Nouvelle étape de la casse du social

Nouvelle étape de la casse du social



Après le rejet en votation
populaire de la suppression du quart de rente AI en 1999, le Conseil
fédéral avait vite mis en place la 4e révision AI,
poursuivant l’objectif de diminution des dépenses de cette
assurance sociale. La 5e révision votée en octobre au
Parlement est une nouvelle attaque directe aux
bénéficiaires actuels et futurs de l’AI. En effet,
300 millions seront «économisés» sur le dos
des premiers et les nouveaux bénéficiaires doivent
être réduits d’un tiers.




Cette offensive s’inscrit dans
le fil des multiples campagnes contre notre fragile
sécurité sociale menées depuis plusieurs
années par la droite, UDC en tête, d’abord contre
les chômeurs et chômeuses puis contre les plus
vulnérables, assimilés à des
«profiteurs» des assurances sociales. Cet acharnement
poursuit la politique de réduction des prestations sociales,
dans les faits déjà limitées, alors que des
cadeaux fiscaux aux plus riches et aux entreprises se succèdent
sous la coupole fédérale.


Santé mise à mal dans le monde du travail

La protection de la santé des salarié-e-s a toujours
passé après les intérêts des actionnaires.
Depuis la crise des années nonante et le durcissement des
politiques néolibérales qui a suivi, les
travailleurs-euses sont sous la pression conjointe de
l’insécurité et de la précarité
d’une part, de la dégradation directe et concrète
de leurs conditions de travail d’autre part.
Dans tous les secteurs économiques, les études
récentes montrent une augmentation du stress liée au
travail: 44 % des salarié-e-s sont atteints directement dans
leur santé psychique, selon l’Office fédéral
de la statistique (OFS, nov. 2004). Ces résultats confirment
d’autres études effectuées en Suisse, en
particulier celle réalisée par le syndicat Comedia (2002)
et celle du Secrétariat d’Etat à l’Economie
(Seco 1998, 2000).

«Ce sont aujourd’hui des facteurs psychologiques et sociaux
tels que la forte charge de travail, la pression de la demande,
l’exigence de concentration durant de longues périodes,
une forte pression temporelle, la croissance de
l’interdépendance entre collègues de travail, qui
sont à l’origine du stress et qui finissent par peser sur
l’état de santé», reconnaît l’OFS.
D’autres études spécialisées confirment ces
données générales, en particulier dans les
secteurs de la banque et de la finance, de la vente et de la
santé, secteurs d’activité majoritairement
féminins.

Ainsi les exclu-e-s du monde du travail n’ont fait que
croître, venant grossir les rangs des personnes
handicapées à l’AI: plus de 65% des
bénéficiaires en dix ans (de 3,2 à 5% de la
population active). Les rentes pour maladie psychique ont doublé
dans cette période, surreprésentées chez les
jeunes et les plus de 50 ans. En 2004, en Suisse, 43,7% des rentes
maladie AI chez les hommes étaient liées à des
troubles psychiques, chiffre atteignant 48,2% chez les femmes, soit une
rente maladie sur deux!

Cette très importante augmentation de la souffrance psychique
est à mettre en relation avec les changements survenus sur les
lieux de travail: une charge de travail en augmentation en lien avec
les réductions de personnel, une intensification du travail
lui-même, une forte pression sur la concentration exigée
dans la durée et sur les relations directes avec les clients
dans des temps toujours plus réduits, une pression croissante de
la hiérarchie. Ces conditions de travail quotidiennes se sont
ainsi détériorées, avec une démoralisation
et souvent une démotivation croissante du personnel. Le
règne de la peur s’est progressivement installé
dans le monde du travail.

Ainsi, sur l’autel de la rentabilité, de la concurrence
généralisée, sous la pression des licenciements,
pour près de la moitié des salarié-e-s leur
santé s’est détériorée.
Contrairement à ce que prétendent la droite et le
patronat, la responsabilité de la crise actuelle de l’AI
n’est pas le fait de personnes handicapées qui abuseraient
de la loi mais bien plutôt des abus dans le monde du travail
lui-même!

