USA: ces démocrates victorieux qui vont «travailler avec le président»!

USA: ces démocrates victorieux qui vont «travailler avec le président»!

Lors des récentes élections aux USA, le parti de Georges
Bush a fait les frais, en particulier, de la vague d’opposition
à la sale guerre impériale en Iraq… On doit
évidemment s’en réjouir. Doit-on, par contre,
féliciter les Démocrates, comme l’a fait le PSS
dans son communiqué du lendemain? (voir encart p.6) Rien
n’est moins sûr. Nous publions ici à ce sujet de
très larges extraits d’un article, traduit par nos soins
et rédigé à chaud, par un commentateur politique
états-unien de gauche, Paul Street, qui permet de
répondre clairement NON à cette question.
Les journalistes aux USA se livrent trop souvent à des analogies
historiques superficielles. Ces derniers jours, on les a vus
évoquer, de manière répétée, le
prétendu parallèle entre le triomphe des
Démocrates lors de cette élection et la victoire
écrasante des Républicains en 1994, lors d’une
autre élection à mi-mandat présidentiel.

A part le fait que, dans les deux cas, un parti à
remplacé l’autre aux affaires, alors que le perdant
gardait encore la Maison blanche, l’analogie s’effondre
pour deux raisons. D’abord, les Républicains ont
remporté leur victoire au Congrès, à
l’époque, sur la base d’un programme
spécifique et distinct, en étant mus par une vision
idéologique claire, incarnée dans le livre vicieux du
nuisible Newt Gingrich «Contrat avec (ou plutôt sur)
l’Amérique».

Le plein des voix en s’appuyant sur du vide

Les Démocrates du Congrès onte gagné cette
semaine, sans programme ni vision propre. Ils se sont simplement
laissés porter par la vague du mécontentement populaire,
face à un parti de la guerre, abominablement corrompu et
criminel. Sachant que le système électoral
américain de scrutin majoritaire à spectre étroit,
système de prévention permanente de révolutions
électorales, signifie que les électeurs-trices
n’avaient aucune autre alternative vers laquelle se tourner, les
Démocrates ont, simplement, laissé leurs concurrents
«se tirer une balle dans le pied», comme
l’écrivait le journaliste du Chicago Tribune, Michael
Tackert, mardi soir, en ayant pour l’essentiel «fait le
plein des voix en s’appuyant sur du vide.»

La plateforme électorale victorieuse des Démocrates cet automne? Elle se résume simplement: «Nous
ne sommes pas ces Républicains corrompus, arrogant et
maladroits. Nous savons que vous haïssez ce tyran grimaçant
et incompétent de Georges W. Bush. Faites entendre votre
protestation en votant pour nous. En effet, ce n’est pas nous le
parti affairiste aux commandes qui a envahi l’Iraq et qui
s’est planté en ce qui concerne la réaction
à l’ouragan Katrina
.» L’élection a montré, pour reprendre ce qu’a écrit Tackert, que «les démocrates n’avaient besoin d’aucunes perspectives pour gagner

Crimes de Bush? on passe l’éponge…

Un deuxième problème avec l’analogie 1994/2006 est
que les fiers idéologues Républicains des années
mi-nonante, sont arrivés aux affaires, déterminés
à «punir» un président idéologiquement
et politiquement flexible, tout prêt à adopter des
éléments clés de leur propre programme. Ils
étaient tellement «gonflés à bloc»,
qu’ils ont fini par entreprendre une procédure de
destitution contre leur bête noire Bill Clinton, dont le
pêché principal était d’avoir adopté
de larges pans de leur programme, pour sanctionner ses mensonges
concernant ses écarts sexuels. En 2006, par contre, les
Démocrates deviennent majoritaires, avec une direction de leur
parti, qui proclame son désir de pardonner un président
messianique, qui a pourtant commis des crimes de guerre monumentaux et
impardonnables, et usé d’une série de mensonges
d’Etat, pour lesquels un emprisonnement de très longue
durée serait la seule sanction adéquate.

