Karl Liebknecht, un socialiste internationaliste et antimilitariste


Karl Liebknecht, un socialiste internationaliste et antimilitariste


Lors de chaque guerre, les gouvernements et les médias cherchent à créer une atmosphère d’«union sacrée», c’est-à-dire l’établissement d’un consensus social et politique qui leur permette d’agir sans opposition. Cette méthode éprouvée fut expérimentée pour la première fois en août 1914: la majorité des partis socialistes européens n’opposèrent aucune résistance à la vague belliciste.
L’une des conséquences de l’attentat du 11 septembe contre le «Word Trade Center», c’est qu’aujourd’hui nous sommes bel et bien confronté/es à une tentative d’union sacrée, doublée d’une dérive sécuritaire, tendant à criminaliser le mouvement contre la globalisation capitaliste.
Il est donc important de rappeler qu’en politique la fatalité n’existe pas et que, déjà en 1914, des militant/es socialistes se sont opposés aux Blair et Schröder de l’époque…

Hans-Peter Renk*

Dans son n° 215 (juin 2001), «Le Point» – bulletin du Parti socialiste neuchâtelois – publiait la citation suivante: «La loi fondamentale du capitalisme est toi OU moi, non pas toi ET moi». Il est bien de citer Karl


Liebknecht en ce début de 3e millénaire. Mais mieux vaudrait faire connaître aux nouvelles générations de militant-e-s de la gauche ce révolutionnaire allemand, sa pensée et son action politique. Voici donc quelques éléments à l’intention de nos lecteurs et lectrices.


Fils d’un fondateur du Parti social-démocrate allemand (SPD), Karl Liebknecht appartenait – avant la Première guerre mondiale – avec Rosa Luxemburg, Clara Zetkin et Franz Mehring – le biographe de Karl Marx – à l’aile gauche du SPD. Solidaire de la révolution russe de 1905 contre le tsarisme, il fut condamné par la justice du IIe Reich, en 1907, pour «haute trahison», c’est-à-dire pour ses activités anti-militaristes1. Dès le début de la Première guerre mondiale, lorsque la majorité des partis de l’Internationale socialiste – sauf les bolchéviks russes, les socialistes serbes, bulgares et italiens, l’Independent Labour Party (Grande-Bretagne) et les Neuchâtelois Charles Naine et Paul Graber… – votèrent les crédits de guerre à leurs gouvernements respectifs, Karl Liebknecht ne se laissa pas entraîner par cette vague chauvine. Avec ses camarades de la gauche du SPD resté-e-s fidèles à l’internationalisme, il anima pendant la guerre le groupe «Die Internationale» – plus connu sous le nom de «Spartakus-Bund» (Ligue spartakiste). «L’Humanité le félicite et dans Le Feu de Barbusse, des poilus français prononcent son nom avec respect. Il paie de sa personne: le 1er mai 1916, il a crié: A bas la guerre! sur la Postdamer Platz et ce cri lui vaudra quatre ans de bagne2. Mais à l’annonce de sa condamnation, cinquante mille ouvriers allemands se sont mis en grève»3. Après la révolution de novembre 1918, qui renversa le régime impérial, Karl Liebknecht participa à la fondation du Parti communiste allemand (KPD).


Assassiné par les corps francs


Le nouveau parti se trouva rapidement confronté à une bourgeoisie désireuse de «rétablir l’ordre» et à un gouvernement formé de dirigeants du SPD (dont Friedrich Ebert et Gustav Noske, qui avaient voté les crédits militaires durant toute la guerre), hostiles à toute perspective de révolution sociale. On attribue communément à Friedrich Ebert une phrase qui en dit long sur ses conceptions politiques: «Je hais la révolution comme le péché», et à Gustav Noske, nommé ministre de la Guerre, une autre, bien plus sinistre: «Il faut bien que quelqu’un soit le chien sanglant».


Le 15 janvier 1919, suite aux affrontements survenus à Berlin entre les travailleurs et les «corps francs», groupes para-militaires, formés avec l’accord du gouvernement Ebert, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg furent assassinés par un de ces groupes para-militaires4. Aujourd’hui, il est indéniable que l’échec durable de la révolution allemande, dans les années 20, créa les pré-conditions de la victoire ultérieure du nazisme et de la marche à une nouvelle guerre mondiale. Depuis lors, chaque année, sauf à l’époque du régime nazi, le 15 janvier à Berlin regroupe les différentes formations de la gauche anti-capitaliste pour honorer la mémoire de Karl Liebknecht et de Rosa Luxemburg. Cela, malgré des décennies d’anti-communisme institutionnel dans l’Allemagne de l’après-guerre; cela malgré la chape de plomb que fit peser durant des décennies le stalinisme sur le mouvement ouvrier.5


Trahie par ses successeurs


Comme le note Paul Froelich, «Son nom et celui de Karl Liebknecht ont servi de drapeau pour couvrir une politique incompatible avec celle suivie par ces grands révolutionnaires. Bien des camarades de combat et des disciples de Rosa, allemands et polonais, expièrent leur fidélité à ses idées dans les prisons staliniennes».6