Droite et patronat veulent «assainir» l’AI sur le dos des assurés et des personnes handicapées

Le DFI (Département fédéral de
l’Intérieur) a annoncé en 2005 l’objectif de
485 millions d’économies annuelles jusqu’en 2025.
L’essentiel des mesures de la 5e révision, votées
le 6 octobre 2006 par le parlement fédéral, porte
atteinte au système de sécurité sociale en
réduisant l’accès aux prestations et en diminuant
les prestations elles-mêmes.
Après avoir annoncé successivement une baisse de 10% puis
de 20% d’octroi des nouvelles rentes, le nouvel objectif
annoncé est une diminution de 30% de nouvelles rentes AI par
rapport à 2003. Or les Offices AI clament avoir
déjà atteint cette baisse de 30% entre 2003 et le 1er
semestre 2006. Le taux de refus a augmenté de 50%!

Un renforcement de l’«obligation de collaborer» est
mis en place, avec des mesures contraignantes et des sanctions. Les
mesures de détection précoce (DP) de la nouvelle loi
portent atteinte à la confidentialité et au secret
médical. Les médecins sont déliés de leur
obligation de garder le secret.

L’obligation de communiquer les informations diverses dans cette
phase de collaboration étroite entre l’employeur et
l’Office AI, comme condition pour la poursuite de la
procédure, donne à l’employeur un accès aux
données privées. C’est une atteinte au principe
constitutionnel de la protection des données. Il n’y a par
contre aucune protection contre le licenciement dans ces mesures.

De plus cette conception de la «détection
précoce» individuelle, avec le/la salarié-e dans le
collimateur et à la merci de l’employeur, permet
d’éluder de véritables mesures préventives.

Le principe de la nouvelle loi veut que l’octroi de la rente ne
soit possible que si les mesures de réadaptation ne peuvent
assurer le maintien ou le retour à la vie professionnelle selon
le critère arbitraire de ce qui est «raisonnablement exigible de la part de l’assuré».

D’autre part, selon une révision toujours plus restrictive
des critères médicaux, établis non plus par les
médecins traitants, mais par les seuls médecins des
Offices AI et des services médicaux régionaux
eux-mêmes, l’évaluation de la capacité de
gain ne tient plus compte réellement du handicap, lui-même
le plus souvent minimisé. Une augmentation de 290 postes (+15%)
est estimée nécessaire pour ces nouvelles tâches…

La «priorité à l’insertion», une totale hypocrisie

Depuis son entrée en vigueur en 1960, la loi sur l’AI
prévoit la priorité de la réinsertion sur la
rente. En fait, les différentes phases de récession
économique, l’accroissement des exigences dans le monde
professionnel visant l’accroissement de la productivité,
la pression concurrentielle sur un marché mondialisé, les
modifications de l’organisation du travail lui-même, tous
ces éléments ont fait disparaître les
possibilités réelles de maintien de postes de travail
pour des personnes atteintes dans leur santé et dont la
capacité productive est réduite.

En réalité, depuis plus de 45 ans, ce sont les exigences
patronales qui ont contraint les Offices AI à accroître le
nombre de rentes au détriment de la réinsertion. De
nombreux employeurs eux-mêmes ont préféré
envoyer leurs salarié-e-s à l’AI pour
réduire leurs charges sociales.

Un financement remis à plus tard… et le patronat épargné!

Le financement de l’AI repose sur le mode de la
répartition: les dépenses annuelles doivent être
couvertes par les recettes provenant pour moitié des cotisations
des assuré-e-s et des employeurs et pour moitié des
subventions des pouvoirs publics, Confédération et
cantons, avec en plus les intérêts du fond de compensation.