Au-delà de sa présente «offensive de charme»
et de son sacrifice du criminel de guerre Rumsfeld, qui en fait partie,
on n’est pas en droit d’attendre le moins du monde que la
Maison blanche écoute le soi-disant parti d’opposition.
Bush a certainement bien moins à craindre qu’il ne le
devrait, puisque Nancy Pelosi et d’autres Démocrates de
premier rang annonçent, par avance, leur intention de ne pas
agir dans le sens de leur devoir évident, celui d’engager
une procédure de destitution contre Bush pour ses crimes et
forfaitures. Pour que la coupe soit pleine, l’aspirant candidat
présidentiel démocrate qui monte, Barak Obama, a
déclaré que les Démocrates pourraient être
«sanctionnés en 2008» lors des
présidentielles… s’ils ne démontraient pas
leur «volonté de travailler avec le
président.» Une lecture révélatrice et
incongrue de ce que les électeurs-trices outragés et
détestant Bush ont voulu dire, leur message ainsi traduit
– ou trahi – deviendrait: «S’il vous
plaît, travaillez avec le président.»

Un déjeuner avec la brute autocratique

Au moment où j’écris ces lignes, la
présidente élue du Congrès, la démocrate
californienne Nancy Pelosi, se rend à la Maison Blanche pour son
premier déjeuner avec un président qu’elle a
osé qualifier récemment (comble de l’audace!)
d’«incompétent» et de «coupé de
la réalité».
Mais ce ne sera pas nécessairement un rendez-vous marqué
du sceau de l’acrimonie. Bush et Pelosi pourront y
échanger des souvenirs agréables sur ce que ça
représente d’être né-e dans une famille
privilégiée, avec de bonnes relations politiques (le
père de Pelosi était membre du Congrès et maire de
Baltimore) et de fréquenter les écoles de
l’élite, du jardin d’enfant à
l’université. Pour apaiser les craintes du monarque
brutal, Pelosi pourra réitérer sa décision a
priori de ne pas remplir ses obligations constitutionnelles et
légales d’initier les mécanismes politiques et
juridiques nécessaires à une destitution de Bush, trop
longtemps attendue.

Elle pourra lui transmettre les observations réconfortantes du
New York Times du 9 novembre, selon lesquelles «la moitié
environ des nouveaux élus démocrates entendent
adhérer à la Coalition des Nouveaux Démocrates, un
groupe centriste qui met l’accent sur la
compétitivité économique et les thèmes
sécuritaires.» En d’autres termes, qui sont
engagés en faveur des objectifs, étroitement liés
entre eux, de maintien des inégalités intérieures,
de domination des milieux d’affaires et
d’impérialisme militariste!

Elle pourra rappeler à Bush l’engagement du parti
Démocrate de s’opposer à la volonté
partagée des peuples irakiens et étatsuniens de voir les
troupes US se retirer d’une Mésopotamie
illégalement et criminellement occupée. Elle pourra
rassurer celui-ci sur le fait que le Congrès ne faillira pas
à son devoir solennel de continuer à financer sa
sanglante guerre pour le pétrole.
Elle pourra lui rappeler la collaboration vitale des Démocrates
aux invasions meurtrières de l’Afghanistan et de
l’Iraq, à l’adoption urgente de l’Accord de
libre-échange avec l’Amérique centrale (CAFTA) et
au passage du Patriot Act ultra répressif. Elle pourra
mentionner, au passage, le partenariat des Démocrates dans
l’adoption d’une vicieuse loi de privatisation scolaire, et
de diverses réformes législatives en faveur du big
business, ainsi bien sûr qu’en matière de cadeaux
fiscaux aux hyper-ploutocrates…

Elle pourra rappeler aussi à Bush la participation des
Démocrates du Congrès au démantèlement de
l’Habeas Corpus, à travers l’infâme loi
proto-fasciste, adoptée en octobre dernier, sur les
«commissions militaires» instituées pour
«juger» celles et ceux qui seraient des «combattants
illégaux contre les USA» et l’appui de son parti
à l’attaque sanglante que le président
étasunien a perpétré, avec Israël, contre le
Liban et sa population.

