Petite sélection de lectures automnales

Petite sélection de lectures automnales

Avoir vingt ans à l’usine

Il est vrai que les ouvriers ne constituent plus le premier groupe
socioprofessionnel en France, depuis que le recensement de 1999 a
révélé qu’un autre groupe, celui des
employés, les avait dépassés. De peu pourtant!
D’ailleurs, aujourd’hui encore, les ouvriers regroupent
environ un quart de la population active de notre pays. Mais il y a
plus: parmi les hommes âgés de 15 à 29 ans, en
emploi, un sur deux est ouvrier et, si l’on considère la
situation de jeunes hommes sortis depuis trois ans de formation
initiale à tous les niveaux du système de formation, il
apparaît qu’un peu plus de quatre individus en emploi
salarié sur dix sont ouvriers. Ainsi le groupe ouvrier
n’a-t-il pas disparu: vieux par son histoire, il n’en reste
pas moins jeune de la jeunesse de ceux qui, au début de leur vie
active, entrent à l’usine.

Qui sont ces jeunes ouvriers? C’est à cette question que
nous avons tenté de répondre dans notre livre Avoir 20
ans à l’usine. Plus précisément: nous avons
cherché des réponses à des questions comme
celles-ci: comment en sont-ils venus à devenir ouvriers? Comment
trouvent-ils leur place à l’usine? Comment se
résignent-ils à produire sous surveillance continue? Ou
encore: que font-ils de leur vie hors de l’usine? Pour cela nous
avons retracé, de l’école à l’usine,
les parcours de ces jeunes et essayé d’en dégager
ce qui fait écho entre ces parcours individuels et
révèle une communauté de destin social.
Communauté plus ou moins assumée, dans un contexte qui
pousse à l’individualisme, alors que l’engagement
syndical ne paraît plus constituer pour eux une véritable
alternative.

Ces histoires de «simples ouvriers» – comme nous ont
dit certains d’entre eux – nous renvoient alors à
l’aventure – sinon aux mésaventures – de la
production industrielle des biens matériels, avant qu’ils
nous apparaissent sous la forme abstraite de marchandises sur les
rayons des temples de la consommation post-moderne. Or le spectacle
marchand ne tient à rien moins qu’à voir
dévoilées les conditions concrètes dans lesquelles
les marchandises sont produites – le ballon de football ne dit
jamais quelles (petites) mains en ont réalisé les
coutures. Est-ce pour cette raison que notre société
spectaculaire-marchande manifeste tant de hâte à vouloir
effacer de notre vue toute trace de l’existence de ces agents
– les ouvriers – qui pourtant produisent les marchandises
sans lesquelles elle n’est rien?

Henri Eckert, Avoir vingt ans à l’usine. Paris, éd. La Dispute, 2006, 224 pages.

Le développement en débat. Croissance ? Décroissance ? Développement durable ?

Les habitants de notre planète sont confrontés –
certainement pour la première fois de leur histoire –
à une situation inédite et dangereuse: les
conséquences de leurs actes dépassent ce que notre
environnement peut supporter et ces conséquences sont souvent
irréversibles. Réchauffement de la planète,
dérèglement climatique, menaces sur la
biodiversité, épuisement des ressources halieutiques,
pollution des mers, déforestation, pénurie d’eau
douce menacent rattrapent nos sociétés. D’autre
part on a coutume de dire qu’il faudrait quatre ou cinq
planètes si toute la population mondiale consommait et
déversait autant de déchets que les habitants des
États-Unis. Devant ces problèmes a surgi en 1987 le
concept de «développement durable» issu du rapport
Brundtland, commandé par les Nations Unies en 1987.
L’idée générale est simple: le
développement est durable si les générations
futures héritent d’un environnement d’une
qualité au moins égale à celui qu’ont
reçu les générations précédentes.
Depuis et devant la persistance, voire l’aggravation des
problèmes écologiques et sociaux le débat autour
du thème même de développement qu’il soit
«durable, humain, soutenable, viable» ne cesse de
s’emballer. Certains prônent même la
«décroissance» Plus d’une vingtaine de
chercheurs, d’élus, d’acteurs de terrains ont
été sollicités pour mettre en débat le
modèle de développement à l’ouvre dans nos
sociétés mondialisées. L’ouvrage fruit du
travail accumulé a cette occasion donnera au lecteur des pistes
pour y puiser des arguments pour forger sa propre opinion.