Pour la 2e révision en 1988, le Conseil fédéral a
reçu la compétence d’augmenter le taux de
cotisation AI de 1 à 1,2 %. Suite à la récession
des années nonante, les dettes de l’AI
s’élevaient déjà à 2,2 milliards en
1997. Un transfert de capital de 2,2 milliards des APG vers l’AI
a été effectué en 1998.

Depuis dix ans, l’augmentation des charges de 60%, sans
modification du mode de financement, a entraîné un
déficit croissant qui a atteint 8 milliards fin 2005.
L’accroissement annuel de la dette est chiffré à 2
milliards par an.

Le relèvement du taux de cotisation AI de 0,1 % (de 1,4 à
1,5 %), soit 300 millions de recettes, ou l’augmentation de la
TVA de 0,8 point dès 2008 ont été dissociés
du vote de la 5e révision: on verra plus tard!

Alors que quelques modestes mesures incitatives financières sont
prévues pour «stimuler» les employeurs dans
l’octroi de places de travail pour les personnes
handicapées, aucune mesure contraignante pour les employeurs
n’a été acceptée, plus
particulièrement un quota obligatoire pour favoriser
réellement l’intégration, sur le modèle
français par exemple, ceci contrairement aux
«promesses» des partis bourgeois qui avaient
été faites avant le vote final!

Vers le référendum…

Ces derniers mois, jusqu’à la session des chambres,
l’ensemble des organisations d’aide aux personnes
handicapées regroupées dans la DOK, à savoir plus
d’une dizaine dont Pro Infirmis, Pro Mente Sana, Agile, la
Fédération suisse pour l’intégration des
handicapés (FSIH) ont envisagé le
référendum: «Une
révision qui exige de façon unilatérale
l’intégralité des sacrifices de la part des
personnes concernées, et ce sans garantir par ailleurs
l’avenir financier du système d’assurance de
l’AI, ne pourrait en aucun cas être acceptée
» (DOK, 27.2.2006).

Pourtant ces grandes organisations, sous la menace notamment d’un
refus de mesures financières nécessaires, chantage
mené par les autorités fédérales, ont
cédé sous prétexte du risque d’échec
en votation et d’une aggravation des mesures contre les
handicapé-e-s. Nous pensons au contraire qu’une bataille
n’est jamais perdue d’avance sauf si elle n’est
même pas engagée! D’ailleurs, nous savons que la
base de plusieurs de ces associations ne partage pas l’avis de
leur direction. Seule la mobilisation peut modifier le rapport de
force, seule elle est susceptible d’encourager les plus
hésitants, de les convaincre plutôt que d’attendre
que d’autres se lancent.
Toutes ces raisons nous amènent à refuser la 5e
révision de l’assurance invalidité et à
participer au lancement du référendum
fédéral!

Gilles GODINAT

Harcèlement des salariés à la hausse

Selon une étude récente de l’Uni de Genève,
financée par la Conférence romande et tessinoise des
Offices d’inspection du travail, 26,2% des Romand-e-s ont subi du
mobbing au travail. Des chiffres quatre fois plus élevés
que ceux de l’étude du SECO en 2002. Interrogée
à ce sujet par «20 Minutes», Maagi Graf, cheffe du
Groupe Travail et Santé au SECO confirme: «Le monde du
travail est devenu plus dur.» Et en effet, les pressions accrues
sur les travailleurs-euses dans l’économie capitaliste,
s’accentuent toujours plus et nous rendent de plus en plus
malades…
C’est cet abus-là qui doit être
dénoncé, c’est cet abus-là qui fait exploser
les besoins en matière d’Assurance
Invalidité… C’est cet abus là qui devrait
être la cible essentielle d’une réelle politique de
prévention et d’intégration. Or la 5e
révision de l’AI va dans l’autre sens… elle
livre aux employeurs une panoplie accrue d’instruments de
répression, d’arbitraire et de harcèlement.

Pierre VANEK