Bush et Pelosi pourraient se concerter sur la manière
d’aider le lobby des affairistes à se débarrasser
de ces lois et règlements embêtants, introduits dans la
foulée des scandales d’Enron et Worldcom. Ils pourront se
moquer ensemble de ces «mouche du coche» qui parlent de
paix et de justice – terme employé par le démocrate
«centriste» Obama pour qualifier feu le sénateur
progressiste Paul Wellstone – comme les membres du Congrès
Dennis Kucinich ou John Conyers, ce dernier ayant osé
prétendre que Bush avait commis des délits punissables de
destitution. Ils pourront rire ensemble de la rhétorique de
Bernie Sanders, nouveau sénateur du Vermont qui se dit
«socialiste» et qui plaide avec passion – rendez-vous
compte! – contre la juxtaposition grotesque aux USA de fortunes
obscènes au sommet de l’échelle sociale et
d’une pauvreté lancinante et croissante chez celles/ceux
d’en bas.

Le déjeuner dont nous aurions besoin!

Maintenant, voici comment ce déjeuner se déroulerait, si
la rébellion politique, dont les USA (et le Monde) ont besoin,
s’était réellement produite. La présidente
entrante du Congrès arriverait à la Maison Blanche avec
au moins quatre couteaux acérés: l’un pour Bush,
l’un pour le vice-président Dick Cheney, l’un pour
le conseiller de Bush Karl Rove et l’un pour Rumsfeld
(démission ne valant pas pardon.)

Elle exigerait une couverture TV live des millions d’Etasuniens
descendus dans la rue, y compris des centaines de milliers convergeant
sur la Maison blanche.

Elle présenterait à Bush un CD avec les signatures de 650
000 personnes exigeant sa démission immédiate, comme
celle de Cheney, l’investiture de Pelosi comme cheffe d’un
exécutif ad intérim et l’organisation d’une
élection présidentielle extraordinaire dans les trois
mois, le retrait immédiat des militaires US d’Irak, la
mise au point d’un plan à long terme de payements de
réparations à grande échelle pour l’Irak et
la tenue d’une convention constitutionnelle pour adopter un
amendement visant à restructurer démocratiquement les
processus électoraux aux USA. Il serait utile que Pelosi
présente à Bush également une pétition de
masse des soldats stationnés illégalement en Irak.

Bush, Cheney, Rambo-Rumsfeld et Rove se verraient confrontés
à un choix entre trois options: 1. accepter toutes ces
conditions et se rendre volontairement à une autorité
fédérale spéciale ayant mandat de mener des
procès pour corruption et crimes de guerre, procès
conduits en coopérant avec les agences internationales
appropriées; 2. leur déportation immédiate (avec
s’ils le désirent) leurs proches vers le domaine
récemment acquis par Bush au Paraguay (un Etat qui à une
certaine pratique de l’accueil des criminels de guerre) où
ils seraient placés en détention, contrôlée
internationalement sous la supervision de l’Organisation des
Etats d’Amérique; 3. le suicide, en suivant
l’honorable tradition japonaise, selon laquelle les tyrans
déchus admettent leur déshonneur et agissent en
conséquence, par une auto élimination appropriée.

Quelle que soit l’option qu’ils choisiraient, chacun de ces
criminels déchus serait contraint à des excuses
publiques, avec couverture TV internationale, adressées aux
proches de tous ceux et celles tués (Irakien-ne-s et
Etatsuniens) dans le cadre de l’opération
d’agression «Liberté pour l’Irak.»

Barak Obama, collabo démocrate qui se voit président…

Le commentaire de Barack Obama sur le nécessaire «travail
avec le président» est symptomatique d’une descente
aux enfers de celui-ci, sur le plan de la morale, qui concorde presque
exactement avec son ascension au firmament politique national.

Mardi on pouvait l’entendre sur le réseau ABC. Cette
nouvelle superstar politique démocrate, à la
notoriété aussi soudaine que suspecte, expliquait
à la chaîne, contrôlée par Disney, que les
électeurs-rices américains avaient exprimé une
salutaire et «pragmatique» répudiation des
«idéologies» et qu’ils/elles désiraient
plus de «compétence», moins d’«esprit
partisan» et de «colère» en matière de
gouvernement et de politique. Voici ma (longue) traduction de ce
commentaire:

«Si vous soutenez la
majorité de l’opinion publique des USA (et du Monde!) et
que vous voulez voir les troupes US se retirer d’Irak
maintenant… et si vous êtes partisan du
démantèlement de l’Empire et de détourner
les ressources de la collectivité affectées au
militarisme et au soutien aux multinationales, pour les faire servir
à des programmes de santé et de justice sociale, dans
notre pays et à l’étranger, alors vous êtes
un «idéologue» stupide et irréaliste.
Laissons donc tomber nos préoccupations et discours
«idéologiques» et continuons tout simplement comme
par devant, en maintenant intactes toutes les hiérarchies
sociales, raciales et impériales… mais avec
moi-même, peut-être, aux commandes d’ici 26 mois.