En ces temps d’interventionnisme «humanitaire», méditons une autre citation de Karl Liebknecht: «Paillettes trompeuses sont les phrases sur la défense de la patrie et la libération des peuples, dont l’impérialisme orne ses instruments de meurtre. Chaque parti socialiste a son ennemi: l’ennemi du prolétariat international, dans son propre pays, c’est là qu’il doit le combattre».7


* Paru dans le solidaritéS-Infos n°27 de nos camarades neuchâtelois. (juin 2001)



  1. Liebknecht, Karl. Militarisme, guerre, révolution, Paris: F. Maspero, 1970 (Bibliothèque socialiste 17)
  2. «Aucun général n’a jamais porté un uniforme avec autant d’honneur que je porte la blouse du détenu» (Karl Liebknecht, devant le tribunal militaire, lors de la sentence).
  3. Les spartakistes: 1918, l’Allemagne en révolution / présenté par Gilbert Badia, Paris: Julliard, 1966 (Archives 21)
  4. Broué, Pierre. Révolution en Allemagne: 1917-1923, Paris: Ed. de Minuit, 1971 (Arguments 51)
  5. Dans le texte de 1931, Lettre à la rédaction de la Révolution prolétarienne: à propos de quelques problèmes de l’histoire du bolchévisme, Staline s’en prends à Rosa Luxembourg.
  6. Paul Fröhlich. Rosa Luxemburg. Paris: L’Harmattan, 1999
  7. Liebknecht, Karl. – Lettre à la rédaction du «Labour Leader» en décembre 1914



  • Compléter ton information sur :


  • Karl Liebknecht: http://colorado.marxists.org/archive/noneng/francais/liebknec/index.htm
  • Rosa Luxemburg: solidaritéS infos (Neuchâtel), n°17, avril 1999 par Michael Löwy.
  • Clara Zetkin: Féministe sans frontières. Gilbert Badia – Paris: Les Ed. ouvrières, 1993 (La part des hommes)
  • Franz Mehring (1846-1919): Beiträge der Tagung vom 8 bis 9 Nov. 1996 anlässlich seines 150. Geburtstag. Frankfurt/M: P. Lang, 1997 (Bremer Beiträge zur Literatur-und Ideengeschichte; Bd. 20)








Lettre de Liebknecht à la Conférence de Zimmerwald*

Chers camarades,


(..) Les amis de chaque pays tiennent dans leurs mains les espoirs et les perspectives des amis de chaque pays. Surtout vous, socialistes français et allemands, vous êtes la destinée l’un de l’autre. Vous, les amis français, je vous en conjure, ne vous laissez pas ensorceler par la phrase d’union nationale – c’est certain que vous ne donnerez pas dans ce piège-là! – pas plus que par celle non moins dangereuse de l’unité du parti. Chaque protestation, par contre, chaque manifestation de votre opposition à la politique gouvernementale officieuse, chaque profession de foi hardie pour la lutte de classe, pour la solidarité avec nous, pour la volonté prolétarienne de paix, renforce notre combativité, décuple notre force d’agir dans le même sens en Allemagne pour le prolétariat mondial, pour son émancipation économique et politique, pour son affranchissement des chaînes du capitalisme, mais aussi des chaînes du tsarisme, du «kaisérisme», du «junkerisme», du militarisme, du militarisme non moins international; décuple notre force de lutter en Allemagne pour la libération politique et sociale du peuple allemand, contre la puissance et l’expansionnisme des impérialistes allemands, pour une paix prochaine qui rende la liberté et l’indépendance à la Belgique malheureuse, et la France au peuple français.


Frères français, nous connaissons les difficultés particulières de votre situation tragique, nous saignons avec vous comme avec la masse torturée et lapidée de tous les peuples. Votre malheur est le nôtre, nous qui savons que notre douleur est la vôtre. Que notre lutte soit la vôtre, aidez-nous comme nous jurons de vous aider.


La nouvelle Internationale naîtra, peut naître sur les ruines de l’ancienne, sur de nouveaux fondements plus solides. Vous les amis socialistes de tous les pays, vous devez aujourd’hui poser la première pierre de l’édifice de l’avenir. Jugez impitoyablement les faux socialistes! Aiguillonnez impitoyablement les chancelants, les hésitants de tous les pays également… ceux d’Allemagne ! La grandeur du but vous aidera à passer par l’étroitesse et la petitesse du jour, par la misère de ces jours horribles.


Vive la paix des peuples de l’avenir ! Vive l’antimilitarisme ! Vive le socialisme international, révolutionnaire, émancipateur des peuples !


Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

KARL LIEBKNECHT

* Lettre écrite en 1915, on en trouve la version intégrale dans l’ouvrage d’Alfred Rosmer Le mouvement ouvrier pendant la première guerre mondiale