importantes. […]
Une rapide comparaison entre les deux textes de loi met à jour des convergences qui ne sont pas pure coïncidence. Institution en France, par exemple, d’un titre de séjour de trois ans destiné à valoriser «capacités et talents» tandis que la loi suisse prévoit une autorisation de courte durée réservée aux seuls «cadres, spécialistes ou autres travailleurs qualifiés». Le principe sous-jacent est clair: au-delà des règles assurées par la libre circulation des personnes au sein de la communauté européenne, il s’agit d’asservir très strictement l’entrée et le séjour d’étrangers aux seuls besoins de l’économie. La nouvelle carte de séjour de trois ans sera délivrée «à l’étranger susceptible de participer [...] de façon significative et durable au développement de l’économie française ou au rayonnent de la France dans le monde ou au développement du pays dont il a nationalité», quant à la LEtr helvète elle stipule que «l’admission d’étrangers en vue de l’exercice d’une activité lucrative doit servir les intérêts de l’économie suisse».
Sarkozy-Blocher même combat!
Cette perspective unique a pour conséquences des dispositions discriminatoires et des mesures sécuritaires enfreignent les principes des grandes conventions internationales sur les droits de l’homme, sur les réfugiés ou sur les droits des enfants. Si le CEDESA augmente jusqu’à dix mois le délai dans lequel il est loisible à un immigré de demander le regroupement familial, la loi helvète sur les étrangers abaisse à 12 ans l’âge des enfants autorisés à résider dans le pays au nom du regroupement familial. Du côté de la loi française sur l’immigration, on prévoit l’exclusion des centres d’accueil des demandeurs d’asile sans papiers (ou déboutés) alors que les ressortissants d’une série de pays déclarés sûrs seront écartés de l’aide sociale; du côté de la loi suisse sur l’asile, les requérants déboutés rejoindront désormais les demandeurs frappés de «non-entrée en matière» pour être privés d’aide sociale; s’il n’est pas possible de les renvoyer, ils ne bénéficieront que d’une aide d’urgence (dont le montant se situe bien en dessous du minimum vital). Alors que le CEDESA ne modifie pas la détention administrative de trente jours en vue d’un renvoi, la nouvelle loi suisse étend jusqu’à vingt-quatre mois ce même type d’emprisonnement préventif.Quant aux sans-papiers, si la Lex Sarkozy biffe la régularisation automatique après un séjour clandestin de dix ans, les lois Blocher suppriment la transformation, également après dix ans, d’une autorisation de séjour en permis d’établissement. C’est dire que, de part et d’autre, les lois convergent pour condamner les immigrés de pays hors Union européenne à la clandestinité, à l’illégalité, à la précarité. Mais pas forcément au chômage. En effet, dans un pays comme dans l’autre, les sans-papiers fournissent à plusieurs secteurs de l’économie, notamment dans l’hôtellerie ou la construction, une main d’œuvre dont les conditions de travail sont d’autant plus déplorables qu’elle ne bénéficie d’aucune protection, ni sociale, ni syndicale. Bien loin d’être du côté des immigrés et des requérants d’asile, les abus sont commis en premier lieu par les employeurs, résidents et nationaux.
Prendre le mal à la racine
Mais pourquoi l’exil? pourquoi les migrations? pourquoi la nécessité de légiférer à ce propos? Les causes en sont à l’évidence multiples; comme dans tout système complexe, elles sont souvent imbriquées. Il y a d’abord les situations de guerre et de répression policière. […] Mais au-delà des faits de répression et de guerre, il faut compter avec les énormes déséquilibres sociaux et économiques provoqués, sur fond de néo-impérialisme, par le nouvel «ordre» mondial tant il est vrai que les flux migratoires sont nettement orientés des pays les plus dépourvus vers ceux qui bénéficient de l’image de pays «développés»: ce sont ceux-là mêmes qui dominent l’économie mondiale (USA, Canada, communauté européenne, avec l’exception frappante du Japon). Jusqu’à très récemment, les mêmes disparités économiques criantes ont orienté les déplacements migratoires de l’Europe méditerranéenne vers l’Europe industrialisée du Nord. Ce n’est donc pas à coups de mesures sélectives et répressives que l’on s’attaquera aux raisons profondes d’inégalités dont les statistiques montrent qu’elles ne font que se creuser, en comparaison internationale de même qu’à l’intérieur des Etats, qu’ils soient riches ou pauvres. […] S’il faut agir, c’est sur les causes, et non pas sur les effets.Rétablir les termes d’un commerce équitable, donner la priorité à la sécurité alimentaire, soustraire l’extraction des matières premières aux pseudo-lois du marché, libérer la production industrielle de la seule règle capitaliste du profit, renforcer les services publics assurant formation et santé, assurer l’autonomie financière des médias dans la perspective d’un développement autonome des cultures, garantir la diffusion des savoirs et des inventions technologiques à l’écart de tout système de brevets protecteurs, telles seraient les tâches d’un organisme du commerce international aux réels pouvoir politiques, un organisme susceptible de valoriser les ressources matérielles et intellectuelles propres à chaque pays à travers des échanges équilibrés et en évitant toute exploitation destructrice de l’environnement humain et naturel. […]
Claude CALAME
Prof. hon. UNIL
Directeur d’études, EHESS, Paris
Prof. hon. UNIL
Directeur d’études, EHESS, Paris
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