L’invasion meurtrière de
Bush en Irak, une boucherie avec au moins 700 000 victimes civiles
irakiennes et les efforts du même, couronnés de
succès, pour promouvoir la concentration des richesses au sommet
de l’échelle (dans ce qui était déjà
le pays le plus inégalitaire du monde industrialisé) ne
sont pas des crimes (seuls des «idéologues»
déments et extrémistes pourraient le prétendre).
Ils résultent juste d’un défaut de
«compétence» et montre par ailleurs où
mènent les gens mus par l’idéologie
.» […]

J’ai la distincte impression que la vision du monde
d’Obama, «réaliste»,
«pragmatique», certifiée par Harvard, conduirait
à dénoncer le grand leader de la lutte pour les droits
civiques aux USA Martin Luther King Jr. – adversaire
résolu des maux (pour lui) inséparables du militarisme,
du racisme et de l’exploitation économique (capitaliste)
– comme étant un «idéologue» perdu et
dysfonctionnel…

Paul STREET*


*    L’auteur de cet article (titre original
«Victory without vision») daté du 11 novembre 2006,
est un commentateur politique de gauche et enseigne à Chicago.
On trouve de fréquents articles de sa plume, dont celui-ci, sur www.znet.org.
Il est l’auteur de plusieurs livres, notamment: Empire and
Inequality: America and the World Since 9/11 (Paradigm,
2004),Segregated Schools: Educational Apartheid in the Post-Civil
Rights Era (Routledge, 2005)Still Separate, Unequal: Race, Place, and
Policy in Chicago (Chicago, 2005)


Alléluias du PSS: un peu de pudeur SVP!

Dans un communiqué du 8 novembre le PSS «félicite
chaleureusement les démocrates américains». Nos
(sociaux-)démocrates helvétiques ont des formules
surprenantes. Ils jugent ainsi que «les
démocrates vont nettement plus s’engager en faveur
d’un monde plus stable et plus sûr que ne l’a fait
jusqu’ici le gouvernement actuel
.» (sic!)

Le PSS se dit en outre: «convaincu que la collaboration des Etats-unis avec les autres pays va considérablement s’améliorer» et, en effet, comme le relevait Jean Batou dans son édito «L’impérialisme
est-il soluble dans le multilatéralisme?» de notre dernier
numéro, la question se pose aux USA: «Pourquoi ne pas
partager un peu plus les bénéfices – mais aussi les
charges – de la domination impériale avec l’Europe
Occidentale, mais aussi avec le Japon?
».

Le PSS affirme, certes, qu’à travers cette
élection: «Le peuple américain s’est
incontestablement distancé de la politique des
néo-conservateurs et – pour la première fois
– a massivement condamné la guerre en Irak.» Mais,
étrangement, au chapitre de ses attentes par rapport aux USA,
au-delà de l’«amélioration
considérable de la relation avec les autres pays», il ne
formule qu’une seule revendication: «qu’ils changent
de position par rapport à la protection du climat».
L’idée de demander à leurs amis américains
de travailler au retrait immédiat des troupes US d’Irak
(sans même parler de l’Afghanistan)… ne semble pas
les avoir effleurés. Ou alors ont-ils pensé que ce ne
serait pas «réaliste»? C’est en effet sans
doute vrai, qu’il n’est pas «réaliste»
d’avoir de telles attentes à l’égard des
Démocrates étatsuniens, qui ont soutenu comme un seul
homme le lancement de cette sale guerre impériale.

Alors pour les «félicitations chaleureuses» et les
«réjouissances toutes particulières», le PSS
aurait sans doute mieux fait… d’être un peu plus
sobre!

Pierre Vanek