Patrick Coulon & Sylvie Mayer (coord.), Le développement en débat. Croissance? Décroissance? Développement durable?. Paris,
éd. Syllepse, 2006, 226 pages.

Le vivant entre science et marché. Une démocratie à inventer.

La science et la recherche n’ont jamais été
indépendantes de la société, mais leurs connexions
sont actuellement particulièrement fortes, et la biologie
notamment est devenue en quelques années un enjeu social,
économique et politique majeur. Le premier chapitre
présente et examine cette question à travers quelques
exemples d’actualité. Quels sont les mécanismes mis
en ouvre pour soumettre la recherche publique à un pilotage de
plus en plus contraignant, pour la mettre à la disposition de la
rentabilité capitaliste et du seul profit des multinationales,
au détriment à la fois des recherches visant
l’accroissement des connaissances, et des recherches
nécessaires à une société plus solidaire et
plus soucieuse de la planète? C’est ce que théorise
l’expression «économie et société de
la connaissance» énoncée par l’Union
européenne dans le cadre de la stratégie de Lisbonne. Le
deuxième chapitre analyse les outils de gestion de la science
que les institutions, européennes et françaises, mettent
en place pour parvenir à cet objectif. Ainsi les politiques de
la recherche, loin d’être issues des exigences et des
possibilités de la science, sont-elles dictées par les
impératifs libéraux. C’est ce que montre
l’analyse des programmes en sciences de la vie et santé.
Les conséquences qu’entraînent ces politiques de la
recherche en biologie, tant du point de vue de la conception de la
science que de la nature de la société y sont
envisagées. Quelques-uns des thèmes abordés: 1) La
biologie et la société: La marchandisation de la
biologie; Politique scientifique, politique de la recherche, le lieu de
l’articulation entre science et société. 2) Les
politiques scientifiques en France et en Europe: La marchandisation de
la recherche en France et en Europe: vers l’économie et la
société de la connaissance; La politique de recherche en
France; Les politiques françaises de la recherche en biologie.
3) L’expert en technosciences: figure «critique» ou
«gestionnaire» de la civilisation industrielle
contemporaine 4) Quelques contours actuels de la civilisation
industrielle technoscientifique. 5) Théories et débats
actuels en biologie. 6) Une démocratie à inventer: Qui
doit prendre part à la définition des politiques
scientifiques? Le dialogue démocratique, réalités
et perspectives.

Jeanne Guespin-Michel & Annick Jack (coord.), Le vivant entre science et marché. Une démocratie à inventer. Paris, éd. Syllepse, 2006 246 pages.

Travail, critique du travail, émancipation

L’urgence, c’est de lutter pour refuser les licenciements,
la précarité et le chômage portés par la
mondialisation capitaliste et le libéralisme économique.
C’est donc de défendre le droit à l’emploi.
Pour autant, on ne peut  faire l’économie d’une
réflexion plus générale sur le travail, sa
réalité actuelle dans un monde dominé par le
capital et la «souffrance au travail» que cela suppose. On
ne peut faire l’économie d’une réflexion sur
le caractère sexué de la division du travail et des
politiques néolibérales. Bref, on ne peut faire
l’économie d’une critique du travail. On ne peut pas
éviter d’avoir une réflexion plus
générale sur la façon dont la défense du
droit à l’emploi s’inscrit dans une perspective
d’émancipation. Il faut critiquer ceux qui confondent les
politiques de restructuration du rapport salarial et la
précarisation générale du salariat qui les
caractérisent avec l’annonce de la «fin du
travail» ouvrant la possibilité d’une
libération des individus hors du travail. Toutefois, il ne faut
pas oublier que, longtemps, le mouvement ouvrier a valorisé le
travail comme cadre de réalisation des individus. Qu’il a
trop souvent laissé croire que l’émancipation des
individus passait par la seule émancipation du travail. On ne
peut non plus manquer d’avoir une réflexion plus
générale sur la perspective dans laquelle doit
s’inscrire la défense des droits sociaux que, tout long du
siècle dernier, les travailleurs et le mouvement ouvrier ont
inscrite dans le statut du salariat. Ce sont des droits collectifs,
socialisés, à l’image du droit égal à
la santé qui s’est organisé au travers de la
Sécurité sociale. Et ce sont bien des droits des
individus en tant que salariés qu’il faut non seulement
défendre mais généraliser afin que le salariat
cesse d’être synonyme d’une marchandisation de la
force de travail. Et que se construisent des collectifs de travail sur
la base de droits partagés.

Collection: Les Cahiers de Critique Communiste. Paris, éd. Syllepse, 128 pages.

La double peine. Histoire d’une lutte inachevée.

Même s’ils commettent le même délit, un
Français et un étranger ne sont pas égaux devant
la justice, puisque le délinquant étranger peut
être condamné, en plus de sa peine de prison, à un
éloignement du territoire français. C’est cet
éloignement discriminatoire que les associations de
défense des étrangers dénoncent en le qualifiant
de «double peine». Rendue populaire par la récente
campagne «Une peine point barre», la lutte contre la double
peine a derrière elle une longue histoire. Des années
1970 à la «loi Sarkozy» de novembre 2003 en passant
par les grèves de la faim des années 1980 ou les actions
du Comité national contre la double peine, la cause des
expulsés a fluctué au gré des alternances
gouvernementales et des réformes législatives.

La contestation de la double peine accompagne et éclaire une
série d’importantes transformations politiques et sociales
qu’a connu la France depuis les années 1970. Son histoire
est celle de la forte politisation du thème de
l’immigration qui, à la faveur de l’avènement
de l’extrême droite, s’est aujourd’hui
imposé comme un des enjeux centraux du débat politique.
Elle est aussi celle de la lente dégradation des rapports entre
le monde associatif et une gauche de gouvernement de plus en plus
sourde aux revendications des défenseurs des immigrés.

Lilian Mathieu, La double peine. Histoire d’une lutte inachevée. Paris, éd. La Dispute, 2006, 307 p.

Enfants travailleurs – Repenser l’enfance

Depuis un quart de siècle, la question du «travail des
enfants» est à l’ordre du jour comme
«problème de société» à
l’échelle mondiale. Peu à peu, sa complexité
s’est révélée: adopter des textes
législatifs adéquats et boycotter des contrevenants ne
résoudront pas cette question.

Les politiques institutionnelles mises en oeuvre restent
enfermées dans le même paradigme: la place de
l’enfant est à l’école, et l’enfant au
travail est avant tout «une victime à
protéger». Fût-ce contre elle-même au besoin?

Les enfants travailleurs qui se sont organisés en tant que tels
ont des positions tout autres. Dans leurs déclarations, ils
disent «non à l’exploitation», mais aussi
«non à l’interdiction du travail pour les
enfants».

Les auteurs de cet ouvrage ont voulu prendre ce point de vue au
sérieux. Ils réfléchissent sur les
conséquences qui en découlent pour la perception de
l’enfance en général, ainsi que des
activités, contraintes ou non, des enfants dans les
sociétés contemporaines. Ils relèvent la tension
qui gît entre la nécessité de questionner le
concept prépondérant d’enfance et le risque,
redoutable, de renoncer à spécifier l’enfance,
condition sine qua non de sa protection.

Le paradigme dominant de l’enfance interdit de lier les luttes
à mener pour les enfants aux luttes plus générales
en faveur d’un monde plus juste et plus solidaire. Il interdit
plus encore qu’on puisse les mener avec eux! C’est pourtant
une telle nécessité qui court comme un fil rouge tout au
long de cet ouvrage.

M. Bonnet et al., Enfants travailleurs – Repenser l’enfance. Lausanne, éd. page deux, septembre 2006, 200p.

La revue «Dissidences» (France): nouvelle formule

Créée en 1998, pour l’étude des mouvements
révolutionnaires, «Dissidences» paraît
maintenant deux fois par an aux éditions L’Harmattan.

Chaque numéro est thématique. Le site internet www.dissidences.net
contient des compléments à la revue, des articles
inédits, des prises de position et diverses informations sur les
études en cours.

Le premier numéro traite le thème
«Révolution, lutte armée et terrorisme»:
l’Espagne (ETA basque, Mouvement ibérique de
libération), l’Allemagne (Rote Armee Fraktion),
l’Amérique latine (Bolivie, «opération
Condor») et l’Amérique du Nord (les Black Panthers,
les Weathermen aux USA, le Front de libération du Québec.
Le deuxième numéro sera consacré à
l’historien Daniel Guérin (1904-1988).

Pour correspondance & abonnements: J.G. Lanuque, 154 rue du Maréchal Oudinot, F-54000 Nancy. jeanguillaume.lanuque@wanadoo.fr.
Cotisation annuelle: 32€. Chèque à l’ordre de:
Les Amis de Dissidences.